Page images
PDF
EPUB

semblable différence; nous avons en France deux régions, l'une où le gros bétail ne travaille pas, et l'autre où il est soumis au travail. Si nous recherchons sa valeur moyenne dans les deux régions, nous la voyons dans la première bien au-dessus de ce qu'elle est dans la seconde; et cependant l'art d'élever des bestiaux pour la boucherie uniquement est encore en France à peu près inconnu; que serait-ce s'il était parvenu au point où il est aujourd'hui en Angleterre ?

Je sais que la substitution des races de laiterie et de boucherie aux races de travail n'est pas toujours possible. Je ne fais aucun reproche aux portions de notre territoire cultivées par des bœufs ou même par des vaches, je ne conseille aucune transformation brusque et irréfléchie; je me borne à constater ce qui est, et je crois avoir démontré que, par le seul fait de l'abandon à peu près complet du travail par les bœufs, le sol britannique, même y compris l'Écosse et l'Irlande, est ar rivé à un produit double du nôtre pour le gros bétail. Telle est en agriculture la puissance d'une idée juste, quand il est possible de l'appliquer.

Les autres espèces d'animaux domestiques sont les chevaux et les porcs. Pour les chevaux, la prééminence des producteurs anglais a été depuis longtemps reconnue. Nous possédons en France environ 3 millions de chevaux de tout âge, ou 6 têtes environ sur 100 hectares; on en compte en Angleterre, Ecosse et Irlande, 2 millions, soit encore 6 têtes environ par 100 hectares; mais nos 3 millions de chevaux ne peuvent être estimés en moyenne que 150 francs par tête, soit en tout une va

leur capitale de 450 millions, tandis que les 2 millions de chevaux anglais sont estimés en moyenne 300 francs, ce qui donne une valeur capitale de 600 millions. Il est vrai que, pour compléter la comparaison, il faut ajouter, à notre capital en chevaux, la valeur de nos mulets et ânes, que la statistique officielle porte à 80 millions, et qui approche probablement de 100; mais, même en ajoutant cette dernière somme à l'autre, nous restons encore en arrière, quand l'étendue de notre sol devrait nous assurer une grande supériorité.

On dira peut-être que la valeur moyenne de nos chevaux a été réduite dans l'estimation qui précède, et celle des chevaux anglais accrue. Je ne crois pas ce reproche fondé. Sans doute, tous les chevaux anglais ne sont pas des chevaux de course; mais, s'ils étaient tous des chevaux de course, ils seraient estimés plus de 300 francs. La valeur du cheval de course anglais est tout à fait idéale, mais elle porte sur un petit nombre de têtes, et dans cette mesure, elle se justifie à beaucoup d'égards par le haut prix que les Anglais attachent à tout ce qui peut améliorer leurs races. C'est précisément parce que des étalons sans défaut se paient des prix énormes, que les éleveurs britanniques ont pu perfectionner comme ils l'ont fait leurs chevaux communs. Chaque espèce d'animaux domestiques a son utilité spéciale; celle du cheval est la force unie à la vitesse. Les Anglais se sont attachés à développer dans leurs chevaux ces deux conditions, quoi qu'il leur en coûte au premier abord, et il se trouve, en définitive, qu'ils ne paient pas l'unité de force. et de vitesse plus cher que nous, parce qu'ils concentrent

autant que possible leurs moyens de production et d'entretien sur des individus choisis, au lieu de les disperser sur des animaux sans valeur.

Outre leurs célèbres chevaux de selle, ils ont des races de trait également précieuses. Tels sont, par exemple, les chevaux de charrue, dont les meilleurs viennent du comté de Suffolk. Nous avons vu qu'on avait généralement substitué le travail des chevaux à celui des boeufs pour la culture; on a pensé avec raison que, le cheval allant plus vite, son travail était plus productif. On a fait plus on a substitué les chevaux aux hommes eux-mêmes, toutes les fois que le travail de l'homme, le plus coûteux de tous, pouvait être remplacé par une machine mise en mouvement par un cheval. La somme de travail agricole exécuté en Angleterre par des chevaux est donc beaucoup plus considérable qu'en France, et le nombre de ces animaux employés par l'agriculture n'a pas été augmenté en proportion. C'est que leurs attelages, plus choisis et mieux entretenus que les nôtres, ont plus de vigueur et d'agilité.

