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tel point, qu'au dire d'un voyageur français, Simond, qui visita Edimbourg en 1810, on montrait alors dans la vieille ville les maisons où avaient vécu naguère les personnes les plus considérables, occupées par les ouvriers et le bas peuple. « Un porteur de chaises, dit un des correspondants de sir John Sinclair, vient de quitter la maison de lord Dunmore comme n'étant pas logeable; celle du marquis de Douglas est occupée par un charron, celle du duc d'Argyle par un marchand de bas qui paie 12 livres sterling de loyer. »

Après la baisse des prix, qui a suivi la paix de 1815, cette progression s'est ralentie; il était impossible qu'elle se soutint longtemps à la même hauteur, mais elle ne s'est point arrêtée. La création des chemins de fer a eu en Ecosse de plus grands effets qu'en Angleterre, en ce sens que l'union des deux pays en est devenue plus intime. L'économie des frais de transport, la promptitude des communications, la suppression des intermédiaires pour le commerce des denrées agricoles, ont contribué à soutenir les cours, que d'autres causes venaient abattre, et cette circonstance a rendu la crise de ces dernières années infiniment moins rude en Ecosse qu'en Angleterre. Très-peu de plaintes sont venues d'au delà de la Tweed; propriétaires et fermiers ont fait également bonne contenance, et en réalité ils ont peu souffert; l'extrême esprit d'économie des uns, la sage modération des autres, la libre énergie de tous, avaient préparé ce que l'extension des débouchés a achevé.

CHAPITRE XXI.

LES LOWLANDS,

Ce que je viens de dire s'applique surtout aux basses terres ou Lowlands, qui comprennent la moitié environ de l'Ecosse. Les neuf dixièmes du produit total sont obtenus dans cette moitié, qui est de beaucoup la meilleure.

La plus mauvaise partie de la Basse-Ecosse, parce qu'elle n'en a que le nom, est celle qui touche à l'Angleterre, et que traversent les ramifications des montatagnes du Northumberland. Elle se compose des trois comtés de Dumfries, Peebles, Selkirk, et de la région montagneuse de celui de Roxburgh, formant ensemble environ 500,000 hectares.

Les comtés de Selkirk et de Peebles sont de véritables highlands, dont le dixième seulement est cultivable; c'est le pays rendu si célèbre sous le nom de Borders, frontières, par le génie de Walter Scott; la Tweed le traverse et baigne de ses eaux pures la demeure du grand romancier, Abbotsford. Les scènes principales du Lai du dernier Ménestrel, de Murmion, du Monastère, se passent dans ces défilés, où retentit si souvent le cri de guerre de deux peuples voisins et ennemis. Walter

Scott y recueillit dans sa jeunesse, sous la hutte des pâtres montagnards, les légendes nationales qui ont inspiré ses premiers chants. Cette contrée, autrefois si troublée, jouit aujourd'hui de la sécurité la plus parfaite; ses maigres pâturages ne pouvant guère nourrir que des moutons, on s'y livre uniquement à l'élève de ces innocents animaux, et on n'y voit plus d'autre lutte que celle des cheviots contre l'ancienne race des black-faced ou têtes noires, qui recule peu à peu devant ses rivaux, comme les bandits et les chevaliers du temps passé ont disparu eux-mêmes devant les bergers. La rente moyenne peut être de 10 à 12 francs par hectare, ce qui est beaucoup pour de simples pâtures. Des tempêtes terribles règnent en hiver sur ces hauteurs et y ensevelissaient autrefois des troupeaux entiers, mais on a aujourd'hui des abris suffisants.

Abbotsford est situé précisément sur la limite de ces montagnes et des pays plus fertiles et mieux cultivés. Le comté de Roxburgh, autrement appelé Teviotdale ou vallée de la Teviot, contient des parties où fleurit la culture la plus avancée. C'est même par là qu'elle a commencé à s'introduire. Un fermier du Roxburghshire, nommé Dawson, a été l'Arthur Young de l'Ecosse; et, plus heureux qu'Arthur Young, il a pu joindre les succès de la pratique aux leçons de la théorie. Ses exemples se sont répandus autour de lui; aujourd'hui le pays est couvert d'excellentes cultures.

