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DEUX

L'AME ENFERMÉE.

EUX étudiants espagnols allaient ensemble à Salamanque. Ayant soif, ils s'arrêtèrent au bord d'une fontaine qu'ils rencontrèrent sur leur chemin. 5 Là, tandis qu'ils se désaltéraient, ils virent par hasard auprès d'eux, sur une pierre, quelques mots déjà un peu effacés par le temps. Ils jetèrent de l'eau sur la pierre pour la laver, et ils lurent ces paroles: Ici est enfermée l'âme de Pierre Garcias.

[O Le plus jeune de ces deux étudiants eut à peine lu

cette inscription, qu'il s'écria: Ma foi, rien n'est plus plaisant ! Ici est enfermée l'âme · une âme enfermée ! faire une si En achevant ces paroles, il se 15 leva pour s'en aller. Son compagnon, plus judicieux, se dit en lui-même : Il y a là-dessous un mystère; je veux demeurer ici pour l'éclaircir. Il laissa partir l'autre, et, sans perdre de temps, il se mit à creuser avec un couteau autour de la pierre. Il fit si bien 20 qu'il l'enleva. Il trouva dessous une bourse de cuir

Je voudrais bien savoir quel fou a pu ridicule épitaphe.

qui renfermait deux cents ducats, avec une carte, où il y avait ces paroles en latin: Sois mon héritier, toi qui as eu assez d'esprit pour deviner le sens de l'inscription, et fais un meilleur usage de mon argent que moi. L'étudiant

ravi de cette découverte, mit l'âme dans sa poche et continua son chemin.

HENRI IV ET LE PAYSAN.

C'ÉTAIT en 1600.

Henri IV, après avoir chassé

aux environs de son château de Nérac, revenait à 5 sa demeure royale, fatigué et tourmenté d'une soif ardente. Une chaumière s'offre à sa vue, il s'en approche et voit un paysan qui est occupé, dans son jardin, à cueillir des pêches.

Tu as là de très beaux fruits, mon brave! lui 10 dit-il, je t'assure que j'en mangerais un avec plaisir.

Le paysan choisit aussitôt les plus belles pêches et les présente au monarque. Le prince, après s'être rafraîchi, lui dit: Grand merci, mon ami, apporte-moi demain au château de Nérac une corbeille de tes pêches 15 qui sont excellentes. Sire, répond le paysan, je n'y

manquerai pas.

Le lendemain, le villageois se met en route, chargé d'une corbeille remplie des plus beaux fruits, qu'il a arrangés avec goût et entourés de quelques fleurs. Il 20 est bientôt arrivé; mais quel est son étonnement lorsque le concierge du château l'empêche d'entrer et le repousse durement.

Le pauvre homme parle en vain de l'ordre du roi. Chansons! lui répond le cerbère, on n'entre pas. 25 Alors le paysan se met à raconter au concierge tout ce qui s'est passé, la veille, entre le prince et lui.

A d'autres s'écrie le gardien de la porte du roi, à d'autres nous ne sommes pas si crédules.

En vain le villageois répète-t-il dix fois son récit, dont il atteste la vérité en invoquant tous les saints, il reste à la porte. Enfin le cerbère de la demeure royal lui dit: Si tu me promets la moitié de ce que le roi te 5 donnera pour tes fruits, je te laisserai entrer.

ΙΟ

D'abord le paysan repousse cette proposition avec indignation, mais, voyant qu'il n'y a pas d'autre moyen d'entrer, il accepte les dures conditions qu'on lui fait. Il parvient enfin jusque devant le roi.

Ah! te voilà, mon brave, lui dit Henri. Bien, je suis content de ton zèle, et vais te récompenser. Aussitôt il met dans la main du paysan quelques pièces d'or. Celui-ci les examine en souriant d'un air embarrassé. Est-ce que tu n'es pas content? lui dit 15 le roi. Bien au contraire, Sire... Seulement, si tout était pour moi... Mais, c'est bien à toi seul que j'entends donner ces pièces d'or. Il faut pourtant que j'en remette la moitié au concierge de Votre Majesté.

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Le roi demande l'explication de ces paroles. Après quelques hésitations le paysan lui fait un récit fidèle de ce qui s'est passé à la porte du château. Comment, mon concierge veut partager avec toi? Eh bien! garde l'or que je te donne, tu vas lui faire part d'une tout 25 autre récompense. Prends ce bâton, c'est avec cette monnaie que tu le payeras; je te le permets, je te l'ordonne même. Ne va pas cependant le frapper trop

fort.

Cette dernière recommandation du bon monarque 30 n'était pas inutile; la main démangeait bien fort au paysan. Il fait sa révérence au roi, cache le bâton du

mieux qu'il peut, traverse la cour du château et arrive à la porte de la grille. Le concierge l'y attendait déjà avec impatience.

Eh bien lui crie-t-il, le roi a-t-il été généreux ? - Le plus généreux du monde, je vais te faire ta part. 5 Le concierge tend sa main, le paysan la saisit avec force et administre au cerbère une volée de coups de bâton sur le dos. Le malheureux concierge appelle de toutes ses forces au secours; la garde accourt et on allait arrêter le paysan qui était loin d'être fatigué, lorsque 10 coup Henri IV paraît.

tout

à

- Laissez ce brave homme en paix, dit-il aux soldats, il n'a agi que d'après mes ordres. Puis s'adressant au concierge Cette fois, tu en es quitte pour quelques bons coups de bâton. Si tu t'avises encore une fois de 15 rançonner mes sujets à la porte de mon château, je te chasserai sans pitié.

LA FORÊT De la misère.

N jeune homme se trouvait, par une froide soirée

était suffisant pour inspirer l'effroi.

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Le jeune homme marchait vite; une préoccupation visible assombrissait son front et absorbait toute sa pensée, car il ne s'aperçut pas qu'au fur et à mesure qu'il avançait, les arbres et les arbustes devenaient plus 25 rapprochés les uns des autres, et que les chemins se raréfiaient.

Et il avançait toujours.

Mais bientôt, désespérant de pouvoir sortir du laby

rinthe où il s'était engagé, il se laissa tomber sur le sol à bout d'efforts.

Il demeura longtemps à cette place, car le froid avait glacé ses membres engourdis, et la fatigue d'une longue 5 marche avait épuisé ses forces.

Soudain, la douleur lui fit jeter un cri dont l'écho retentit au loin.

Il releva la tête: trois hommes étaient debout devant lui, sans qu'il les eût ni vus ni entendus venir.

ΙΟ Il tressaillit: le regard des trois hommes s'attachait obstinément sur le sien.

L'un était revêtu d'une longue robe de drap d'or, serrée au corps par une ceinture dont l'agrafe de diamants brillait d'un éclat phosphorescent; à son côté 15 pendait une épée.

Le second portait une robe noire et une ceinture rouge.

Le troisième avait une tunique en toile bleue et une ceinture de cuir; il tenait à la main une cognée sur 20 laquelle il s'appuyait.

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gnons,

moi.

Que fais-tu là? dirent en chœur les trois compa

- J'agonise, répondit le jeune homme, ayez pitié de

Que veux-tu ? reprirent les premiers.

Sortir au plus vite de cette forêt maudite.

· Choisis donc celui de nous trois qui devra t'accompagner, car il ne te faut qu'un guide, et c'est à toi de le désigner.

Le jeune homme envisagea chacun des trois hommes qui attendaient en silence le résultat de l'examen; et il

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