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CHAPITRE XIX.

Mirza-Ali, ministre des affaires étrangères. Présents offerts au Châh. - Son Fète donnée à l'ambassade par le Roi.

portrait.

Diner officiel.

J'allais très-souvent au camp royal, j'y avais fait quelques connaissances, et j'étais assez vite entré en intimité avec plusieurs personnages, entre autres avec le jeune ministre des affaires étrangères Mirza-Ali. Il avait vingt-deux ans, il était fils d'un des hommes les plus distingués de la Perse, Mirza-Massoud, qui occupait ce poste auquel son instruction, l'absence de préjugés nationaux ou religieux, et une aptitude particulière le rendaient très-propre. Il avait, dans ce poste, obtenu du roi une confiance qui portait ombrage au premier ministre. Hadji-Mirza-Hagassi, ne pouvant le faire tomber, résolut de l'éloigner; il lui fit donner par le Châh une mission diplomatique très-importante qui le forçait à rester dans le Khorassan. Les fonctions qu'il quitta, en partant, furent remises entre les mains de son fils. - Mais l'inexpérience de celui-ci, et la jalousie de l'ancien précepteur du Chah rendaient sa position difficile. Néanmoins, Mirza-Ali, qui avait de l'esprit à défaut d'habileté, tenait sa place avec un aplomb qui étonnait, pour son âge. La langue française,

qu'il connaissait assez bien, lui facilitait ses rapports avec les légations étrangères, et lui donnait, comme interprète, une importance toute spéciale auprès du Châh. Malheureusement pour lui, son inexpérience, ou cette avidité d'argent naturelle aux Persans, le conduisit plus tard à sa perte, en fournissant au vizir l'occasion de détruire la puissance de son rival, Mirza-Massoud, en accablant son fils déshonoré.

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Mais, lors de notre séjour à Ispahan, Mirza-Ali jouissait pleinement de sa faveur; sa tente, une des plus élégantes du camp royal, était entourée d'une foule de courtisans et de solliciteurs. Le ministre y tenait une petite cour, et s'y prélassait au milieu de toutes les douceurs de la vie orientale, vie d'oisiveté et de plaisirs sensuels recherchés sous toutes les formes. J'allais souvent le voir, il aimait à s'entretenir avec moi de l'Europe, de la France, mais je dois dire que sa conversation était presque toujours entrecoupée de puérilités qui me faisaient douter si tous les Persans, même les ministres, n'étaient pas de grands enfants. Nos instants de causerie intime avec S. E. étaient toujours ceux qui suivaient son sommeil du milieu du jour. Dans l'après-midi, quand il était éveillé, les Pichketmèts couvraient le tapis de sa tente de sorbets et de limonades glacées, à la rose, au jasmin ou au citron; ils apportaient les kalioûns où fumait le tombeki le plus velouté de Chiraz. La porte était fermée aux solliciteurs impatients, et nous devisions ainsi, le ministre en me parlant du Frenguistân, moi en faisant mon profit de tout ce qui pouvait m'instruire sur la Perse.

La tente de Mirza-Ali était le lieu de réunion où tous nous allions de préférence. On y trouvait toujours quelqu'un à

qui parler. En effet, indépendamment du ministre, il y avait son cousin Mirza-Ahmet, et son premier secrétaire MirzaMohamet-Ali qui savait passablement notre langue. Ce dernier était venu à Paris, il y avait une vingtaine d'années. Je leur dus, pour ma part, une foule de complaisances et de gracieusetés de tout genre, parmi lesquelles je compte les facilités qu'ils me donnèrent pour étudier des costumes de toutes sortes, depuis ceux du Châh chez le Sandoukdar, ou chef de sa garde-robe, jusqu'à l'uniforme de simple serbas. Pour les autres ministres, nous ne les connaissions pas. Ils étaient assez obscurs; leurs fonctions se bornaient presque à celles de commis. C'étaient des Mirzas portant le rouleau de papier et l'écritoire à la ceinture, scribes plutôt qu'hommes d'État, tous secrétaires du vizir.

Deux jours après la présentation officielle au roi de Perse, l'ambassadeur lui envoya les présents qui, à Paris, avaient été préparés et choisis pour lui être offerts. Parmi ces présents figuraient une magnifique pendule en bronzë doré du plus grand modèle, une grande quantité de pièces d'étoffes de Lyon et de tissus de verre, un service de Sèvres qui coûtait 18,000 francs, plusieurs grands ouvrages in-folio et des armes. Le Châh regarda tout, voulut tout voir en détail, et parut extrêmement satisfait.