Je me souviens de m'être arrêté un jour dans une de ces fermes, située sur la rive gauche de la Tweed, juste en face d'Abbotsford. Le sol en est plus que médiocre,

et une grande partie est en parcours; elle est cependant louée 50 francs l'hectare. Le fermier me montra avec un certain orgueil ses instruments et son bétail : il avait une machine à battre mise en mouvement par un courant d'eau, et se proposait d'acheter l'année suivante une machine à vapeur; sa provision de tourteaux pour l'engraissement du bétail en hiver était déjà faite : elle s'élevait à 16,000 kilos. Il me mena voir ses champs qui couvraient le penchant de la montagne. Je le suivais admirant d'un œil ses orges et ses avoines, mais un peu distrait, je l'avoue, par la vue d'Abbotsford, qui déployait sous nos yeux toutes ses tourelles réfléchies par la Tweed. « Si Scott vivait encore, me disais-je, ce brave homme deviendrait sans doute un des héros des Contes de mon hôte. » Qui ne se rappelle la charmante peinture de la ferme de Charlies-Hope dans Guy-Mannering, avec les bonnes figures du fermier Dinmont et de la fermière Aylie, et les joyeux incidents de la chasse au renard et de la pêche au saumon ? Charlies-Hope était tout près de là, dans la vallée du Liddell, derrière les cîmes bleuâtres qui fuyaient à l'horizon; Dinmont signifie dans la langue locale un mouton antenais.

Quelques milles plus loin vers l'est, quand on descend des hauteurs de Lammermoor, autre nom que la poésie et la musique ont transfiguré, apparaissent les plaines ondulées qui entourent Édimbourg sur une égale étendue d'environ 500,000 hectares, et qu'on appelle les Lothians. Ici la culture devient véritablement sans pareille. Les rentes de 100, 200, 300 francs l'hectare, sont assez communes; la moyenne est de 75 francs, avec un bénéfice

à peu près égal pour le fermier. C'est dans les prairies situées près d'Édimbourg, et qui reçoivent les égoûts de cette ville, que le maximum de la rente jusqu'ici obtenu dans la Grande-Bretagne, 2,000 fr. l'hectare, a été atteint.

Les Lothians se distinguent surtout par la culture des céréales, ils produisent à eux seuls presque tout le froment recueilli en Écosse. Ce sol était considéré autrefois comme ne pouvant pas même porter du seigle; on n'y cultivait que l'orge et l'avoine, qui sont encore les seules céréales généralement usitées dans le reste du pays; on raconte qu'un champ de 8 acres ou 3 hectares semé en froment, à un mille d'Édimbourg, en 1727, fut l'objet de la curiosité universelle. Aujourd'hui un cinquième des terres, ou 100,000 hectares environ, est en froment; et on y récolte dans les bonnes années de 30 à 40 hectolitres par hectare. C'est encore l'assolement de Norfolk, plus ou moins modifié, suivant les circonstances locales, mais conservant ses caractères généraux, qui a produit cette fécondité. La culture des turneps, base de cet assolement, n'est nulle part mieux entendue. Toutes les améliorations agricoles sont réalisées dans les Lothians plus tôt qu'en Angleterre. Un drainage complet a été depuis longtemps effectué; chaque ferme ou à peu près, a sa machine à vapeur; la stabulation du gros bétail est une pratique ancienne et générale. La machine à battre, thrashing machine, a été inventée, à la fin du siècle dernier, par un Écossais nommé Meikle, et l'Écosse s'en est servie avant l'Angleterre; c'est encore un Écossais, nommé Bell, qui vient d'inventer la machine

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