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Au commencement de ce siècle, l'Angleterre tirait de l'Espagne la moitié de ses laines importées; aujourd'hui l'Espagne ne paraît plus que nominalement sur ses états d'importation. Des pays qui ne donnaient pas une livre de laine il y a cinquante ans, dont le nom même était à peu près inconnu, figurent sur ces états pour des quantités énormes. Telles sont les colonies britanniques dans l'Australie, qui fournissent 40 millions de livres de laine, la colonie du cap de BonneEspérance et les possessions anglaises de l'Inde, qui en envoient 10 à 12 millions. Ces laines sont d'une qualité excellente et s'améliorent tous les jours. Les producteurs viennent de ces pays lointains disputer à nos cultivateurs les béliers de Rambouillet, qu'ils paient fort cher. Én réunissant au produit de ses moutons indigènes celui de ses moutons coloniaux, l'Angleterre réalise tous les ans une richesse de 6 à 700 millions qu'elle double ensuite par ses manufactures. Admirable pouvoir de l'industrie humaine quand elle sait tirer habilement parti des dons de la Providence!

Dépassée pour la production de la viande par la partie européenne de l'empire britannique, la France l'est encore pour la production de la laine par l'union des colonies et de la métropole. Nous avons cependant, soit dans notre propre sol, soit dans notre colonie africaine, bien autrement rapprochée de nous que les colonies australiennes, de quoi rivaliser largement. La même distinction qui s'est établie chez nos voisins devra probablement s'introduire un jour entre notre sol national et notre possession coloniale; chez nous, sans

renoncer précisément à la laine, les éleveurs tourneront leur attention vers la production de la viande plus qu'il ne l'ont fait jusqu'ici; à leur tour, les éleveurs algériens ont devant eux un immense avenir pour la production de la laine. L'impulsion est donnée de toutes parts, et de grands pas s'accomplissent tous les jours dans cette double voie, mais nous nous sommes mis en marche un peu tard, et l'Angleterre a sur nous une avance que nous parviendrons difficilement à regagner.

CHAPITRE III.

LE GROS BÉTAIL.

La supériorité de l'agriculture britannique sur la nôtre n'est pas tout à fait aussi grande pour le gros bétail que pour la race ovine; elle est cependant encore sensible.

Le nombre des bêtes à cornes que possède la France est évalué à 10 millions de têtes; le Royaume-Uni en nourrit environ 8 millions, c'est-à-dire un peu moins; mais si la quantité absolue est inférieure, la quantité proportionnelle ne l'est pas. Sur ce nombre, l'Angleterre et le pays de Galles comptent pour 5 millions de têtes, l'Écosse pour 1 million, l'Irlande pour 2, c'est-à-dire que l'Angleterre a une tête sur trois hectares, l'Écosse une sur huit, l'Irlande une sur quatre; en France, la moyenne est d'une tête sur cinq hectares. On voit que la moyenne de la France n'est réellement supérieure qu'à celle de l'Écosse, dont le sol fait exception; nous sommes audessous de l'Irlande elle-même et assez loin de l'Angleterre. Voilà pour le nombre; quant à la qualité, notre désavantage est plus grand.

L'homme peut demander à la race bovine, indépendamment de son fumier, de son cuir et de ses abats,

trois sortes de produits : son travail, son lait et sa viande. De ces trois produits, le moins lucratif est le premier, et nous retrouvons ici une distinction tout à fait analogue à celle que nous avons faite pour les moutons. Pendant que l'agriculteur français demandait surtout au bétail à cornes du travail, l'agriculteur britannique lui demandait surtout du lait et de la viande. Cette seconde distinction a amené des différences presque aussi marquées que la première.

Voyons d'abord les produits du lait dans les deux pays. La France possède 4 millions de vaches en état de porter, et le Royaume-Uni 3 millions; mais les trois quarts des vaches françaises ne sont pas laitières, et presque toutes les vaches anglaises le sont. Les exigences du travail, qui demande des races fortes et dures, se concilient difficilement avec le tempérament favorable à l'abondante production du lait. La mauvaise nourriture, le défaut de soins, l'absence de toute précaution dans le choix des reproducteurs, el peut-être aussi, dans l'extrême midi, la sécheresse et la chaleur du climat, achèvent ce que le travail a commencé. Dans les parties de la France où l'attention des éleveurs a été portée par des circonstances locales sur la production du lait, des résultats comparables et souvent supérieurs à ceux qu'on obtient en Angleterre montrent que nous sommes en général placés, pour cette industrie, dans d'aussi bonnes conditions que nos voisins; mais si nos races laitières valent autant et quelquefois plus que les leurs, elles ne sont pas aussi répandues.

Il n'y a en Angleterre aucune espèce de vaches qui dé

passe sensiblement nos vaches flamandes, nos normandes, nos bretonnes, pour la quantité et la qualité du lait, ainsi que pour la proportion du rendement en lait à la quantité de nourriture consommée. Quant aux produits de la laiterie, si les fromages anglais sont en général supérieurs aux nôtres, le beurre français est au-dessus du beurre anglais; il n'y a rien en Angleterre de comparable aux bonnes qualités de beurre que produisent la Bretagne et la Normandie. Malgré ces avantages incontestables, le produit total des vaches anglaises en lait, beurre et fromage, dépasse de beaucoup le produit des vaches françaises, bien que celles-ci soient plus nombreuses, et sur certains points aussi bonnes ou même meilleures laitières. C'est la généralité d'une pratique qui peut seule donner de grands résultats en agriculture, et l'entretien d'une ou plusieurs vaches laitières est une pratique universelle en Angleterre.

La race laitière par excellence de l'empire britannique est originaire de ces îles de la Manche, fragments détachés de notre Normandie. On la désigne généralement sous le nom de l'île d'Alderney, qu'on appelle en français Aurigny. Les précautions les plus minutieuses sont prises pour maintenir la pureté de cette race, qui n'est, au bout du compte, qu'une variété des nôtres. Les îles de la Manche produisent beaucoup de génisses vendues pour l'Angleterre, et fort recherchées par les gens riches pour leurs laiteries de campagne. Quiconque a fait le voyage de Jersey a pu admirer ces jolies bêtes, à l'air si intelligent et si doux, qui peuplent les pâturages de cette île, et qui font partie de la famille chez tous les culti

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