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les écrivains anglais, Malcolm, Ouseley, Morier, avaient donné, sur l'histoire et les coutumes de ce pays, des relations pleines d'intérêt.

Après tant d'explorateurs qui avaient parcouru la Perse, qui avaient dû apporter dans leurs courses un esprit investigateur et sans doute ingénieux à découvrir autant qu'à raconter, était-il prudent aux mandataires de l'Institut de revoir les mêmes lieux, d'étudier les mêmes monuments, le même peuple, et de refaire les mêmes travaux?

Cependant, il faut le dire, tous ces écrivains n'avaient vu et étudié sur place que comme le font des voyageurs qui explorent pour leur satisfaction personnelle, dont le temps et la bourse durent être économisés. N'observant que par goût et pour leur propre compte, n'étudiant que pour eux, ils n'ont sans doute pas apporté dans leurs investigations cette minutie de recherches, cette patience qui demandent beaucoup de temps, ou cette conscience qu'impose un devoir à remplir; l'archéologue lui-même ne fera que des études médiocrement fructueuses, s'il n'y apporte ces spécialités qui permettent de comprendre ou d'interpréter les moindres détails d'un temple ou d'un palais, d'un bas-relief ou d'une mosquée.

Nous croyons être dans le vrai, en disant qu'il n'est donné qu'aux explorateurs qui ont reçu une mission de leur gouvernement, qui sont investis de la confiance d'un corps académique, qu'il n'appartient qu'à ceux-là de satisfaire aux exigences d'un programme sévère, étendu, et devant servir de base à une œuvre dans laquelle se résument toutes celles qui ont précédé. De même, n'appartient-il qu'à un gouvernement de donner à ceux qu'il charge d'une mission étendue, sans limite pour la durée ou pour les frais de l'entreprise, tous les moyens et tout le temps de la mener à fin. On peut dire qu'il n'y a que les gouvernements qui fassent aujourd'hui de grandes choses. Les particuliers en font d'utiles, certainement; par leurs efforts réunis, ils parviennent à rendre de grands services, mais les États seuls peuvent tracer des plans aux grandes entreprises, les conduire à terme, et léguer à la postérité des œuvres destinées à faire faire de grands pas à la science ou aux arts.

Il faut le reconnaître, et ce sera justice de le dire ici, le gouvernement de la France, à toutes les époques, a encouragé les missions scienti

fiques, a fourni à des voyageurs dévoués les moyens d'entreprendre et d'achever, par des publications importantes, des travaux aussi honorables pour le pays qu'utiles pour la science. Le grand ouvrage sur l'Égypte a consacré les noms de Monge, de Denon ou du général Bonaparte qui aida de tout son pouvoir les recherches des savants qui escortaient ses soldats pendant les loisirs que leur laissait la victoire. Après eux, Champollion, mandataire de l'Institut et du gouvernement français, a trouvé, dans cet appui généreux, les moyens d'écrire, sur les tablettes hieroglyphiques du même pays, son nom en caractères que l'Europe connaît et n'oubliera jamais.

A côté de ces œuvres remarquables, qui ont acquis à leurs auteurs et à la France tant de titres à l'admiration du monde savant, nous pourrions citer les ouvrages sur la Morée, sur l'Asie Mineure ou sur l'Algérie, pour lesquels la reconnaissance des savants ne doit pas remonter plus à leurs auteurs qu'au gouvernement éclairé et libéral qui a su, avec tant d'à-propos, distribuer les fonds du budget de l'État. Ce que le gouvernement français avait fait pour l'Égypte et pour la Grèce, il a voulu le faire pour la Perse. Il a compris que l'histoire monumentale de ce pays était le complément de celle des deux autres. Il a senti qu'il y avait une lacune à combler dans l'histoire de l'art, et que cette lacune était due à l'imperfection des connaissances relatives à l'art et à la civilisation des Perses. Ce fut dans le but de ne rien laisser à désirer sous ce rapport, que les auteurs de cette publication reçurent la mission d'explorer complétement les diverses provinces de la Perse. Ils ne pouvaient borner leur séjour dans ce pays, à la durée d'une ambassade extraordinaire qui ne fit que passer. Pleins de zèle et de dévouement pour l'entreprise qui leur était confiée, ils saluèrent, à la fin de mai 1840, le départ de leurs compatriotes, et restèrent seuls en Perse. Ils ne tardèrent pas à s'enfoncer dans les régions les moins explorées. Afin de ne rien omettre, ils décrivirent, dans leurs courses toujours dirigées vers un but de découverte, un réseau de lignes obliques qui se croisaient, et qui ne permirent à aucune localité intéressante d'échapper à leurs investigations.

Les marches et contre-marches des deux voyageurs offrirent à leurs études dans l'Ouest et jusque sur le territoire de Bagdad, les villes

d'Hamadán, réputée l'antique Ecbatane, de Kingavar, qui passe pour l'ancienne Konkabar, les bas-reliefs et les inscriptions de Bi-Sutoun, et Kermáncháh, les fameuses grottes de Tágh-i-Bostán. Plus loin, passant la frontière persane, et descendant les versants occidentaux des monts Zagros, ils s'avancèrent jusqu'à Holván, et retracèrent les antiques monuments de Serpoul, Takht-i-Ghero et Dukan-Daoud.

