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artificiellement le daim et le cerf. Le luxe anglais a donné une grande valeur à ces chasses. Une montagne peuplée de grouses se loue pour une saison 50 livres sterlings ou 1,250 francs. On a construit au milieu des rochers les plus reculés des pavillons ou shootinglodges qui se louent, avec le droit de chasse sur les montagnes environnantes, 500 livres sterl. ou 12,500 fr. Ce qu'on appelle une forêt, c'est-à-dire un espace de plusieurs milliers d'hectares non précisément planté d'arbres, mais interdit à toute espèce de bétail et réservé aux daims et aux cerfs, est hors de prix. Tous les grands propriétaires écossais ont, comme Guillaume le Conquérant, créé plusieurs de ces forêts dans leurs domaines; les amateurs y vont à grands frais relancer au milieu des précipices les monarques agiles de la solitude expéditions aventureuses que rehausse l'attrait de beaucoup de fatigue et d'un peu de danger, et qui réveillent chez ces enfants du Nord, les instincts sauvages de leurs pères.

Rien n'est plus à la mode que la chasse dans les Highlands; le pinceau de Landseer, le peintre favori du sport britannique, en a retracé sous toutes les formes les plus dramatiques incidents, et cette agitation, qui vient tous les ans pendant deux ou trois mois réveiller, dans les échos endormis, quelque chose du tumulte guerrier des clans, se résume en bons et beaux revenus pour les propriétaires.

L'opinion publique, qui, après avoir beaucoup hésité sur le jugement à porter de l'expulsion des tribus montagnardes, avait fini par la consacrer, a longtemps ac

cepté les forêts écossaises comme le reste précieux d'un passé justement détruit. On commence cependant à murmurer contre ces derniers vestiges de l'antique féodalité les cerfs et les daims sont, dit-on, en trop petit nombre pour utiliser convenablement les vastes étendues qu'on leur abandonne; il vaudrait mieux y nourrir des moutons. Je comprends ces réclamations quand il s'agit de l'Angleterre, où quelques riches landlords s'obstinent encore à laisser incultes pour leurs chasses, au milieu de districts populeux, de grands terrains qui pourraient rapporter des récoltes: tel est par exemple, Cannock-Chase, dans le comté de Stafford, qui a bien près de 6,000 hectares; mais dans la haute Ecosse, j'ai peine à croire que la perte soit bien grande. Quelques milliers de moutons de plus ou de moins n'ajouteraient pas beaucoup à l'alimentation nationale, et on y perdrait le dernier refuge de la nature sauvage dans la Grande-Bretagne. Toujours des moutons, c'est bien monotone; il ne faut pas non plus que la manie s'en mêle. Dépouiller la vie rurale de toute poésie, n'est-ce pas aller trop loin, dans l'intérêt même de la culture, et ne doit-on pas craindre de détruire le charme principal qui attire les riches hors des villes?

Les pêcheries des Highlands ne sont pas moins renommées que les chasses. Dans un pays où l'eau découle de toutes parts, le poisson doit abonder; le saumon surtout a donné lieu à un commerce énorme. Dans les premiers temps qui ont suivi la pacification de l'Écosse, quiconque possédait une chute sur une rivière a fait immédiatement fortune. Simond parle d'une pêcherie

sur le Tay, qui s'affermait, avant 1800, 5 guinées par an, et qui rapportait, en 1810, 2,000 livres sterling, ou 50,000 francs. « Ce n'est pas, dit-il, qu'il y ait plus de poisson, mais il y a plus d'industrie à le prendre et plus de consommateurs. » On a tant fait que le saumon et la truite ne se trouvent plus en aussi grand nombre qu'autrefois; mais un art nouveau, la pisciculture, vient depuis quelques années ranimer les espérances. Le duc d'Athol actuel est un de ceux qui recherchent avec le plus de soin les moyens de repeupler les lacs et les ri vières; de nombreuses expériences montrent qu'on y réussit. Tout annonce que cette richesse naturelle de la haute Écosse sera conservée et peut-être grossie par l'industrie humaine. Telle est la véritable tâche de l'homme dans un pareil pays; tel est, avec le pâturage et la forêt, le seul genre de culture possible et profitable.

