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(Page 265.)

No V.

SUR LA TRADUCTION EN VERS

DE L'IMITATION DE JÉSUS-CHRIST, PAR CORNEILLE.

(1654-1656)

Corneille commença cet ouvrage en 1651, et publia les vingt premiers chapitres du Livre I à Rouen, vers la fin de cette année, presque au moment où François de Harlay de Chanvallon, qui devint plus tard (en 4671) archevêque de Paris, prenait possession de l'archevêché de Rouen. « Comme ce prélat, dit Corneille, dans sa dédicace au Pape Alexandre VII (Fabio Chigi, élevé au SaintSiége le 7 avril 1655) a des talents merveilleux pour remplir toutes les fonctions d'un grand pasteur, et une ardeur infatigable de s'en acquitter, les plus belles lumières qui m'aient servi à l'exécution de cette entreprise, je les dois toutes aux vives clartés des instructions éloquentes et solides qu'il ne se lasse point de donner à son troupeau, ou aux rayons secrets et pénétrants que sa conversation familière répand à toute heure sur ceux qui ont le bonheur de l'approcher.... Je lui ai voulu faire, en lui dédiant mon ouvrage, non pas tant un présent de mon travail qu'une restitution de son propre bien. Mais la bonté que cet archevêque a' pour moi, l'a préoccupé jusques à lui persuader que, cet essor de ma plume pouvant être utile à tous les Chrétiens, il lui falloit un protecteur dont le pouvoir s'étendit sur toute l'Église; et l'ayant regardé comme le premier fruit des Muses chrétiennes depuis qu'il occupe la chaire de Saint-Romain, il a cru que l'offrir à Votre Sainteté, c'étoit lui offrir en quelque sorte les prémices de son diocèse. Ses commandements ont fait taire cette juste défiance que j'avois de

ma foiblesse ; et ce qui n'étoit sans eux qu'un effet d'une insupportable présomption, est devenu un devoir indispensable pour moi, sitôt que je les ai reçus. Oserai-je avouer qu'ils m'ont fait une douce violence? »

Alexandre VII était poëte lui-même. Il avait, dans sa jeunesse, composé des poésies latines que l'on imprima au Louvre en 1656, après son exaltation sous ce titre : Philomathi musæ juveniles. Corneille lut ces poésies, et les admira beaucoup, surtout celles où il est parlé de la mort. Il termina et publia alors, en 1656, la cinquième et dernière partie de sa traduction de l'Imitation de Jésus-Christ, dont les 2o, 3o et 4o parties avaient paru à Rouen en 1652, 1653 et 1654: a Oserai-je avouer, dit-il, dans sa dédicace au pape, que j'ai été ravi de pouvoir prendre cette occasion d'applaudir à nos Muses, et de vous remercier pour elles des moments que vous avez autrefois ménagés en leur faveur, parmi les occupations illustres où vous attachoient les importantes négociations que les Souverains Pontifes, vos prédécesseurs, avaient confiées à votre prudence. Elles en reçoivent ce témoignage éclatant et cette preuve invincible que non-seulement elles sont capables des vertus les plus éminentes et des emplois les plus hauts, mais qu'elles y disposent même, et conduisent l'esprit qui les cultive, quand il en sait faire un bon usage. C'est une vérité qui brille partout dans ce précieux Recueil de vers latins, où vous n'avez point voulu d'autre nom que celui d'Ami des Muses,—et que ce grand Prélat (Harlay de Chanvallon) a pris plaisir de me faire voir des premiers. Il me l'a fait lire, il me l'a fait admirer avec lui; et pour vous rendre justice partout durant cette lecture, je ne faisois que répéter les éloges que chaque vers tiroit de sa bouche. Mais entre tant de choses excellentes, rien ne fit alors et ne fait encore, tous les jours, une si forte impression sur mon âme, que ces rares pensées de la mort que vous y avez semées si abondamment. Elles me plongèrent dans une réflexion sérieuse qu'il falloit comparoître devant Dieu, et lui rendre compte du talent dont il m'avoit favorisé.

Je considérai ensuite que ce n'étoit pas assez de l'avoir si heureusement réduit à purger notre théâtre des ordures que les premiers siècles y avoient comme incorporées et des licences que les derniers y avoient souffertes; qu'il ne me devoit pas suffire d'y avoir fait régner en leur place les vertus morales et politiques, et quelques-unes même des chrétiennes; qu'il falloit porter ma

reconnoissance plus loin, et appliquer toute l'ardeur du génie à quelque nouvel essai de ses forces, qui n'eût point d'autre but que le service de ce grand maître et l'utilité du prochain. C'est ce qui m'a fait choisir la traduction de cette sainte morale qui, par la simplicité de son style, ferme la porte aux plus beaux ornements de la poésie; et, bien loin d'augmenter ma réputation, semble sacrifier à la gloire du souverain auteur tout ce que j'en ai pu acquérir en ce genre d'écrire.

