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se rencontrent à la fois et une demande suffisante de chevaux de course et de bœufs de boucherie, et un moyen suffisant de les produire dans des conditions marchandes, il vaut mieux adopter ces types perfectionnés que rester dans l'ornière, il vaut mieux même, si l'on ne peut pas les avoir purs, s'en servir pour des croisements, là où ces croisements peuvent se faire dans de bonnes conditions.

Cette question des programmes est un peu moins compliquée en Angleterre qu'en France, parce qu'un des principaux éléments de la difficulté chez nous, le travail, disparaît chez eux à peu près 'complétement. Je ne doute pas cependant que la Société royale ne soit amenée un jour à modifier son programme. En revanche, une partie de ce programme qui me paraît excellente et qu'il serait bien à désirer de voir introduire dans nos propres concours, c'est celle qui consiste à primer des femelles. Ce n'est pas assez que d'avoir de bons reproducteurs måles, il faut aussi de bonnes femelles : tous les éleveurs le savent parfaitement, tant que la mère est défectueuse, le produit n'est pas bon, quelle que soit la valeur du père. Il y avait à Glocester autant de prix pour les juments, les vaches, les brebis et les truies que pour les taureaux, les étalons, les béliers et les verrats ; on avait même primé à part, ce qui me parait moins nécessaire, les meilleurs élèves dans les deux sexes.

Les porcs étaient partagés en grandes et petites races, division qui n'est peut-être pas parfaitement logique; car ici le but étant le même pour tous, rien n'oblige à avoir une race plutôt qu'une autre; ce qui importe,

c'est la quantité et la qualité de la viande qu'on obtient avec une quantité donnée de nourriture, que la race soit grande ou non.

Le prix pour les bœufs courtes-cornes ou de Durham a été obtenu par lord Berners; c'était la partie du concours la plus faible. Les Hereford, dont le pays est trèsvoisin de Glocester, étaient magnifiques; c'est encore un lord, lord Berwick, qui a eu le prix. M. George Turner a obtenu, comme d'ordinaire, tous les prix pour la race du Devonshire. Les races galloises ont excité peu d'intérêt. Pour les moutons, ce sont encore les vainqueurs habituels qui l'ont emporté. La Société royale ne prime pas les chevaux de course; elle n'accorde de prix qu'aux chevaux de trait employés par l'agriculture et à ce qu'on appelle les roadsters, chevaux de route, trotteurs. Bien qu'ici les prix ne fussent pas accordés par races, c'est la race de Suffolk qui a eu, comme toujours, le prix pour les chevaux agricoles; l'ancienne supériorité de cette race ne se dément pas. Les porcs étaient presque tous admirables.

Une dernière exhibition fermait la marche, celle des volailles. Les Anglais attachent tous les jours un plus grand prix à avoir de belles volailles, bien que leur climat s'y prête peu; nul doute qu'ils ne finissent par en venir à bout. La race cochinchinoise, la favorite du moment, a cédé cette fois à la race nationale dite de Dorking, nom d'un district du comté de Surrey, dont elle est originaire. C'est le capitaine Hornby, de la marine royale, qui a eu le prix pour un coq et deux poules vraiment magnifiques. Je

voudrais bien savoir ce qu'on dirait en France si un officier de marine occupait ses loisirs à élever des poules; je ne vois pourtant pas que la marine royale d'Angleterre en soit plus mauvaise pour cela.

Plus de mille personnes ont assisté au dîner qui termine d'ordinaire ces sortes de solennité, bien que le prix du billet fût de 10 shillings ou 12 francs 50 centimes. Un immense pavillon, dressé par les soins de la Société royale, contenait un nombre suffisant de tables, dominées, suivant l'usage anglais, par la high table, où ont pris place les personnes de marque. Le président était lord Ashburton, ayant à sa droite le lord-maire de la ville de Glocester, et à sa gauche le ministre des Etats-Unis; parmi les assistants, on remarquait lord Powis, lord Harrowby, lord Leicester, le marquis de Bath, le comte de Jersey et d'autres membres de la pairie, un grand nombre de membres de la chambre des communes, les professeurs du collége royal agricole de Cirencester, les fermiers et éleveurs les plus connus de l'Angleterre, et parmi les étrangers le général Arista, ancien président du Mexique, et le célèbre juge de la Nouvelle-Ecosse, Halliburton, l'auteur de Sam Slick, dont la Revue a déjà plusieurs fois entretenu ses lec

teurs.

