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nées pour lui donner ces diverses façons. On a pu se convaincre de l'immense importance de l'industrie des machines aratoires en Angleterre, et des débouchés qu'elle rencontre, par l'étendue qu'elle occupait à l'exposition universelle; on comptait près de trois cents exposants de cette catégorie, venus de tous les points du Royaume-Uni, et parmi eux il en est, comme les Garrett et les Ransome, dans le comté de Suffolk, qui emploient des milliers d'ouvriers, et font tous les ans pour des millions d'affaires. Ces machines économisent singulièrement la main-d'œuvre et suppléent à un grand nombre de bras.

Deux céréales profitent de tous ces travaux et de toutes ces dépenses, l'une est l'orge, qui donne la boisson nationale, l'autre la plante-reine, le froment.

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L'orge occupe tous les ans un million d'hectares environ c'est à peu près autant qu'en France, où cette plante n'a pas la même importance relative; mais, comme pour l'avoine, le produit moyen est environ le double de ce qu'il est chez nous; soit de 15 hectolitres en France, et de 30 en Angleterre, ou d'un peu plus de 4 quarters par acre. Une moitié environ de cette récolte sert à la fabrication de la bière; le droit perçu sur le malt ou orge germé constate tous les ans l'emploi de 14 à 15 millions d'hectolitres; l'autre moitié offre une ressource de plus pour la nourriture et l'engraissement du bétail, surtout des cochons. Les hommes consomment aussi un peu d'orge comme un peu d'avoine, mais l'usage de ces grossières nourritures diminue de jour en jour.

Outre l'orge et l'avoine, les Anglais mangeaient autrefois beaucoup de seigle. Le seigle est en effet, avec les céréales de printemps, le grain qui s'accommode le mieux des courts étés du Nord. Tout le nord de l'Europe ne cultive et ne mange que du seigle. En Angleterre, il a presque complétement disparu; il ne sert guère plus qu'à produire du fourrage vert au printemps, et son prix, ordinairement fort bas, n'est coté sur les marchés qu'à l'époque des semailles. L'importation en est nulle, comme la production. La plupart des terres qui ne portaient autrefois que du seigle portent aujourd'hui du froment; celles qui s'y sont absolument refusées, ont été utilisées autrement. Les Anglais ont justement pensé que cette culture, qui donne autant de peine et consomme presque autant d'engrais que le froment pour des produits bien inférieurs, ne méritait pas l'intérêt qu'elle obtient dans le reste de l'Europe et même en France. C'est encore là une de ces idées justes en économie rurale qui suffisent pour transformer la physionomie agricole d'un pays. Il en est de l'abandon du seigle comme de l'abandon du travail par les bœufs, de l'extension du nombre des moutons, et de toutes les autres parties du système anglais.

Le seigle peut être encore cultivé en France sur 3 millions d'hectares environ, en y comprenant la moitié des terres emblavées en méteil. C'est en général une production misérable qui ne donne pas plus de cinq ou six pour un, et qui paie à peine les frais de culture. Il y aurait avantage à y renoncer, mais ce n'est pas toujours possible: il ne suffit pas d'abandonner le seigle,

il faut encore être en état de produire autre chose avec succès, et tout le monde n'est pas en mesure de forcer la nature. Pour arriver à leur production actuelle en froment, les Anglais ont dû faire violence à leur sol et à leur climat. C'est l'emploi de la chaux comme amendement qui les y a surtout aidés, et le même moyen a produit les mêmes effets sur plusieurs points de la France. En même temps, il ne faut pas perdre de vue cet autre principe qu'ils ont également posé, que s'il n'est presque jamais avantageux de faire du seigle, il n'y a profit à faire du froment que dans de bonnes conditions. 10 hectares en bon état valent mieux pour la production du blé que 20 ou 30 mal réparés et mal travaillés.

