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par les encouragements qu'elle donne à toutes les études agricoles. Nous avons à Paris une Société nationale et centrale d'agriculture qui fait quelque chose de pareil, mais avec moins de largeur, parce qu'elle a moins d'argent. Cette société, composée d'hommes éminents, a trop le caractère d'une académie, sa base n'est pas assez large. Elle se complétait par une autre institution, le Congrès central d'agriculture, beaucoup plus accessible à tous, mais qui aujourd'hui n'existe plus, de sorte qu'en réalité nous n'avons rien en France qui corresponde exactement à la Société royale d'Angleterre, ce qui est regrettable assurément, car il n'y a pas d'institution plus utile.

La Société royale, et c'est là le but principal de sa fondation, ouvre chaque année un grand concours de bestiaux et de machines aratoires, où elle convoque tous les producteurs de l'Angleterre. Le lieu où se tiennent ces concours change tous les ans, ans, afin que toutes les parties du pays aient successivement des facilités spéciales pour en profiter. Le premier a eu lieu en 1839, à Oxford, qui est la ville la plus centrale du sud de l'Angleterre; en 1840, on a choisi Cambridge, qui est le centre des comtés de l'est; en 1841, la grande cité commerciale de Liverpool; en 1842, un autre grand port de l'ouest, Bristol; en 1843, Derby, capitale du comté montueux du même nom; en 1844, Southampton, le port bien connu de la Manche; en 1845, Shrewsbury, sur la frontière du pays de Galles; en 1846, Newcastle, le grand port du nord; en 1847, Northampton; en 1848, York; en 1849, Norwich, capitale du

comté agricole de Norfolk; en 1850, Exeter, capitale du Devonshire; en 1851, à cause de l'exposition universelle, Windsor, à la porte de Londres; en 1852, Lewes, près de Brighton, dans le comté de Sussex; cette année enfin, Glocester. Il n'est pas un seul point de l'Angleterre où l'on ne puisse aujourd'hui, grâce au réseau des chemins de fer, arriver en quelques heures des lieux les plus éloignés. Pour favoriser les concours de la Société royale, tous les railways transportent les bestiaux de concours gratuitement, et les machines à moitié prix. Des convois spéciaux transportent également les personnes à des prix réduits et avec des vitesses exceptionnelles.

Depuis plus de quinze jours, tous les murs de Londres et des autres villes d'Angleterre étaient couverts de grandes affiches annonçant pour le 13 de ce mois l'agricultural show de Glocester. Tous les journaux en avaient d'avance parlé avec détail. On s'en entretenait presque autant que du camp de Chobham et de la grande revue passée par la reine. Ici, dès qu'il s'agit de l'agriculture, toutes les attentions sont éveillées; ceux même qui ne s'y intéressent pas veulent avoir l'air de s'y intéresser, pour obéir à la mode. Il y a bien peu de familles riches qui ne comptent au moins un membre dans la Société royale, et dans le monde le plus élégant, l'agriculture est un des sujets de conversation les mieux goûtés. La période de transition et de crise que l'agriculture anglaise vient de traverser ajoute à l'intérêt habituel qu'elle inspire. Tout le monde veut savoir si de nouveaux perfectionnements sont introduits dans la pro

duction du bétail, et surtout si l'emploi des machines, que l'on considère comme devant avoir un jour pour la culture les mêmes conséquences que pour l'industrie, fait des progrès. Rien ne manquait donc à l'attraction de la fête, comme disent nos voisins.

