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gentilhomme breton, ce livre m'avait tout Fair d'avoir été écrit par un Normand, et un Normand bien instruit des affaires du temps. Je ne tardai guère à m'en convaincre, et à dire avec un pamphlet de la même époque : « Ce Breton-là a veu plus souvent l'emboucheure de la Seine que celle de la Loire 1. » Mais quelle ne fut pas ma joie de trouver dans cet écrit la solution du problème qui m'avait quelque temps occupé ! Après avoir amplement défendu le duc de Longueville, et cherché à montrer l'injustice des traite. ments rigoureux dont ce prince avait été l'objet, l'apologiste en venait aux créatures du duc qui avaient été enveloppées dans sa disgrâce, et on pense bien que l'avocat Baudry n'était pas oublié. << Leur rage, disait le gentilhomme breton, ne s'est pas seulement << attachée à la personne et aux parens de monsieur le duc de Longueville, mais encore à toutes ses créatures, et à des personnes << mesmes qui n'en avoyent que des dépendances bien éloignées : << tesmoin le sieur Baudry, fameux advocat au parlement de Nor«mandie, qui, ayant été syndic des Estats l'espace de dix-sept ans, « après avoir esté nommé par le peuple et toujours fort estimé de « la province, aussi bien que du conseil et du Parlement, s'est veu « démis de sa charge, pour ce qu'il estoit considéré de M. le duc « de Longueville, et que le lieutenant-général Roques n'a pu luy pardonner la belle faute qu'il fit en présentant à la maison de « ville les lettres de bailly en faveur de son Altesse, comme les « ministres luy veulent mal pour la harangue qu'il fit sur le subject <«< de la survivance accordée par la reyne à monsieur le' comte de « Dunois 2. >>

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C'est ici l'histoire de l'avocat Bandry, et elle ne nous importe guère; mais ce qui suit devient plus intéressant pour nous.

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« Le sieur Baudry, continue l'apologiste, a du moins cette con<< solation dans sa disgrâce, qu'on ne luy a osté la protection du peuple que pour ce qu'on le veut impunément opprimer (le peuple), et qu'il n'a pas failly dans sa charge, En effet, on luy a « donné un successeur qui sçait fort bien faire des vers pour le a théâtre (le sieur Corneille, poëte fameux pour le théatre, dit ici

«

1 Desadveu du libelle intitulé: APOLOGIE PARTICULIÈRE DE M. LE DỤC DE LONGUEVILLE, etc., 1651. In-4o de 42 pages.

2 Apologie particulière, pages 114 et 415.

3 Il faut entendre ici le pouvoir de protéger le peuple.

:

(Note de M. Floquet.)

« une apostille imprimée en marge), mais qu'on dit estre assez « malhabile pour manier de grandes affaires. Bref, il faut qu'il « soit ennemy du peuple, puisqu'il est pensionnaire de Mazarin. »

Le gentilhomme breton, vous le voyez, n'y allait pas de main morte, et c'était bien à l'auteur du Cid qu'il s'en prenait; car, à cette époque, Thomas n'avait fait représenter encore que deux pièces, les Engagements du hasard, et le Feint Astrologue. Pierre Corneille, au contraire, régnait au théâtre; on ne connaissait, on ne connut longtemps encore qu'un seul Corneille, le grand, l'auteur de Cinna, de Rodogune et des Horaces; et quel autre aurait-on pu, en 1650 surtout, qualifier de poëte fameux pour le théâtre ?

Au reste, ces fonctions de procureur-syndic, ôtées à l'avocat Baudry, au si grand déplaisir des amis du duc de Longueville, il n'y a guère d'apparence qu'elles eussent été ardemment convoitées par Pierre Corneille, qu'ils en avaient vu revêtir avec tant de chagrin. Le poëte n'avait en tête, pour l'heure, qu'Andromède et Don Sanche d'Aragon; le moyen, avec cela, de penser au syndicat de nos États provinciaux? Naguère Michel Montaigne s'était ainsi trouvé, un beau jour, maire de Bordeaux, sans y avoir songé; et les administrés de la Guyenne avaient tous, à qui mieux mieux, dormi en paix sous un maire qui, lui-même, ne veillait guère. Je gagerais bien que Pierre Corneille n'avait pas songé davantage à la charge de procureur-syndic; qu'il s'en tourmenta peu lorsqu'il en fut revêtu, et que, comme il se l'était laissé donner sans plaisir, il se la vit ôter sans regret, après l'avoir occupée sans grand labeur. Au reste, il demeura peu de temps en fonctions. A un an de là, les portes de la citadelle du Hâvrè s'étaient ouvertes pour les trois princes prisonniers. Corrigé par le malheur, le duc de Longueville s'était bien promis de demeurer tranquille désormais; il tint parole; la duchesse de Longueville et le prince de Condé, qui n'épargnèrent rien pour l'engager dans de nouvelles intrigues, y perdirent leur peine. Le moyen après cela de ne pas rendre à un prince si soumis tous les droits, tout le pouvoir dont ses prouesses de 1649 l'avaient fait dépouiller? Mais comment aussi ce prince aurait-il pu ressaisir son ancienne puissance sans se ressouvenir de ses fidèles amis qui avaient souffert avec lui et pour lui? C'est ce qu'avait compris la cour; et il fut permis au duc de rendre à toutes ses créatures les places dont elles avaient été dépouillées; on vit donc rentrer au Vieux-Palais le marquis de Beuvron et La Fontaine-du-Pin; on vit reparaître le

