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élections, les partis, les intérêts et les ambitions politiques ayant parmi eux beaucoup moins de vivacité. Ensuite, le développement agricole de l'Écosse étant beaucoup plus moderne, la tradition des fermiers at will n'a pas eu le temps de s'établir, et la combinaison la meilleure, celle des longs baux, a pu prévaloir dès le début. Nous avons vu que les baux annuels n'ont pas nui beaucoup à la prospérité agricole de l'Angleterre ; il est probable cependant que, si l'usage contraire s'était introduit, le progrès eût été encore plus grand; c'est du moins ce que nous pouvons inférer de l'exemple de l'Écosse, où l'usage des longs baux a créé en peu d'années, malgré la pauvreté et l'ignorance primitives, une classe de fermiers égale, sinon supérieure, à celle que les siècles ont formée en Angleterre.

Les fermiers écossais, si généralement misérables il y a cent ans, n'ont pas encore tout à fait autant de capitaux que les Anglais. Quand le capital d'exploitation est en Angleterre de 3 à 400 francs par hectare, il n'est que de 2 à 300 francs dans les Lowlands, et dans les Highlands, de 20 à 30. Les Écossais rachètent cette infériorité par un plus grand esprit d'économie et par un labeur personnel plus rude et plus assidu. Les fermiers travaillent plus généralement par eux-mêmes; leur capital va d'ailleurs en s'accroissant vite. Outre l'épargne, qui est chez eux héréditaire, ils ont une plus grande part proportionnelle dans la distribution des produits. Lorsqu'en Angleterre le profit de l'exploitant ne dépasse pas la moitié de la rente, en Écosse il atteint habituellement les deux tiers, et approche même de l'égalité. Ce

phénomène est particulier à l'Écosse, et forme un des traits les plus caractéristiques de son économie rurale. Cette proportion, si favorable au progrès de la culture, est due en grande partie aux longs baux, qui ne permettent pas au propriétaire d'entrer aussi souvent dans le partage des fruits qu'avec les baux annuels. On peut aussi en faire honneur à l'esprit de modération et de sagesse des propriétaires écossais, qui, ayant moins de besoins de luxe et de dépense que les propriétaires anglais, peuvent être moins exigeants pour leurs rentes. Au fond, et ils l'ont heureusement compris, ce n'est qu'une épargne qu'ils font pour l'avenir, car la richesse du cultivateur fait la richesse de la terre.

La supériorité du système écossais se manifeste encore par plus d'un côté. Ainsi, en Angleterre et en Irlande, la possession d'un bail est considéré par la loi comme une propriété personnelle ou mobilière, et par consé– quent divisible par portions égales entre les héritiers à la mort du père de famille. En Écosse, la possession d'un bail est considérée comme une propriété réelle ou immobilière, et comme telle dévolue tout entière à l'aîné, ce qu'on appelle l'héritier légal, heir at law. Le système contraire a eu en Irlande des suites désastreuses, et, bien qu'il ne soit pas la principale cause du mal, il en a été sans aucun doute un des principaux instruments. Le droit écossais n'a pas eu précisément pour résultat de généraliser dans ce pays la grande culture, puisqu'elle y est plutôt l'exception que la règle, mais il a contribué à arrêter sa trop grande division et à développer l'esprit d'industrie. Les enfants puînés d'un fermier savent d'a

vance qu'ils n'ont aucun droit sur le bail de leur père, et ils cherchent ailleurs leurs moyens d'existence. De son côté, le fils aîné se prépare de bonne heure à recevoir l'héritage qui l'attend, et à le faire fructifier. C'est une application nouvelle et ingénieuse du droit d'aînesse aux choses du sol. Le mouvement naturel qui, dans une société en progrès, doit écarter de la terre et porter vers d'autres industries le surcroît de population, est favorisé. Sans cette loi, la tendance à la division aurait pu être un danger pour l'Ecosse, ce qui n'existe pas en Angleterre où les mœurs et les conventions tendent plutôt vers l'excès contraire.