Le moment n'était pas venu pour eux d'aller à Bagdad, et de visiter les déserts de la Babylonie. Ils restèrent en Perse, et, s'avançant vers le sud-est, ils parcoururent une région presque inconnue des voyageurs, et qui ne se trouve désignée sur aucune carte. Ils suivirent les vallées qui s'étendent au pied des montagnes du Loristán, ils passèrent à Boroudjerd et à Nehavend, célèbre par la bataille qui décida de la religion de Zoroastre vaincue par le Korán.

Après avoir réparé, à Ispahan, leurs forces que des chaleurs accablantes avaient épuisées, ils descendirent vers les provinces du Sud. Persépolis devait les arrêter. Le palais de Djemchid, comme l'appellent aujourd'hui les Persans, et tout le territoire environnant leur offraient trop de monuments et de vestiges intéressants à étudier pour qu'ils ne s'y arrêtassent pas longtemps. Aussi leur tente fut-elle dressée au milieu des ruines, et, après s'être partagé le travail, tous deux à l'œuvre, ils restèrent deux grands mois exclusivement occupés à fouiller, rechercher, étudier tout ce que cette terre jonchée de débris antiques pouvait offrir à leurs observations. Leur moisson, sur cette localité, fut la collection complète de tous les détails d'architecture, de sculpture ou d'inscriptions existant à Takht-i-Djemchid, Istakhr, Nákch-i-Roustám, Nákch-i-Redjáb et Cheik-Ali.

Encouragés par ce butin, ils continuèreut leur route vers le sud. Ils visitèrent d'abord quelques antiquités dans le voisinage de Chiraz. A Chapour, ils s'arrêtèrent étonnés de la hardiesse et du grandiose des tableaux sculptés sur les sombres rocs qui resserrent entre eux les eaux du torrent qui a conservé le nom du héros Sassanide. Les basreliefs et les ruines éparses de la ville de Chápour leur offrirent une fructueuse moisson. Les deux époques remarquables de l'art persan, celle des Archemenides et celle des Sassanides, éloignées l'une de l'autre, séparées par plusieurs siècles d'asservissement, se trouvaient

ainsi interprétées sur le papier, avec les nuances distinctives de leur caractère respectif, du génie artistique qui avait présidé à leur exécution.

D'autres études encore contribuèrent à augmenter le nombre des documents intéressants qui devaient faire apprécier une antiquité plutôt soupçonnée que réellement connue. Ils en trouvèrent les sujets sur les rivages du golfe Persique, à Firouzabad, à Fessa et Darábgherd. C'est dans cette partie de leur voyage, surtout, qu'ils découvrirent des monuments qui, s'ils n'étaient pas tous entièrement inconnus, étaient retracés pour la première fois. Ces antiquités avaient bien été entrevues par quelques voyageurs, mais elles n'avaient été recueillies d'une manière utile par aucun d'eux.

De là, remontant vers le nord, et traversant successivement les territoires de Teherán, de Tabriz et d'Ourmyah où se trouvait le rocher sculpté de Selmas, ils pénétrèrent au cœur du pays des Kurdes. Ils passèrent à Soaukboulak, et, franchissant la frontière de Perse à Banah, ils descendirent dans les plaines du Tigre par Solimanyèh, et atteignirent Bagdad. Là de nouvelles ruines les attendaient. C'était Ctesiphon avec son palais de Nouchirván, au bord du Tigre. Sur la rive éloignée de l'Euphrate, c'était Babylone, et Helláh, la ville éteinte, la capitale civilisée de la Babylonie et la ville arabe élevée, malgré les préjugés orientaux, sur les ruines et avec les débris de la cité morte.

De Babylone, le désir de voir, de connaître encore quelques-uns des mystères de l'antiquité réservés aux explorateurs studieux et ardents à la recherche, les conduisit à Mossoul, sur le territoire de Ninive. Mais le temps n'était pas encore venu de fouiller cette terre pour lui arracher son secret et son trésor. L'heure n'avait pas sonné où l'archéologue devait mettre un terme à l'accomplissement de la prophétie qui avait voué la grande pécheresse assyrienne à un oubli éternel (6).

Après deux années et demie de courses, de recherches, de fatigues et de dangers, les deux voyageurs rentrèrent en France. Chargés de butin, pliant sous le poids de cartons encore tout couverts de la poussière du désert, ils vinrent soumettre leurs travaux à l'appréciation éclairée de l'Académie des Inscriptions et de celle des Beaux-Arts.

L'État, qui avait subvenu si libéralement aux frais de ce long voyage, avant de lui donner la suite complémentaire qui devait le rendre profitable à la science et aux arts, voulait avoir l'assentiment de ces deux Académies. Une commission examina tous les matériaux qui avaient été recueillis, et elle fit un rapport (7) dont la conclusion était le désir de voir exécuter leur publication, dans l'intérêt de la science. M. Duchâtel, ministre de l'intérieur, crut devoir obtempérer au vœu exprimé par la commission académique; il fournit, aux frais de l'État, les moyens de publier tous ces travaux, et de leur donner ainsi la suite dont ils avaient été jugés dignes.

Les auteurs espèrent que leur ouvrage sera accueilli du public avec une bienveillance égale à celle des hommes spéciaux qui lui ont donné leur approbation. Ils désirent que l'on y reconnaisse la preuve d'un sentiment d'orgueil national qu'ils ont cherché à satisfaire en faisant tous leurs efforts pour que le premier rang soit et demeure assigné à leur œuvre entreprise et terminée sous le patronage du gouvernement français.

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