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n'est point l'œuvre de Châh-Abbas; mais ce monarque savait habilement diriger les ressources de son peuple et les richesses de ses favoris, vers l'embellissement de sa capitale. Aussi doit-on une grande partie des beaux édifices d'Ispahan à la rivalité qui s'établit entre les seigneurs de la cour, pour plaire au roi et en obtenir des faveurs. La ville doit à ce mobile un grand nombre de jardins, de places, de caravansérails et de mosquées. Alàh-Verdy-Khân, généralissisme et ami particulier du souverain, créa le pont qui porte son nom. Il dota ainsi Ispahan d'un ouvrage de la plus grande utilité, et qui, aujourd'hui encore, est l'un de ses monuments les plus remarquables.

Ce pont a trente-trois arches sous lesquelles le Zendèhroud trouve passage quand il est dans sa plus forte crue. Toute la partie inférieure est construite en grandes assises d'une pierre très-dure. A l'extrémité méridionale, les trois dernières arches sont appuyées à quatre tours également en pierre. Sur ces trente-trois arches, toutes d'égale hauteur et d'égale largeur, repose la chaussée du pont qui est horizontale. De chaque côté, au lieu de parapets, il règne, d'un bout à l'autre, une galerie formée de soixante-dix arcades entre lesquelles on traverse le pont. Il s'y tient des kalioundjis qui offrent la pipe et le thé aux passants. De distance en distance, quelques-unes de ces arcades sont ouvertes et donnent passage dans une seconde galerie qui s'ouvre sur la rivière, dans toute la longueur du pont. Le soir on y vient prendre le frais et jouir de la vue d'un très-beau paysage dans lequel les coupoles et les minarets de la ville forment un magnifique point de vue. Des escaliers, pratiqués dans l'épaisseur des murs, permettent de descendre de cette gale

rie sous les arches, au niveau de la rivière. La chaussée de ce pont est plus élevée que le sol des rives du Zendehroûd; on a pratiqué pour y arriver des talus en pente douce.

Le second pont, qu'on appelle Poul-Kadjoûk, met en communication le faubourg de ce nom et la route de Chiraz. C'est par là qu'entrent et sortent les caravanes qui viennent du sud on qui s'y rendent. Sa construction est à peu près semblable à celle du précédent. Sa chaussée, également horizontale, est aussi bordée de deux galeries à arcades. Mais, à cette construction, on a ajouté, sur chacun des côtés et extérieurement, trois pavillons dont l'un est au centre et les deux autres aux extrémités. Dans chacun de ces pavillons, qui ont un rez-de-chaussée élevé au-dessus du niveau des eaux, et un étage supérieur, sont de petites salles où chacun peut aller s'établir. Ces six pavillons ajoutent beaucoup à l'effet que produisent les galeries. La masse entière du pont pose sur une large chaussée qui déborde de chaque côté, et forme ainsi une sorte de trottoir ou promenoir spacieux élevé de deux mètres environ au-dessus de la rivière. De distance en distance, des escaliers permettent de descendre au niveau de l'eau qui passe dessous, car les grandes arches inférieures ne sont envahies par elle que lors des crues du Zendèhroud qui alors couvre les deux chaussées. Le PoulKadjoûk est, en raison des dispositions de sa construction, plus monumental encore que celui de Alàh-VerdyKhân.

Il y a, en outre, deux autres ponts: l'un, qui est en amont du premier dont j'ai parlé, relie un quartier d'Ispahan, situé à l'ouest, avec une des extrémités du faubourg de

Djoulfah; il n'offre rien de remarquable. L'autre, qui est en très-mauvais état, est plutôt un aqueduc qu'un pont; il se trouve en face du petit palais de Hapht-Dest, et des canaux, ménagés dans sa maçonnerie, conduisent des eaux d'Ispahan dans cette habitation.

CHAPITRE XXII.

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Départ. Prise de congé du Châh et du premier Ministre. Situation politique de la Perse. — Cadeaux du Roi à l'ambassade. — Départ de l'Ambassadeur.

C'est en parcourant la ville et en étudiant ses mœurs et ses édifices que je passais le temps et attendais le moment de partir pour les excursions qui m'avaient été confiées ainsi qu'à mon collègue M. Coste. Ispahan nous offrait d'ailleurs à tous deux assez de curiosités et de choses intéressantes pour que nous ne fussions pas embarrassés de l'emploi de nos journées.

Les affaires diplomatiques traînaient en longueur, les entrevues se renouvelaient avec les mêmes difficultés, et l'ambassadeur ne pouvait encore prévoir l'époque de son départ. Deux de nos camarades nous avaient déjà dit adieu, MM. de Beaufort et Daru étaient partis pour le sud. Ils rentraient en Europe en s'acheminant par Chiraz et le golfe Persique; ils devaient remonter le Tigre jusqu'à Bagdad, et prendre la route de Syrie : c'étaient les premiers compagnons de route dont nous nous séparions. Les adieux furent tristes, car chacun de nous pensait qu'arrivés ensemble

jusqu'à Ispahan, c'était là que nous allions nous disperser et prendre tous des routes différentes.

Nous étions au 1er mai, jour de la fête du roi LouisPhilippe. Ce fut une occasion de rendre les politesses que l'ambassade avait reçues. Quelques ministres persans furent invités à un grand diner, ainsi que l'ambassadeur de Russie, accompagné de son conseiller ou premier secrétaire. La musique de la garde du Châh vint jouer pendant le repas qui fut très-gai, et durant lequel la plus grande cordialité s'établit entre les convives de toutes nations. Les Persans et les Russes portèrent la santé de notre roi, à laquelle l'ambassadeur répondit par celle du Châh, le tout accompagné de compliments à la persane, adressés et rendus avec une égale prodigalité de flatteries. Ce n'était pas la première fois que l'ambassadeur réunissait à sa table des personnages de la cour d'Ispahan, il en avait invité plusieurs fois, et jamais ils ne nous parurent mal à l'aise en face de nos usages européens. Parmi eux se distinguaient le ministre Mirza-Ali, et Mirza-Baba médecin du Châh, qui avait fait ses études en Angleterre.

La colonie française qui habitait Djoulfah se trouva, vers cette époque, beaucoup augmentée. Les instructeurs que nous avions laissés à Tabriz arrivèrent à la suite d'HusseïnKhân qui voulait enfin les présenter au roi, et profiter du rassemblement des troupes qui formaient son camp, pour les utiliser. Deux autres Français, nouvellement arrivés en Perse, s'étaient joints à eux : c'étaient MM. Delort et de Breuilly; le premier faisait ce voyage en touriste, le second était devenu titulaire d'une créance sur le gouvernement persan, relative à des fusils de munition achetés par le

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