Page images
PDF
EPUB

ces de terrains. Les prés anglais se vendent en moyenne, qu'ils soient fauchés ou non, environ 4,000 francs l'hectare; on en trouve qui valent 10,000, 20,000 et jusqu'à 50,000 francs. Les bons herbages de la Normandie sont parmi nous les seuls qui puissent rivaliser avec quelques-uns de ces prix; nos prés valent en moyenne les trois quarts environ de ce que valent les prés anglais, et quant à nos jachères, elles en sont à une. grande distance. Nulle part l'art d'améliorer les prés et pacages, de les assainir par les conduits d'écoulement, de les fertiliser par des irrigations, par des engrais habilement appropriés, par des défoncements, des épierrements, des terrassements, des amendements de toute sorte, d'y multiplier les plantes nutritives et d'en exclure les mauvaises, qui s'y propagent si facilement, n'a été poussé plus loin; nulle part on ne regarde moins à la dépense de création et d'entretien quand on la considère comme utile. Ces soins intelligents, favorisés par le climat, ont produit de véritables merveilles.

Ensuite viennent les racines et les prairies artificielles. Les racines universellement cultivées en Angleterre sont les pommes de terre et les turneps. Les betteraves, si usitées en France, le sont encore très-peu de l'autre côté du détroit, et commencent à peine à s'y répandre. Les pommes de terre y étaient fort en honneur avant la maladie on sait que, dans les habitudes nationales, elles servent plus qu'en France à la nourriture des hommes, on en consacre en même temps d'immenses quantités à la nourriture du bétail; mais ce qui est encore plus que

la pomme de terre un des éléments caractéristiques de l'économie rurale anglaise, ce qui en forme en quelque sorte le pivot, c'est la culture de la rave, navet ou turneps. Cette culture, qui couvre à peine chez nous quelques milliers d'hectares et qui est peu connue hors de nos provinces montagneuses, passe chez les Anglais pour le signe le plus sûr, l'agent le plus actif du progrès agricole; partout où elle s'introduit et se développe, la richesse la suit ; c'est par elle que les anciennes landes ont été transformées en terres fertiles; le plus souvent la valeur d'une ferme se mesure à l'étendue du terrain qu'on y consacre. Il n'est pas rare de rencontrer, en traversant le pays, des centaines d'hectares en raves d'un seul morceau; partout, dans la saison, on voit briller leur belle verdure.

Les turneps, cultivés anciennement dans les PaysBas, ont passé en Angleterre vers la fin du xvII° siècle, en même temps que les institutions financières et politiques qui franchirent alors le détroit à la suite de Guillaume III; lord Townsend s'est acquis une grande renommée, pour avoir, sous Georges II, puissamment travaillé à leur propagation, car ces titres-là ne s'oublient pas en Angleterre.

La sole de raves est le point de départ de l'assolement de Norfolk; de son succès dépend tout l'avenir de la rotation. Non-seulement elle doit assurer les récoltes suivantes par la quantité de bétail qu'elle permet de nourrir à l'étable et qui y laisse un abondant fumier, non-seulement elle produit beaucoup de viande, de lait et de laine par cette large alimentation qu'elle four

nit à tous les animaux domestiques; mais encore elle sert à nettoyer la terre de toutes les plantes nuisibles par les nombreuses façons qu'elle exige et par la nature de sa végétation. Aussi n'est-il point de culture, même celle qui produit directement le froment, qui soit plus perfectionnée. Les cultivateurs anglais n'y épargnent aucune peine. Pour elle, ils réservent presque tous les fumiers, les sarclages les plus complets, les soins les plus assidus. Ils obtiennent en moyenne cinq à six cents quintaux métriques de navets par hectare, ou l'équivalent de cent à cent vingt quintaux métriques de foin, et ils arrivent quelquefois jusqu'au double. Les turneps exigent un sol léger et des étés humides, ce qui les rend si propres à réussir en Angleterre.

On comprend ce qu'une pareille ressource, qui n'a que peu d'analogues en France, doit ajouter au produit des prairies naturelles. Les féveroles remplissent le même office dans certains terrains, et dans tous, les prairies artificielles complètent le système.

