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III

TROIS CONTEMPORAINS

DE CORNEILLE

CHAPELAIN. ROTROU SCARRON.

CHAPELAIN (JEAN)

(1595-1674)

Poëte et critique à la fois, poëte admiré de son temps, du moins jusqu'à l'impression de la Pucelle, critique révéré de ses contemporains, même après sa mort, Chapelain est le fidèle représentant du goût d'un temps dont il fut l'oracle. En cessant d'admirer ses vers, on ne leur reprocha point d'avoir démenti ses principes, et son autorité dans le monde lettré ne perdit rien à la défaveur où tombèrent ses vers. C'est donc là qu'il faut chercher ce que le XVII siècle naissant savait et pensait sur l'art poétique; et comme juge de Corneille et prédécesseur de Boileau, Chapelain est digne d'attention.

Jean Chapelain naquit le 4 ou le 5 décembre 1595, d'un notaire de Paris. La profession de son père aurait

convenu à son caractère paisible et prudent, à son esprit doux, rangé et réglé; mais « si son astre, en naissant,» ne l'avait pas «< formé poëte,» du moins était-il prédestiné à faire des vers. La mère de Chapelain était fille de Michel Corbière, ami de Ronsard; sa jeunesse avait été frappée et son imagination était encore occupée de la gloire du «prince des poëtes; » elle ambitionna la même gloire pour un fils dont l'esprit flattait les espérances de son orgueil maternel; et si elle se contenta de souhaiter à son fils le sort de Ronsard, sans y comprendre son talent, ses vœux furent comblés au-delà de ce qu'elle osait désirer. Chapelain, «roi des auteurs1» tant qu'il a vécu, célèbre depuis sa mort comme le modèle des poëtes illisibles, semble, en fils soumis, avoir pris à tâche d'accomplir la destinée que lui avait prescrite sa mère. Ses études furent conformes à la carrière pour laquelle on le préparait; il eut entre autres pour maître Nicolas Bourbon, célèbre poëte latin de ce temps, qui avait, pour les vers français, un tel mépris que, lorsqu'il en lisait, il lui semblait, disait-il, qu'il buvait de l'eau, ce qui était pour lui la pire des injures. Chargé ensuite de l'édu

Comme roi des auteurs qu'on l'élève à l'empire.

(BOILEAU, Sat. IX, v. 219.)

2 Avec son goût pour le bon vin et la bonne chère, Nicolas Bourbon était avare; outre son avarice, il était tourmenté par de continuelles insomnies; et de ces trois dispositions combinées résultait

cation des deux fils du marquis de La Trousse, Chapelain employa les dix-sept années que dura cette éducation à étudier la poétique, du moins ce qu'on en savait alors. Une plaisanterie désagréable le, confirma dans ses goûts purement littéraires. Le marquis de la Trousse, prévôt de l'hôtel, lui avait donné, soit avant, soit pendant l'éducation de ses enfants, une charge d'archer de la prévôté cette charge conférait1 le droit, ou l'obligation de porter l'épée, et l'épée convenait peu au caractère de Chapelain; les gens de lettres, alors, ne se croyaient pas obligés à la bravoure, et, de tous les hommes de lettres, Chapelain était le

une infirmité singulière, c'est qu'une invitation à dîner, faite d'avance, lui causait une agitation qui l'empêchait de dormir, en sorte qu'il fallait avoir soin de ne l'envoyer prier que le jour même.

(Menagiana, t. I, p. 315.)

'Une ancienne copie manuscrite du Chapelain décoiffé, parodie bien connue de la scène du Cid, contient ces vers cités dans le Menagiana, et qu'on a changés depuis:

CHAPELAIN.

Tout beau! j'étois archer, la chose n'est pas feinte;

Mais j'étois un archer à la casaque peinte :
Mon juste-au-corps de pourpre et mon bonnet fourré

Sont encor les atours dont je me suis paré;
Hoqueton diapré de mon maître La Trousse,
Je le suivois à pied quand il marchoit en housse.

LA SERRE.

Recors impitoyable et recors éternel,
Tu trafnois au cachot le pâle criminel.

(Menagiana, t. II, p. 78 et 79.)

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