Dans la plupart des baux écossais, surtout quand il s'agit de fermes à céréales, la rente n'est pas une somme fixe, payable quoi qu'il arrive, mais qui varie en tout ou en partie d'après le prix courant du grain, c'est-àdire qu'elle représente une redevance en nature à convertir en argent au prix du marché, avec l'indication d'un maximum et d'un minimum qui ne peuvent être dépassés dans les années de disette ou d'abondance. De cette façon, le fermier est garanti contre les brusques variations dans le prix des denrées et dans la valeur de l'argent. Cette clause se répand en Angleterre depuis la dernière crise; elle y est considérée comme un progrès sur la rente fixe.

Enfin on supprime tout pot-de-vin, toute dépense extraordinaire à l'entrée d'un fermier, toute indemnité au fermier sortant, ce qu'on appelle en Angleterre le tenant right. Je traiterai bientôt avec détail cette grande question du tenant right à propos de l'Irlande ; qu'il me

suffise de dire ici qu'en Écosse l'opinion est fixée : on évite avec soin tout ce qui peut imposer une charge inutile au fermier entrant et diminuer le capital dont il dispose. L'époque annuelle du renouvellement des baux est généralement fixée à la Pentecôte, c'est-à-dire au moment le plus favorable pour que les semailles aient le temps de se faire dans de bonnes conditions.

Tout ce qui tient à la théorie des baux n'a été nulle part l'objet d'études aussi approfondies. On peut dire que, sous ce rapport, on est arrivé à la perfection. En Angleterre, on a pu se passer de cette recherche, le temps et la richesse générale ont tenu lieu de tout; mais en Écosse où l'on avait besoin d'aller vite et où l'on commençait avec peu de chose, il a bien fallu se préoccuper des conditions les plus favorables au développement de la production. Tout est dirigé vers un but unique, la formation du capital des fermiers. Ce n'est pas en Angleterre, c'est en Écosse qu'il faut aller chercher des modèles, quand on entreprend d'introduire le bail à ferme dans un pays où il n'existe pas, et de transformer des cultivateurs ignorants et pauvres, des métayers, des bordiers, des domestiques à gages, en fermiers intelligents et aisés. Le système écossais ne sera malheureusement pas du goût de tout le monde, car il repose sur une série de sacrifices de la part des propriétaires : longueur des baux, modération des rentes, paiement en nature; mais il faut bien donner au cultivateur qui n'a rien les moyens de gagner quelque chose, et l'expé– rience a prouvé que ces sacrifices étaient parfaitement entendus. La rente est déjà, en moyenne, presque aussi

élevée dans les bonnes parties de l'Écosse qu'en Angleterre, il y a même des points où elle monte plus haut, et l'intérieur de ces fermes, autrefois si pauvre, offre aujourd'hui un air frappant d'aisance.

A l'excellente constitution des baux est venue se joindre une autre cause de progrès qui n'existe pas non plus tout à fait au même degré en Angleterre, la meilleure organisation connue des moyens de crédit..

Les Anglais font depuis longtemps un grand usage du crédit, et l'ancienne existence des banques parmi eux est un des principaux éléments de leur puissance; mais, précisément parce qu'elle est ancienne, l'organisation de ces banques est imparfaite à beaucoup d'égards, l'abondance des capitaux supplée jusqu'à un certain point à ce qui leur manque. Il y a d'ailleurs en Angleterre une ardeur de spéculation et de dépense qui pourrait rendre dangereuse une plus grande extension de cet instrument, si actif pour le mal comme pour le bien. Eu Écosse, le sang-froid, l'exactitude, la sobriété, le génie du calcul, sont des qualités si nationales, que le système de crédit le plus large a pu s'établir sans inconvénients et porter les fruits les plus magnifiques. Ce n'est pas pour rien que l'Écosse est la patrie d'Adam Smith; tous les compatriotes de ce grand homme sont plus ou moins imprégnés de son esprit sagace et positif; nulle part on ne sait mieux compter. Les banques écossaises existaient déjà du temps de Smith; lui-même décrit avec soin leur mécanisme, et c'est à leur propos qu'il a fait celte comparaison si souvent répétée : « L'or et l'argent qui circulent dans un pays peuvent se comparer à

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