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Réparti par hectare sur la superficie totale du Royaume-Uni, le total du produit brut ainsi réduit donnait les résultats suivants :

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Les réflexions naissent en foule à l'aspect de ces tableaux. Pendant que la France prise dans son ensemble produit 100 francs par hectare, l'Angleterre proprement dite en produit 200. Les seuls produits animaux d'une ferme anglaise sont égaux au moins à la totalité des produits d'une ferme française de surface égale; tous les végétaux sont en sus. A ne considérer que les trois grandes espèces d'animaux domestiques, les moutons, le gros bétail et les porcs, sans tenir compte des volailles, les Anglais en tirent quatre fois plus que nous en viande, lait et laine. Parmi les végétaux, quand le sol français ne rapporte pas tout à fait un hectolitre et demi de froment par hectare, le sol anglais en rapporte trois, et il donne en outre cinq fois plus de pommes de terre pour la nourriture humaine. Il ne produit ni seigle, ni maïs,

ni sarrasin, mais il prend abondamment sa revanche pour l'orge et l'avoine, et il en a besoin, car moins heureux que nous il doit demander à un de ces grains la boisson nationale. << Nous sommes forcés, dit Arthur Young d'avoir recours à nos meilleures terres pour notre bière; le climat des Français leur donne une grande supériorité sous ce rapport, en leur permettant d'utiliser pour la vigne les sols les plus stériles. >>

Ici les produits animaux deviennent sensiblement supérieurs aux produits végétaux; nous retrouverons au moins le même rapport dans le pays de Galles et en Écosse; l'Irlande seule offre, comme la France, la proportion contraire.

Cette supériorité de produits se démontre d'ailleurs par deux faits qui servent à contrôler les chiffres donnés par la statistique : le premier est l'état de la population, le second le prix vénal des terres.

Lors du démembrement de 1841, la population totale du Royaume-Uni était de 27 millions d'âmes, et celle de la France de 34. Ainsi, quand le Royaume-Uni nourrissait presque une tête humaine par hectare, la France en nourrissait une seulement par hectare et demi : en supposant la consommation égale des deux parts, ce qui doit être exact dans l'ensemble, car si la population anglaise consomme plus que la population française, la population irlandaise consomme moins, nous retrouvons à peu près le même résultat que par l'examen comparatif des deux agricultures; la balance penche même un peu du côté du Royaume-Uni : l'importation des denrées alimentaires rétablit l'équilibre.

Si nous divisons les deux populations par régions, la comparaison nous donnera des résultats de détail qui confirmeront ceux d'ensemble.

L'Angleterre proprement dite, même en y comprenant le pays de Galles, nourrissait en 1841, quatre têtes humaines sur trois hectares, ce qui se retrouve en France dans les départements où la production est aussi forte ; l'Ecosse prise dans son ensemble n'avait qu'une tête sur 3 hectares, et notre région du centre et de l'est une sur 2; l'Irlande comptait une tête par hectare, et notre région du sud-ouest une sur 2, ce qui indiquerait pour l'Irlande une production double; mais la malheureuse population irlandaise étant beaucoup moins bien nourrie que la nôtre, le rapport se rétablit.

Quant à la valeur moyenne des terres, qui se proportionne en général à la quantité des produits obtenus, elle était, pour les terrains de l'Angleterre proprement dite, de 1,000 francs l'acre ou 2,500 francs l'hectare, et pour le reste du Royaume-Uni, non compris la Haute-Ecosse, de la moitié environ de ce chiffre, ou 1,250 francs. La Haute-Ecosse avec ses terres incultes valait tout au plus 125 francs l'hectare. En retranchant 20 pour 100 de ces prix, on arrive à une moyenne de 2,000 francs pour l'Angleterre, de 100 francs pour la Haute-Ecosse, et de 1,000 francs pour le reste du Royaume-Uni.

En France, les terrains cultivés de la moitié septentrionale doivent valoir en moyenne 1,500 francs l'hectare, et ceux de la moitié méridionale 1,000 francs. En évaluant les 8 millions d'hectares de terres incultes à 125 francs, et les 8 millions de terrains forestiers à

600 francs l'hectare, on trouve pour moyenne générale 1,000 francs.

Ainsi l'examen comparatif des produits agricoles, le chiffre de la population, la valeur vénale des terres, tout se réunit pour prouver, même avec les estimations les plus réduites, que le produit de l'agriculture britannique pris dans son ensemble était, avant 1848, au produit de l'agriculture française, à surface égale, comme 135 est à 100, et qu'en comparant la seule Angleterre à la France entière, la première produisait au moins le double de la seconde. Cette démonstration me paraît avoir acquis le caractère de l'évidence.

A ces produits, il faut, pour être complétement exact, en ajouter un qu'il est fort difficile d'apprécier, mais qui n'en est pas moins des plus importants: c'est la fertilité qui s'accumule dans le sol par les fumiers, les amendements, les travaux de toute sorte, quand les récoltes annuelles n'en épuisent pas les effets. C'est pour en tenir compte que la plupart des statisticiens ont été entraînés à mentionner les fourrages, pailles et fumiers, dans les produits; mais il y a dans cette façon de calculer une exagération évidente, puisque les récoltes absorbent annuellement la plus grande partie de la puissance acquise. Ce qui en reste est le seul produit vrai, mais comment le mesurer? Un seul élément peut nous l'indiquer avec quelque sûreté l'augmentation de la valeur du sol; cette augmentation peut être amenée par d'autres causes, mais la plus constante et la plus active est l'accroissement de fertilité qui résulte de la bonne culture. On peut l'évaluer en moyenne, chez nos voi

sins, à 1 pour 100 de la valeur par an, soit 10 à 15 francs par hectare pour l'ensemble des trois royaumes, et 20 francs pour l'Angleterre proprement dite. En France, il doit être en moyenne de 1/2 pour 100, soit 5 francs par hectare; dans nos départements les mieux cultivés, il doit atteindre la moyenne anglaise, mais dans d'autres il est presque nul.

Bien que cette évaluation ne soit et ne puisse être qu'hypothétique elle peut suffire pour expliquer la supériorité de produit des terres en Angleterre, malgré l'infériorité naturelle du sol et du climat; la fertilité acquise y supplée. Elle a déjà constitué un capital foncier trèssupérieur et qui grossit toujours.

Trois sortes de capitaux concourent au développement de la richesse agricole : 1° le capital foncier, qui se forme à la longue par les frais de tout genre faits pour mettre la terre en bon état; 2° le capital d'exploitation, qui se compose des animaux, des machines, des semences; 3o le capital intellectuel, ou l'habileté agricole, qui se perfectionne par l'expérience et par la réflexion. Ces trois capitaux sont beaucoup plus répandus en Angleterre qu'en France. Pourquoi ? Nous nous le demanderons bientôt, et nous nous étonnerons alors que la supériorité des Anglais ne soit pas encore plus marquée. «< Mon Dieu, disait Arthur Young dans son langage original, en traversant en 1790 nos pauvres campagnes, donne-moi patience pour voir un pays si beau, si favorisé du ciel, traité si mal par les hommes. » Il ne dirait pas tout à fait la même chose aujourd'hui, ou du moins il ne pourrait le dire que des portions les plus

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