Le dîner se composait de viandes froides avec une pinte de sherry; tout s'est passé dans cet ordre parfait naturel aux Anglais. Nul n'a touché aux plats placés devant lui avant que le président ait prononcé les quelques mots du benedicite anglais qui donnent le signal du repas; nul n'a continué après que le président

a prononcé les quelques mots qui remplacent les grâces. J'admirais dans mon coin ces usages religieux universellement respectés, cette patience d'une telle foule en présence d'un service nécessairement insuffisant, et surtout cette bienveillance générale qui se lisait sur ces bonnes figures de cultivateurs.

Le moment des toasts était venu ; le président a commencé par porter suivant l'usage, au milieu d'un profond silence, le toast national à la reine et à la famille royale; l'assemblée entière, debout, y a répondu par l'enthousiasme traditionnel et avec les dix salves de hourras requises en pareil cas. Voilà déjà bien des fois que j'assiste à l'accomplissement de cette formalité indispensable de toute réunion anglaise, et ce n'est jamais sans émotion que je vois ce grand peuple renouveler avec orgueil cet acte de respect et d'amour pour la personnification de la majesté nationale. Le nom de la reine représente pour tout Anglais l'ensemble de cette organisation politique qui fait à la fois la puissance du pays et la liberté de chacun de ses membres, et certes cette démonstration n'est jamais mieux à sa place que quand il s'agit de l'agriculture, qui doit toute sa prospérité au régime constitutionnel dont l'histoire se confond avec celle de la maison de Hanovre.

Après les toasts loyaux, comme on les appelle, les toasts particuliers et les discours. M. Ingersoll, ministre des Etats-Unis, a répondu au toast dont il a été l'objet avec l'aplomb et la facilité dont il a déjà fait preuve dans plusieurs réunions semblables. C'est encore un des excellents usages de l'Angleterre que cette habitude d'ap

peler les étrangers de distinction, aussi bien que les personnages importants du pays à ces grandes assemblées. La nation peut ainsi connaître personnellement, outre ses propres chefs, ceux qui représentent auprès d'elle les nations étrangères. M. Ingersoll n'est pas seulement le ministre des Etats-Unis auprès du gouvernement anglais, il a eu déjà plusieurs fois l'occasion de parler publiquement à des meetings, et ses discours, reproduits par tous les journaux, sont lus par l'Angleterre entière. Tout le monde aujourd'hui connaît M. Ingersoll et ses arguments en faveur de l'émigration anglaise en Amérique. Il en est de même d'Halliburton. Sans cette occasion, la plupart de ceux qui étaient présents n'auraient jamais vu l'honnête visage de Sam Slick ni entendu sa parole pleine d'une bonhomie facétieuse, Aujourd'hui l'auditoire, qu'il a amusé par ses saillies et qui a ri de si bon cœur en l'écoutant, ne l'oubliera plus, et je suis pour mon compte heureux de l'a

voir vu.

Le discours du président, lord Ashburton, me paraît particulièrement digne de remarque au milieu de tous ceux qui ont été prononcés. Le noble lord a développé cette idée, que, de toutes les industries britanniques, l'agriculture était la plus florissante, la plus perfectionnée, et il a eu raison. « D'autres nations, a-t-il dit, peuvent nous disputer la palme pour les manufactures et le commerce : la France produit de plus belles soieries, la Suisse de meilleures cotonnades, l'Amérique nous égale pour la navigation; mais le produit de l'agriculture anglaise est sans égal. Le monde entier vient apprendre

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