Après avoir ressenti des effets si avantageux de cette obligation générale que toutes les Muses ont à V. S., je serois le plus ingrat de tous les hommes si je ne lui consacrois un ouvrage dont elle a été la première cause. Ma conscience m'en feroit, à tous moments, des reproches sensibles.

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L'ouvrage fut approuvé, avant sa publication, par deux docteurs en Sorbonne, Robert Le Cornier de Sainte-Hélène et Antoine Gaulde, vicaires généraux de M. de Harlay. Sur les gardes d'un exemplaire donné en 1831 à la bibliothèque publique de Rouen, par M. Henri Barbet, maire de la ville, on lit, écrits de la main de Corneille, ces mots :

« Pour le R. P. Dom Augustin Vincent, chartreux, son trèshumble serviteur et ancien ami, CORNEILLE. >>

No VI.

(Page 268.)

SUR LES PENSIONS ET DONS FAITS A CORNEILLE,

SOUS LOUIS XIII ET LOUIS XIV.

:

Que Corneille eût part aux libéralités du cardinal de Richelieu, cela n'est pas douteux, Recevait-il de lui une pension? Quelle en fut la date précise, et quelle en était la quotité? On ne saurait le déterminer avec certitude.

Mazarin fit aussi des dons à Corneille, sans doute avec moins de libéralité que Richelieu.

La dédicace de Cinna, à M. de Montauron, et plusieurs petits faits prouvent que des personnages riches, financiers ou autres, donnèrent aussi à Corneille des marques de leur munificence.

Ce furent les libéralités de Fouquet qui, en 1658, déterminèrent Corneille à travailler encore pour le théâtre.

En 1662, Colbert, d'après l'ordre de Louis XIV, fit dresser, par Costar et par Chapelain, chacun séparément, une liste des savants et des lettrés qui méritaient les faveurs du Roi. On lit sur la liste dressée par Costar:

« CORNEILLE. Le premier poëte du monde pour le théâtre. » Et sur celle de Chapelain :

« CORNEILLE (Pierre), est un prodige d'esprit et l'ornement du Théâtre-François. Il a de la doctrine et du sens, lequel paroît néanmoins plus dans tout le détail de ses pièces que dans le gros, où très-souvent le dessein est à faux ; à les faire tomber parmi les plus communes si ce défaut d'art général n'étoit récompensé amplement par l'excellence du particulier qui ne sauroit être plus exquis dans l'exécution des parties. Hors du théâtre, on ne sait s'il réussiroit en prose et en vers, agissant de son chef, car il a peu d'expérience du monde et ne voit guère rien hors de son

métier. Les paraphrases sur l'Imitation de J.-C. sont très-belles, mais c'est plus traduction qu'invention, »

Corneille reçut alors du Roi une pension de 2000 livres.

Il en avait obtenu, en 1655, un don indirect dont on ne saurait déterminer exactement la valeur. Le 45 avril 1645, Mathieu de Lampérière, son beau-père, était mort, en possession de l'office de lieutenant particulier civil au bailliage présidial de Gisors, établi aux Andelys. L'office vacant échut à Pierre Corneille, aux droits de sa femme, Marie de Lampérière, et pour la part de celle-ci dans l'héritage; Corneille (qui s'était démis antérieurement de la charge d'avocat du Roi à la Table de Marbre du Palais, à Rouen), ne désirant pas exercer celle de lieutenant-particulier civil, aux Andelys, la résigna à Marin Duval, qui en fut pouryu par le Roi, et prêta serment en cette qualité, le 2 décembre 1651, devant le Parlement de Rouen. Les gages attribués à l'office, échus durant l'intermédiat (c'est-à-dire pendant que la charge avait été vacante), du 45 avril 4645 au 2 décembre 1654, jour de la cessation de la vacance, devaient, régulièrement, faire retour au trésor. Mais Louis XIV signa, le 7 septembre 1655, des lettres patentes, dites d'intermédiat, en vertu desquelles la totalité des gages échus pendant la vacance de l'office appartint à Pierre Corneille, à qui le Roi en fit don. Ces lettres sont adressées à la Chambre des Comptes de Rouen, avec ordre de passer et allouer en compte à Pierre Corneille lesdits gages et droits appartenant audit office; et ce, depuis le 45 avril 1645 jusqu'au 2 décembre 4654.

Le 27 novembre 1655, la Chambre des Comptes de Rouen, sur la requête à elle présentée par Pierre Corneille, écuyer, ordonna, par un arrêt, l'enregistrement de ces lettres patentes, qui existent dans les Mémoriaux de la Chambre des Comptes de Rouen 1, d'où M. Floquet a bien voulu extraire pour moi ces renseignements.

Entre l'année 1674, époque de la mort de son fils, lieutenant de cavalerie, tué au siége de Graves, et l'année 1683, époque de la mort de Colbert, on rencontre la supplique suivante adressée par Corneille,à Colbert sans doute, et sans qu'on puisse en déterminer la date précise:

Monseigneur,

« Dans le malheur qui m'accable, depuis quatre ans, de n'avoir

Tome LXXIII, fol. 219, Archives de la Préfecture.

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