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Le territoire d'Ispahan est borné, au nord et à l'est, par une chaîne de montagnes qui séparent son territoire des déserts de Khorassan et de Kermân. Au sud et à l'onest, s'élèvent d'autres monts d'un aspect sauvage; ils ouvrent leurs défilés à la route de Chiraz; souvent aussi ils donnent passage aux cavaliers Bactyaris, qui viennent, jusque sous les murs de la ville, effrayer les habitants par leurs brigandages. L'apre physionomie de cette chaîne lui prête un grand caractère, mais l'œil ne s'arrête qu'avec tristesse sur ses pics rocailleux autour desquels tournoient, en décrivant leurs cercles aériens, les aigles ou les vautours, seuls êtres qui vivent à ces hauteurs innaccessibles.

Sur l'une des crêtes les plus élevées, s'aperçoivent les restes d'un autel du Feu. Les susceptibilités de la religion

de Mahomet n'ont pu dépouiller entièrement cette ruine guèbre d'une sorte de vénération que les Persans n'avouent pas, mais qu'ils trahissent en en parlant.

La plaine d'Ispahan est arrosée par plusieurs courants d'eau, dont le plus important est le Zendèhroûd. Les eaux de cette rivière, peu profonde en toute saison, se réduisent considérablement en été; mais elles s'étendent sur un lit très- large et capricieusement creusé, lorsqu'à l'hiver les pluies ont gonflé ses affluents, ou qu'au printemps la fonte des neiges sillonne les gorges qu'ils traversent. Le Zendèhroud n'a qu'un parcours de quarante myriamètres environ. Descendant rapidement les versants des monts du Loûristan, il débouche dans la plaine d'Ispahan, près de cette ville, et va se perdre dans les sables du désert de Yezd. Les Persans prétendent qu'il reparait près de Kerman et se jette dans la mer des Indes. Rien cependant ne justifie cette assertion. Quant à la première, qui est conforme à la vérité, elle est consacrée par le nom du fleuve qui, au dire des habitants, se compose des deux mots roûd, rivière, et zendèh, perdu. - Cette rivière est précieuse pour les cultivateurs qui trouvent, dans les nombreuses saignées qu'ils lui font et la distribution de ses eaux par mille canaux irrigateurs, des moyens de fertilisation qui lui ont fait donner le nom de rivière d'or.

Ispahan est, sans contredit, l'une des plus grandes villes du monde. L'espace qu'elle occupe n'a pas moins de quarante kilomètres de circonférence. Mais dans ce périmètre immense, il faut comprendre les faubourgs, villages, palais ou jardins, les uns habités, les autres ruinés, qui sont attenants aux murs d'enceinte; le tout ne faisant qu'une seule

et même ville. Cette étendue a fait dire aux Persans ce mot, que son exagération tout orientale n'a point empêché de rester populaire, Ispahan est la moitié du monde.

Sa population a diminué considérablement depuis deux cents ans, si le chiffre de 600,000 âmes, que lui ont attribué les voyageurs du xvII° siècle, était réel. Cependant il monte encore à celui de 100,000 environ. - Il est extrêmement difficile d'établir ce dénombrement, d'après des données certaines. Plusieurs causes rendent toute évaluation douteuse la fluctuation continuelle de la population, les émigrations fréquentes dans toute la Perse, et que la mobilité des familles, la nature capricieuse et le caractère aventureux des Persans rendent plus faciles qu'en aucun lieu du monde, sans oublier la misère qui en fait le plus souvent une nécessité, pour aller chercher fortune ailleurs ou échapper aux exactions du gouvernement. A ces causes, il faut ajouter l'absence presque totale des tableaux de recense ment ou d'états civils, qui indiquent la naissance ou la mort des citoyens. Ce manque de statistique officielle a rendu ingénieux certains voyageurs qui ont voulu chercher, dans le nombre des moutons tués à la boucherie d'Ispahan, le chiffre approximatif de sa population. Il est impossible d'ajouter foi à un calcul établi de cette manière. Outre que les Persans mangent peu de viande, il faut observer que la plupart des habitants sont trop pauvres pour se la permettre, et ne mangent guère que du pain, du laitage et des légumes.