conseiller Montenay à la tête de sa compagnie de la garde bourgeoise; et enfin, le 24 mars 1651, M. Duhamel, premier conseilleréchevin, apporta à l'hôtel-de-ville une lettre de cachet du 15 mars qui rétablissait Me Baudry dans sa charge naguère donnée à Corneille, et ordonnait à tous de le reconnaître en cette qualité, tout comme avant sa destitution.

C'en était donc fait du syndicat de Pierre Corneille; mais sans doute il se résigna sans trop de chagrin. Il terminait alors son Nicomède, se demandant peut-être quel effet produirait au théâtre ce ton ironique et railleur que, jusqu'alors, le cothurne ne connaissait pas : il pensait fort à la Bithynie, et apparemment peu à la Normandie et à ses États.

C'est avoir raconté bien longuement, peut-être, un bien petit fait qui, certes, n'ajoute rien à la gloire de Corneille ; mais pas un de ses biographes n'avait pu lire toutes ces lettres de cachet ensevelies dans les registres de l'hôtel-de-ville et du palais; pas un ne semble avoir lu l'Apologie du duc de Longueville qui en est le curieux commentaire. On peut donc pardonner quelque chose à ma joie d'avoir trouvé du nouveau, si médiocre qu'il soit, sur un grand homme dont on a tant parlé depuis deux siècles.

(Page 257.)

No IV.

COMPARUTION DE PIERRE CORNEILLE

DEVANT LE LIEUTENANT DE POLICE, AU CHATELET, POUR CONTRAVENTION AUX RÈGLEMENTS SUR LA VOIRIE.

(Juillet 1667.)

Lettre du 30 juillet 1667 à Madame..., par Robinet.

(Extrait de la Muse historique de Loret.)

« Avant

que d'achever ma lettre,

Je dois encore un mot y mettre

De ce qui se passe à Paris,

Et cela pourra bien réveiller les esprits.

La police est toujours exacte au dernier point;
Elle ne se relâche point.

Jugez-en, s'il vous plaît, par ce que je vais dire:
Vous pourrez bien vous en sourire;

Mais vous en concluerez, et selon mon souhait,
Qu'il ne faut pas vrayement, que notre bourgeoisie
Nonchalamment oublie

De tenir son devant, matin et soir, fort net.
Vous connoissez assez l'aîné des deux Corneilles,
Qui pour vos chers plaisirs produit tant de merveilles
Hé bien, cet homme là, malgré son Apollon,

Fut naguère cité devant cette police,

Ainsi qu'un petit violon,

Et réduit, en un mot, à se trouver en lice,

Pour quelques pailles seulement,

Qu'un trop vigilant commissaire
Rencontra fortuitement

Tout devant sa porte cochère.
Jugez un peu quel affront!

Corneille, en son cothurne, étoit au double mont
Quand il fut cité de la sorte;

Et, de peur qu'une amende honnît tous ses lauriers,
Prenant sa muse pour escorte,
Il vint, comme le vent, au lieu des plaidoyers.
Mais il plaida si bien sa cause,
Soit en beaux vers ou franche prose,
Qu'en termes gracieux la police lui dit :
« La paille tourne à votre gloire;
Allez, grand Corneille, il suffit. »
Mais de la paille il faut vous raconter l'histoire,
Afin que vous sachiez comment

Elle étoit à sa gloire, en cet événement :
Sachez donc qu'un des fils de ce grand personnage
Se mêle, comme lui, de cueillir des lauriers,
Mais de ceux qu'aiment les guerriers,

Et qu'on va moissonner au milieu du carnage.
Or, ce jeune cadet, à Douay faisant voir
Qu'il sait des mieux remplir le belliqueux devoir,
D'un mousquet espagnol, au talon, reçut niche,
Et niche qui le fit aller à cloche-pié;

Si bien qu'en ce moment étant estropié,

Il fallut, quoi qu'il dît, sur ce cas, cent fois, briche, Toute sa bravoure cesser

Et venir à Paris pour se faire panser.

Or ce fut un brancard qui, dans cette aventure,
Lui servit de voiture,

Étant de paille bien garni :

Et comme il entra chez son père,
Il s'en fit un peu de litière.

Voilà tout le récit fini,

Qui fait voir à la bourgeoisie

(Il est bon que je le redie),

Qu'il faut, comme par ci-devant,

Qu'elle ait soin de tenir toujours net son devant. »

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