Glocester est une ville d'environ 40,000 âmes, à 1'14 milles anglais ou 45 lieues de Londres. On y va par le great Western Railway. Parti de Londres à huit heures et demie du matin, j'étais à Glocester vers une heure de l'après-midi. Le chemin de fer remonte la vallée de la Tamise jusque près de sa source; on traverse les comtés de Bucks et de Berks, on passe sur les limites de ceux de Wilts et d'Oxford. Jusqu'à Reading, c'est l'argile tenace des environs de Londres; après Reading, la chaîne crayeuse qui court du comté de Cambridge à celui de Wilts; après Didcot, le terrain oolithique du sud-ouest; on arrive à Glocester par les plateaux ou cotswolds. Sur tout ce parcours, notamment dans la partie crayeuse, le sol est généralement plus que médiocre. Le paysage n'est cependant pas sans charme; partout ce sont les mêmes champs carrés, entourés de haies, où se succèdent les cultures de l'assolement quadriennal; ici, le sol préparé pour les turneps; plus loin, de l'orge ou de l'avoine, puis du trèfle, et enfin du froment; de distance, en distance, quelques prairies qui venaient d'être fauchées et dont le foin blanchissait sous la pluie, et de nombreux pâturages livrés au bétail.

La ville de Glocester avait bien fait les choses. Toutes les rues ornées d'arcs de triomphe de feuillage, toutes les maisons pavoisées de drapeaux aux couleurs nationales,

des guirlandes de fleurs formant des devises appropriées à la circonstance: Honneur à l'agriculture! Dieu protége la charrue! Le mot welcome, bienvenue, inscrit de toutes parts, la population entière sur pied, les saltimbanques, les théâtres ambulants, les chanteurs des rues, les marchands de fruits et de ginger beer, tout avait un air de fête. Après avoir jeté un coup d'œil sur la calhédrale, qui a une grande réputation, et qui la mérite, je m'acheminai avec le nombreux concours de curieux arrivés en même temps que moi, vers le théâtre de l'exposition, situé à un mille anglais de la ville. La route élait couverte d'omnibus, de voitures, de cavaliers, de piétons, qui allaient et venaient sans cesse.

Suivant l'usage éternellement suivi en Angleterre, on payait à la porte pour entrer dans l'enceinte, une demi-couronne ou environ 3 francs pour voir les machines, le lendemain une autre demi-couronne pour voir les animaux, un shilling pour acheter chacun des deux catalogues, en tout 9 francs que tout visiteur devait payer à la Société. J'ai calculé combien chacun des étrangers venus à Glocester avait dû dépenser pour son voyage, et j'ai trouvé au moins 100 francs par tête; le lit seul coûtait pour une nuit une demi-guinée ou 13 francs. Je doute qu'en France l'amour de l'agriculture attirât beaucoup de monde dans de pareilles conditions. J'ai ouï dire qu'au dernier concours d'Orléans, dont le gouvernement avait pourtant fait tous les frais, et qui n'était qu'à trente lieues de Paris, il n'y avait pas une bien nombreuse assistance; à Glocester, plus de 40 mille personnes ont payé à la porte pour entrer. Cet

empressement des Anglais est d'autant plus remarquable, que le concours de la Société royale n'est pas le seul; il n'y a presque pas de comté qui n'ait sa société particulière et ses concours spéciaux, dont le public volontaire paie également la dépense. La chose commence même à être poussée à l'excès, cette succession si rapide de meetings et d'exhibitions impose aux cultivateurs qui veulent se tenir au courant un véritable sacrifice de temps et d'argent.

L'exhibition de la Société royale était divisée en deux parties, les machines et les animaux; les produits agricoles n'y sont pas appelés, je ne sais pourquoi. Il me paraîtrait utile de comparer aussi les blés, les orges, les avoines, les racines, les fromages, les beurres, etc.

Le département des machines, de beaucoup le plus important, couvrait dix acres anglais ou quatre hectares de terrain. En 1839, à la première exposition de la Société royale, il y avait en tout 23 instruments, et dans ce temps-là les gentlemen farmers protestaient en toute occasion qu'ils ne s'étaient jamais servis et ne se serviraient jamais que des instruments connus de leurs pères. Cette année, plus de 2 mille machines envoyées par 121 exposants, prenaient part au concours. Sans doute plusieurs sont encore à l'essai, et ce sont les plus dispendieuses; mais le plus grand nombre est d'un usage courant, et d'un bout à l'autre de la Grande-Bretagne, les fabricants en vendent des quantités considérables. Les prix des plus recherchées baissent d'année en année, ce qui indique un débit croissant; ainsi, le célèbre rouleau de Croskill, qui se vendait dans l'origine 20 livres,

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