Le même jour, le roi me fit dire qu'il désirait que je fisse le portrait du Veliât, son fils, âgé de huit ou neuf ans. J'en fus d'autant plus satisfait, que j'espérais par là arriver à faire aussi celui de S. M., que je désirais emporter en France. En effet, deux jours après, le roi m'ayant fait demander, j'accompagnai l'ambassadeur qui lui faisait une première visite non officielle. Nous lui trouvâmes un peu plus de

laisser-aller et une bonhomie que nous n'avions pu juger à première vue, cachée qu'elle était sous l'attitude réservée que son rang lui imposait dans une entrevue de cérémonie. Le Châh causa longtemps et avec une grande affabilité. Il remercia l'ambassadeur des présents qu'il lui avait envoyés. Ce fut l'occasion de parler de Napoléon, à cause d'une biographie de l'Empereur, accompagnée de gravures, qui faisait partie des cadeaux officiels. Le roi témoigna une grande admiration pour ce grand homme; il dit qu'il ferait traduire en persan l'histoire de sa vie, afin de la bien connaître dans ses moindres détails, et de la méditer. C'est une chose très-remarquable que cet enthousiasme qu'excite encore en Orient la gloire de l'empereur Napoléon. Il est, pour les Orientaux, le sujet le plus digne d'admiration dans les temps modernes ; et tous les souverains ou les hommes qui ont commandé des armées sont animés du désir un peu naïf de l'égaler. Mais ces esprits puérils, ces intelligences incultes ne perçoivent même pas à quelles conditions on devient un héros, par combien de vertus et de qualités éminentes on arrive à être un grand homme. Ils savent que la renommée de Napoléon remplit encore le monde, mais ils ne se doutent pas de l'importance, de la grandeur des titres qu'il a acquis à cette gloire impérissable. Leur ambition va d'un pas plus rapide que leur intelligence, et, leur vanité asiatique aidant, il en est qui se font l'illusion de se croire appelés à une renommée semblable.

Quelques jours après, je fus mandé par le Châh pour faire son portrait. L'étiquette ne me permettait pas de m'asseoir en sa présence; tout ce que la bienveillante affabilité du monarque pouvait m'accorder, c'était de m'accroupir sur mes ge

noux, en m'asseyant sur mes talons. On conçoit que, dans cette attitude, il était peu commode de dessiner. MehemetChâh posait assez bien, pour un roi, mais je dus prendre deux séances, ce qu'il m'accorda très-gracieusement. Je fis ainsi un croquis fidèle de la tête de S. M., et je finis le réste, c'està-dire son costume, à sa garde-robe que le Sandoukdar reçut l'ordre de mettre à ma disposition.

Pendant l'une des séances que j'avais obtenues de MehemetChâh, nous fumes dérangés deux fois. Une première, par des artilleurs qui lui amenaient deux pièces de canon fondues à Ispahan. Le roi les admira beaucoup, et, les regardant du haut de sa fenêtre, sans les examiner davantage, il répétait en turc, sa langue habituelle: Tchok-yakchi! mach-allah! Très-bien! merveilleux!

A peine s'était-il remis à poser, que des lamentations, des prières accompagnées de sanglots retentirent sous les fenêtres. C'était des femmes de la ville qui venaient l'implorer pour qu'il ne laissât pas partir le Mouchtaïd. Ce personnage, dont j'ai raconté les torts, je devrais dire les crimes, voyant son règne passé, et la ville d'Ispahan rangée désormais sous l'autorité royale, avait résolu de s'exiler et de se retirer à Kerbelâh. Les vieilles dévotes de la ville ne voulaient pas le laisser partir, et venaient intercéder au pied du trône pour empêcher l'exécution de ce projet. Au reste, ce chef de la religion était exécré de la majeure partie des habitants; et il est bien probable que c'était lui-même qui faisait jouer cette comédie, dans l'espoir que le Châh s'y laisserait prendre, et croirait à la nécessité de sa présence au milieu des Ispahanis. Mais il n'en fut rien, le roi fut sourd, le Mouchtaïd partit, et le gouvernement d'Ispahan fut mis entre

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