On ne pourrait pas davantage se baser sur l'étendue de la ville, ou le nombre des maisons. Si cette manière de procéder pouvait être certaine au temps de Châh-Abbas, alors qu'il appelait à lui la population, et qu'Ispahan était floris

sant, il faut dire qu'aujourd'hui elle mènerait à l'erreur, car les cinq sixièmes des maisons sont ruinées et entièrement abandonnées.

Quoi qu'il en soit de la diminution considérable de la population d'Ispahan et de ses vastes ruines, cette capitale n'en a pas moins conservé un aspect-grandiose. Vue à quelque distance, au nombre de ses dômes émaillés, de ses élégants minarets, à l'étendue immense qu'elle occupe, il est impossible de ne pas reconnaître tout d'abord en elle, une trèsgrande et très-belle ville. On peut même dire que l'effet qu'elle produit aujourd'hui, doit être le même qu'elle produisait au temps de sa plus brillante splendeur.

en

En Perse, en effet, les maisons ou les quartiers abandonnés n'ont pas extérieurement et ne présentent pas à l'œil cet aspect triste et délabré qu'ils ont dans nos pays. Les maisons n'ont point de façade sur la rue; rien n'est apparent, et tout ce qui contribue à en rendre l'habitation commode ou agréable, tout ce qui en fait le luxe se trouve à l'intérieur, et caché derrière des murs qui les dérobent à l'œil du passant. Il en résulte qu'on peut s'y méprendre, et parcourir des quartiers entiers sans se douter que les maisons sont désertes et tombent en ruines. A plus forte raison, quand le voyageur approche d'Ispahan, qu'il aperçoit ses majestueuses mosquées dominer de toutes parts et briller étincelantes au-dessus des mille coupoles des bazars et d'un nombre considérable de palais ou d'habitations de toute sorte, peut-il se faire facilement illusion. Ce n'est qu'en pénétrant dans cette grande ville où se meut trop à l'aise sa population amoindrie, et en marchant au travers de ses rues solitaires, que l'on comprend tout

ce qu'elle a perdu depuis la fin tragique du dernier des Sophis.

J'ai dit qu'Ispahan était une ville secondaire, à l'époque où Châh-Abbas y fixa sa résidence. C'est lui qui, en effet, en a créé presque tous les édifices et embellissements. Ses immenses bazars, qui traversent la ville dans toute sa longueur et en faisaient un des principaux marchés de l'Asie, sont son ouvrage. Les palais et les mosquées resplendissants d'or et d'émail, de peintures et de marbres, tous ces beaux édifices pour lesquels le génie des Persans a prodigué les ressources de son goût original, tandis que le souverain prodiguait l'or, sont dus à la magnificence de ce prince qui a su mettre ainsi à profit, pour la renaissance des arts, l'exaltation d'idées qui avait déjà politiquement régénéré son peuple.

Les monuments les plus remarquables de la Perse moderne, surtout à Ispahan, ce sont les mosquées. Si l'on voulait juger de la dévotion des peuples par les frais d'embellissement qu'ils font pour décorer les lieux destinés à l'adoration de l'Etre Suprême, on ne pourrait se refuser à croire les nations de l'Orient éminemment plus religieuses que celles de l'Occident. En Europe, les palais des rois, les musées, Ies hôtels de ville, les maisons des particuliers même, rivalisent de richesse architectonique et d'ornements de toutes sortes, avec les temples chrétiens, qu'ils soient de style grec ou gothique. Chez les peuples musulmans, les architectes ont employé tout leur savoir, appliqué les inventions les plus élégantes de leur imagination à la construction et à la décoration des mosquées. Celles-ci dominent partout les villes; leurs puissantes

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