Cette sécurité profonde dont on jouit maintenant dans les Highlands, ce calme infini d'une terre sans habitants, ces lacs, ces rochers, ces cascades, ces bruyères, ces souvenirs romanesques et poétiques, tout cet ensemble singulier donne à l'habitation dans ces montagnes un vif attrait, malgré la tristesse du climat. Aux huttes renversées des clans ont succédé des résidences confortables. Non-seulement les anciens chefs se sont fait bâtir des châteaux sur les ruines des chaumières, mais on a vu de riches Anglais acheter des territoires entiers pour y transporter leurs demeures. Il n'y a presque plus sur la surface des Highlands de site un peu remarquable où ne s'élève un château moderne. La terre y vaut en moyenne environ 100 francs l'hectare, ce qui permet d'avoir à

bon marché de vastes espaces; les habitations sont à plusieurs lieues les unes des autres, et les domaines qui en dépendent peuplés uniquement de troupeaux et de grouses; mais si l'extérieur de la maison est inculte et désert, l'intérieur présente toutes les jouissances du luxe contraste éternellement piquant.

D'excellentes routes, des bateaux à vapeur établis sur les lacs, facilitent l'accès des coins les plus solitaires. L'aspect général du pays est celui d'un vaste parc de plusieurs millions d'hectares, où le plus grand des jardiniers paysagistes a multiplié à l'infini les effets les plus sublimes. Des milliers de touristes s'y répandent dans la belle saison, si toutefois on peut appeler ainsi l'été de ces contrées, nouvelle source de profits non moins fructueuse que les autres, et que le génie spéculateur des Écossais se garde bien de négliger.

La plus belle de ces résidences seigneuriales est le château de Taymouth, appartenant à lord Breadalbane, et situé au point où la rivière du Tay sort du lac de ce nom, dans le comté de Perth. Lord Breadalbane descend des chefs du clan des Campbell, un des plus puissants de la haute Écosse; ses domaines ont 100 milles anglais ou 40 lieues de long et vont à peu près d'une mer à l'autre: on y a fait le vide par les mêmes moyens qu'ailleurs, et le clan proprement dit n'existe plus; mais à la place de l'antique manoir s'élève aujourd'hui un véritable palais, dont la splendeur a étonné la reine elle-même quand elle est venue le visiter. Le parc, traversé par les caux bondissantes du Tay naissant, planté d'arbres magnifiques, tout peuplé de lièvres, de perdrix et de faisans,

émaillé de massifs de fleurs, réunit aux beautés naturelles de ces gorges agrestes les grâces que peut seul donner l'art le plus exquis et qui paraissaient incompatibles. Pour vaincre ainsi le sol et le climat, il faut beaucoup d'argent; ce sont les pâturages qui l'ont fourni depuis qu'ils ne sont habités que par des troupeaux.

Je suis arrivé à Taymouth par une longue soirée d'été, en longeant la rive gauche du lac Tay, qui n'a pas moins de six lieues de long; quelques fermes apparaissaient de distance en distance sur les bords de cette petite mer, avec leurs champs de turneps et d'avoine; mais sur la montagne proprement dite, on ne voyait aucune trace d'hommes ou d'habitations. Des moutons à têle noire paissaient sans gardien sur les pentes, et nous montraient, en nous regardant passer, leur petite face de nègre effarouché; des vaches west-Highlands, dont la silhouette se dessinait sur les rochers frappés des derniers rayons, remplissaient l'air, à notre approche, de véritables hurlements; et au moment d'arriver au pont de Kenmore, nous vimes, sous les grands mélèzes plantés par le père du lord actuel, des daims qui descendaient àla faveur des ombres naissantes, pour aller boire dans le lac. Ces tableaux paisibles valent bien les scènes sanglantes qui se sont passées dans ces lieux mêmes, et qu'a si bien racontées Walter Scott dans la Jolie Fille de Perth.

Les Shetland, les Hébrides, et les autres îles qui se groupent autour des Highlands, n'ont pas encore été également visitées par la civilisation; mais les paquebots à vapeur établissent maintenant des communications

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