Dans la statistique officielle de France, l'étendue des prairies artificielles n'est portée qu'à 1,500,000 hectares; j'ai pensé que cette indication n'était plus exacte, attendu le progrès constant que fait parmi nous ce genre de culture, et je l'ai portée au double, c'est-à-dire à 3 millions d'hectares, en réduisant d'une quantité équivalente l'étendue des jachères. Même après cette augmentation, nous sommes encore loin des Anglais; ils ont, sur les 15 millions d'hectares de l'Angleterre, l'Irlande et l'Écosse laissées de côté, la même surface en prairies artificielles que nous sur 53. Il est vrai que nos

prairies artificielles valent bien les leurs; leur sol se prête peu à la luzerne; ils n'ont guère que du trèfle et du ray-grass, et le produit de ces deux plantes, quelque beau qu'il soit, ne dépasse pas celui des espèces supérieures que nous possédons; c'est déjà beaucoup que de l'égaler. Depuis quelque temps, ils obtiennent, avec le ray-grass d'Italie, de remarquables résultats.

La dernière culture consacrée à la nourriture des animaux est l'avoine. La France ensemence tous les ans environ 3 millions d'hectares en avoine; les îles britanniques n'en ensemencent pas autant, et on y obtient une récolte bien supérieure. Le produit moyen de l'avoine en France, semence déduite, doit être de 18 hectolitres par hectare; il est du double dans le Royaume-Uni, ou de cinq quarters par acre (1), et il s'élève quelquefois jusqu'à dix. Les mêmes différences se retrouvent en France entre les pays où la culture de l'avoine est bien entendue, bien appropriée au sol, et ceux où elle ne l'est pas ; c'est d'ailleurs, de toutes les céréales, celle qui prospère le plus naturellement sous les climats du Nord. La nation écossaise tout entière n'avait pas autrefois d'autre nourriture, d'où était venu à l'Écosse le surnom de terre des gâteaux d'avoine, land of cakes, comme on donnait à l'Irlande celui de terre des pommes de terre, land of potatoes.

Ainsi, sur une surface totale de 31 millions d'hectares, réduite à 20 par les terres incultes, les îles britanniques produisent beaucoup plus de nourriture pour les ani

(1) L'acre anglais équivaut à 40 ares 46 centiares, et le quarter à 2 hectolitres 90 litres.

maux que la France entière avec une étendue double. La masse des fumiers est donc proportionnellement trois ou quatre fois plus forte, indépendamment des produits animaux qui servent directement à la consommation, et cette masse d'engrais n'est pas encore considérée comme suffisante. Tout ce qui peut accroître la fertilité du sol, les os, le sang, les chiffons, les tourteaux, les résidus de fabrication, tous les débris animaux et végétaux, les minéraux qui sont considérés comme contenant quelques principes fécondants, comme le plâtre, la chaux, etc., sont recueillis avec soin et enfouis dans la terre. Les vaisseaux britanniques vont chercher des suppléments d'engrais jusqu'au bout du monde. Le guano, cette matière si riche, arrive par nombreuses cargaisons des mers les plus lointaines. La chimie agricole fait d'incessants efforts pour découvrir soit de nouveaux engrais, soit ceux qui conviennent le mieux à chaque culture spéciale, et au lieu de mépriser ces recherches, les cultivateurs les encouragent par leur concours actif. Tous les ans, dans les dépenses de chaque ferme, figure un chiffre assez rond pour l'achat de matières fécondantes; plus on peut en payer, plus on en a. La vente de ces engrais supplémentaires donne lieu à un commerce énorme.

'

La terre ne demande pas seulement des engrais et des amendements, elle a encore besoin d'être creusée, ameublie, nivelée, sarclée, assainie, travaillée dans tous les sens, pour que l'eau la traverse sans y séjourner, pour que les gaz atmosphériques la pénètrent, pour que les racines des plantes utiles s'y enfoncent et s'y ramifient aisément. Une foule de machines ont été imagi

« PreviousContinue »