Page images
PDF
EPUB

culture britannique dans l'élève des animaux domestiques. Il est vrai que la France prend sa revanche pour une autre branche de produits animaux à peu près nulle en Angleterre et très-considérable chez nous, celle des basses-cours. Les Anglais élèvent peu de volailles, leur climat humide s'y prête mal, et malgré les efforts considérables faits depuis quelque temps par de riches amateurs, cette industrie n'a pris encore que peu de faveur; c'est tout au plus si les statistiques portent à 25 millions par an la valeur créée par ce moyen, tandis qu'en France on a évalué à 100 millions le seul produit annuel des œufs, et celui des volailles de toute espèce à une somme équivalente. Une portion notable de la population s'en nourrit, surtout dans le Midi, et ce supplément remplace une partie de ce qui nous manque en nourriture animale; mais tout en rendant justice à l'importance réelle et trop souvent négligée de cette ressource, on ne peut méconnaître qu'elle ne comble qu'imparfaitement le déficit.

Nous allons voir, en traitant des cultures, quelles sont à la fois les causes et les conséquences de cette grande production animale.

CHAPITRE IV.

LES CULTURES.

Toute culture a pour but de créer la plus grande quantité possible d'alimentation humaine sur une surface donnée de terrain; pour arriver à ce but commun, on peut suivre des voies très-différentes. En France, les cultivateurs se sont surtout préoccupés de la production des céréales, parce que les céréales servent immédiatement à la nourriture de l'homme. En Angleterre, au contraire, on a été amené, d'abord par la nature du climat, ensuite par la réflexion, à prendre un chemin détourné qui ne conduit aux céréales qu'après avoir passé par d'autres cultures, et il s'est trouvé que le chemin indirect était le meilleur.

Les céréales, en général, ont un grand inconvénient qui n'a pas assez frappé le cultivateur français : elles épuisent le sol qui les porte. Ce défaut est peu sensible avec certaines terres privilégiées qui peuvent porter du froment presque sans interruption; il peut être d'un faible effet tant que les terres abondent pour une population peu nombreuse: on est libre alors de ne cultiver en blé que les terres de première qualité, et de laisser

reposer les autres pendant plusieurs années avant d'y ramener la charrue; mais quand la population s'accroît, tout change. Si l'on ne s'occupe pas sérieusement des moyens de rétablir la fécondité du sol à mesure que la production des céréales la réduit, il arrive un moment où les terres, trop souvent sollicitées à porter du blé, s'y refusent. Même avec les climats et les terrains les plus favorisés, l'ancien système romain, qui consistait à cultiver le blé une année et à laisser le sol en jachère l'année suivante, finit par devenir insuffisant; le blé ne donne plus que des récoltes sans valeur.

La terre s'épuise plus vite par la production des céréales dans le Nord que dans le Midi; de cette infériorité de leur sol, les Anglais ont su faire une qualité. Dans l'impossibilité où ils étaient de demander aussi souvent que d'autres du blé à leurs champs, ils ont dû rechercher de bonne heure les causes et les remèdes de cet épuisement. En même temps, leur territoire leur présentait une ressource qui s'offre moins naturellement aux cultivateurs méridionaux : la production spontanée d'une herbe abondante pour la nourriture du bétail. Du rapprochement de ces deux faits est sorti tout leur système agricole. Le fumier étant le meilleur agent pour renouveler la fertilité du sol après une récolte céréale, ils en ont conclu qu'ils devaient s'attacher avant tout à nourrir beaucoup d'animaux. Outre que la viande est un aliment plus recherché des peuples du Nord que de ceux du Midi, ils ont vu dans cette nombreuse production animale le moyen d'accroître par la masse des fumiers la richesse du sol et d'augmenter ainsi leur pro

duit en blé. Ce simple calcul a réussi, et, depuis qu'ils l'ont adopté, l'expérience les a conduits à l'appliquer tous les jours de plus en plus.

Dans l'origine, on se contentait des herbes naturelles pour nourrir le bétail; une moitié environ du sol restait en prairies ou pâturages, l'autre moitié se partageait entre les céréales et les jachères. Plus tard, on ne s'est pas contenté de cette proportion, on a imaginé les prairies artificielles et les racines, c'est-à-dire la culture de certaines plantes exclusivement destinées à la nourriture des animaux, et le domaine des jachères s'est réduit d'autant. Plus tard encore, la culture des céréales a elle-même diminué; elle ne s'étend plus, même en y comprenant l'avoine, que sur un cinquième du sol, et ce qui prouve l'excellence de ce système, c'est qu'à mesure que s'accroît la production animale, la production du blé s'augmente aussi : elle gagne en intensité ce qu'elle perd en étendue, l'agriculture réalise à la fois un double bénéfice.

Le pas décisif dans cette voie a été fait il y a soixante ou quatre-vingts ans. Au moment où la France se jetait dans les agitations sanglantes de sa révolution politique, une révolution moins bruyante et plus salutaire s'accomplissait dans l'agriculture anglaise. Un autre homme de génie, Arthur Young, complétait ce que Bakewell avait commencé. Pendant que l'un enseignait à tirer des animaux le meilleur parti possible, l'autre apprenait à en nourrir la plus grande quantité possible sur une étendue donnée de terrain. De grands propriétaires, que d'immenses fortunes ont récompensés de leurs efforts, favo

risaient la diffusion de ces idées en les pratiquant avec succès. C'est alors que le fameux assolement quadriennal, connu sous le nom d'assolement de Norfolk, du comté où il a pris naissance, a commencé à se propager. Cet assolement, qui règne aujourd'hui avec quelques variantes dans toute l'Angleterre, a transformé complétement les terres les plus ingrates de ce pays et créé de toutes pièces sa richesse rurale.

Je ne referai pas ici la théorie de l'assolement, déjà faite cent fois. Tout le monde sait aujourd'hui que la plupart des plantes fourragères, puisant dans l'atmosphère les principaux éléments de leur végétation, ajoutent au sol plus qu'elles ne lui prennent, et contribuent doublement, soit par elles-mêmes, soit par leur transformation en fumier, à réparer le mal fait par les céréales et les cultures épuisantes en général; il est donc de principe de les faire au moins alterner avec ces cultures; c'est ce que fait l'assolement de Norfolk. De grands efforts ont été tentés en France, dès le commencement de ce siècle, par des agronomes éminents, pour y répandre cette pratique salutaire, et des progrès réels ont été accomplis dans cette voie ; mais les Anglais y ont marché beaucoup plus vite que nous, et par là s'est accru sans cesse entre leurs mains ce précieux capital de fertilité que tout bon cultivateur ne doit pas perdre de vue.

Près de la moitié du sol cultivé a été maintenue en prairies permanentes; le reste formant ce qu'on appelle les terres arables, est divisé en quatre soles, d'après l'assolement de Norfolk :- - 1 année: racines et principalement navets ou turneps; -2° année : céréales de

« PreviousContinue »