Les chevaux qui servent aux travaux des brasseries, aux transports des charbons et autres marchandises lourdes et encombrantes, sont célèbres par leur force et par leur masse. Les meilleurs atteignent des prix trèsélevés. Il en est de même des chevaux de voiture : la race des chevaux bais de Cleveland, dans le comté d'York, est regardée comme une des plus parfaites qui existent pour les attelages de luxe.

Quant au cheval de course et à son rival le cheval de chasse, tout le monde sait par quel ensemble d'efforts

on est arrivé à produire et à maintenir ces espèces supérieures. Ce sont des créations de l'industrie humaine, de véritables œuvres d'art, obtenues à grands frais, et destinées à satisfaire une passion nationale. On peut dire sans exagération que toute la richesse britannique semble n'avoir d'autre but que l'entretien des haras d'où sortent ces créatures privilégiées. Un beau cheval résume pour tout le monde l'idéal de la vie élégante, c'est le premier rêve de la jeune fille comme le dernier plaisir de l'homme vieilli dans les travaux ; ce qui tient à l'éducation des chevaux de selle, aux courses, aux chasses, à tous les exercices où se déploient les qualités de ces brillants favoris, est la grande affaire du pays entier. Le peuple s'y intéresse comme les grands seigneurs, et le jour où se court le Derby à Epsom, tout vaque; il n'y a plus de parlement, plus d'affaires, toute l'Angleterre a les yeux fixés sur ce turf, où courent quelques jeunes étalons et où des millions de paris se gagnent ou se perdent en quelques minutes.

Nous sommes encore bien loin de cet engouement national. Certes ce n'est pas que nos races nationales soient sans valeur : elles ont au contraire des mérites naturels que l'art seul a pu donner aux chevaux anglais; la production n'est jamais, à vrai dire, restée chez nous au-dessous de la consommation; mais ce qui importe au perfectionnement de nos races, c'est que nous apprenions à payer les bons chevaux ce qu'ils valent: tout est là. Rien n'est cher à produire comme un bon cheval. Tant que nous chercherons avant tout le bon marché, les beaux et bons chevaux ne seront chez nous que des

exceptions, quand il nous serait bien facile de les multiplier. Nos Percherons, nos Boulonnais, nos Limousins, nos Bretons, nos Béarnais, offrent déjà des types admirables qui se répandraient et se perfectionneraient aisément, si nos éleveurs trouvaient une rémunération suffisante de leurs peines.

Les porcs anglais ne sont pas en moyenne plus gros que les nôtres, mais ils sont beaucoup plus nombreux et se tuent plus jeunes. Toujours le grand principe de la précocité préconisé par Bakewell et appliqué à toutes les espèces d'animaux comestibles. La seule Angleterre nourrit autant de porcs que la France entière; ceux de l'Écosse et de l'Irlande sont en sus, et bien peu de ces animaux vivent au delà d'un an. Ils appartiennent tous à des races qui s'engraissent vite, et dont les formes ont été améliorées de longue main. La statistique officielle porte à 290 millions de kilogrammes la production annuelle de la viande de porc en France; ce chiffre doit être très-inférieur au total réel, un grand nombre de ces utiles animaux étant abattus et consommés dans les ménages de campagne sans que leur existence ait pu être constatée; mais même en le portant à 400 millions, le Royaume-Uni doit produire le double. Encore une supériorité dont on ne saurait s'étonner, quand on a vu avec quelle habileté est entendue chez nos voisins la conduite des porcheries. Les fermes où l'on engraisse les porcs par centaines ne sont pas rares, presque partout ils figurent parmi les principales branches de revenu.

Tels sont en aperçu les avantages obtenus par l'agri

« PreviousContinue »