Quand le quart presque de notre sol est en céréales pour la consommation humaine, moins du seizième du territoire britannique, soit 1,800,000 hectares sur 31, est en blé; mais aussi, quand sur nos 11 millions d'hectares, déduction faite de l'orge et de l'avoine, 5 portent des grains inférieurs, les 1,800,000 hectares anglais ne portent que du froment. On évalue à 70 millions d'hectolitres de froment, 30 de seigle, 7 de maïs et 8 de sarrasin, la production totale de la France en grains, déduction faite des semences; celle des îles britanniques doit être de 45 millions d'hectolitres de froment, sans mélange de seigle.

Le produit moyen est chez nous de 12 hectolitres de froment ou de 10 hectolitres de seigle à l'hectare, semence déduite; en y ajoutant le maïs et le sarrasin, et en répartissant le tout sur le nombre d'hectares ensemencés, on trouve un résultat moyen pour chaque hectare d'un

peu plus de 6 hectolitres de froment, un peu moins de 3 hectolitres de seigle et un peu plus de 1 hectolitre de maïs ou de sarrasin, soit en tout environ 11 hectolitres. En Angleterre, ce même produit est de 25 hectolitres de froment ou d'un peu moins de 4 quarters par acre; soit plus du double en quantité et trois fois autant en valeur vénale. Cette supériorité n'est certes pas due, comme on peut le supposer pour les prairies naturelles et artificielles, pour les racines, et jusqu'à un certain point pour l'avoine et l'orge, à la nature du sol et du climat, mais à la supériorité de la culture, qui se manifeste surtout par la réduction du sol emblavé à l'étendue qu'il est possible de bien mettre en état.

Quant au maïs et au sarrasin, au lieu d'être des causes d'infériorité, ils devraient être des richesses, car ces deux grains sont doués par la nature d'une bien plus grande puissance de reproduction que les deux autres, et ce qu'on en retire chez nous sur quelques points, montre ce qu'on pourrait en retirer ailleurs.

L'Écosse et l'Irlande sont comprises dans ces chiffres. Si l'on se borne à la seule Angleterre, on arrive à des résultats bien plus frappants. Ce petit pays, qui n'est pas plus grand que le quart de la France, produit à lui seul 38 millions d'hectolitres de froment, 16 d'orge et 34 d'avoine.Si la France produisait proportionnellement autant, elle récolterait, semence déduite, 150 millions d'hectolitres de froment, et 200 d'orge, d'avoine ou d'autres grains, c'est-à-dire le double au moins de sa production actuelle, et nous devrions obtenir beaucoup plus d'après la nature de notre sol et de notre climat, plus favorables

aux céréales que le sol et le climat anglais. Ainsi se vérifie par les faits cette loi agronomique que, pour recueillir beaucoup de céréales, il vaut mieux réduire qu'étendre la surface emblavée, et qu'en consacrant la plus grande place aux cultures fourragères, on n'obtient pas seulement un plus grand produit en viande, lait et laine, mais encore un plus grand produit en blé. La France atteindra les mêmes résultats quand elle aura couvert de racines et de fourrages ses immenses jachères, et réduit de quelques millions d'hectares sa sole de céréales.

Voilà toute la culture anglaise. Rien de plus simple. Beaucoup de prairies soit naturelles, soit artificielles, la plupart utilisées par le pâturage; deux racines, la pomme de terre et le turneps; deux céréales de printemps, l'orge et l'avoine, et une seule céréale d'hiver, le froment; toutes ces plantes enchaînées entre elles par un assolement alterne, c'est-à-dire par l'intercalation régulière des céréales dites récoltes blanches, white crops, avec les plantes fourragères dites récoltes vertes, green crops, et débutant par des racines ou plantes sarclées pour finir par le froment; c'est tout. Les Anglais ont écarté toutes les autres cultures, comme la betterave à sucre, le tabac, les oléagineux, les fruits, les unes parce que leur climat s'y oppose, les autres parce qu'ils les ont trouvées trop épuisantes, ou qu'ils n'aiment pas à en compliquer inutilement leurs moyens de production. Deux ont échappé à cette exclusion, le houblon en Angleterre, et en Irlande le lin. Partout où ces deux plantes sont cultivées, elles le sont avec un grand succès.

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