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Nouveaux éléments d'économie politique, s'associe à M. Thornton. Toute une école s'est formée depuis quelque temps en Angleterre en faveur de la petite propriété et de la petite culture. Je suis heureux de voir ces idées se répandre dans la patrie d'Arthur Young. Pourvu que cette réaction n'aille pas trop loin, et on peut se fier aux Anglais sous ce rapport, elle ne peut porter que de bons fruits. Même à Jersey, si la population agricole est nombreuse, la population non agricole l'est encore plus.

Quoique le sol de Jersey soit granitique et maigre, l'aspect de l'île est ravissant; on dirait une forêt d'arbres fruitiers, entrecoupée de prairies et de petits champs cultivés, avec une foule d'habitations charmantes, tapissées de vignes vierges, et des sentiers qui serpentent sous les ombrages. David Low remarque que le morcellement du sol, qui semblerait devoir être infini à la suite de tant de générations, dans une île si petite et si populeuse, s'est limité de lui-même, par des arrangements pris dans les familles pour l'arrêter quand il devient onéreux; cet exemple doit rassurer ceux qui craignent de voir le sol français tomber en poussière.

CHAPITRE XX.

L'ÉCOSSE.

L'Écosse est un des plus grands exemples qui existent au monde de la puissance de l'homme sur la nature. Je ne connais que la Hollande qui puisse rivaliser; la Suisse elle-même n'offrait pas d'aussi grands obstacles à l'industrie humaine. Ce qui ajoute encore à la merveille de ce développement de prospérité sur un sol si ingrat, c'est qu'il est tout récent. L'Écosse n'a pas les mêmes précédents que l'Angleterre. Il y a seulement un siècle, c'était encore un des pays les plus pauvres et les plus barbares de l'Europe. Les derniers restes de l'antique pauvreté n'ont pas tout à fait disparu, mais on peut affirmer que, dans l'ensemble, il n'y a pas aujourd'hui sous le ciel de région mieux ordonnée.

Sa production totale a décuplé dans le cours de ce siècle. Les produits agricoles ont à eux seuls augmenté dans une proportion énorme. Au lieu des disettes périodiques qui la dévastaient autrefois, et dont l'une surtout, celle de 1693 à 1700, qui a duré sept ans entiers, a laissé le plus formidable souvenir, les denrées alimentaires s'y produisent avec une abondance qui

permet tous les ans une immense exportation. L'agriculture écossaise est aujourd'hui supérieure à l'agriculture anglaise elle-même, au moins dans quelques parties; c'est en Écosse que les cultivateurs envoient surtout leurs enfants comme apprentis dans les fermes-modèles; les meilleurs livres d'agriculture qui aient paru dans ces derniers temps ont été publiés en Écosse ; et quand les propriétaires anglais veulent avoir un bon régisseur, bailiff, c'est en Écosse qu'ils vont le chercher.

L'Ecosse, avec les îles adjacentes, forme une étendue totale de 19 millions d'acres anglais ou 7 millions 600,000 hectares, dont les trois quarts absolument incultivables; ceux-ci se trouvent pour la plupart dans les Highlands et les îles qui en dépendent, comme les Hébrides et les Shetland. Les 2 millions 1/2 d'hectares cultivés doivent se décomposer ainsi :

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L'étendue de la sole d'avoine est due aux Highlands, qui ne récoltent presque pas d'autre grain; dans les Lowlands, l'assolement quadriennal est généralement suivi. Le produit brut moyen de chaque culture par hectare étant à peu près le même qu'en Angleterre, l'ensemble de la production végétale destinée à l'alimen

tation de l'homme, en y comprenant l'avoine, qui forme en effet la base de la nourriture nationale, peut être évalué à 8 millions sterling ou 200 millions de francs; la production animale doit être d'un tiers en sus, ce qui porte à 500 millions le produit total. La population étant de 2,600,000 âmes, c'est une moyenne de 200 francs par tête, comme en Angleterre, tandis qu'en France la moyenne n'est que de 140, et la réduction de 20 p. 100 se trouve ici moins à sa place, les prix écossais se rapprochant beaucoup des prix français.

Comment l'Ecosse est-elle arrivée si rapidement à ce beau produit, malgré l'infertilité naturelle de son sol et de son climat ?

La propriété y est encore moins divisée qu'en Angleterre, et l'usage des substitutions plus strict et plus général. On estime à 7,800 le nombre total des propriétaires, ce qui donnerait une moyenne de 1,000 hectares par propriété; mais ce sont les Highlands qui élèvent à ce point la moyenne, puisqu'on y trouve des domaines de 100,000,200,000 et même 300,000 hectares; dans les Lowlands, la division devient infiniment plus grande; la moyenne des propriétés tombe à 500 acres ou 200 hectares. Le duc de Buccleugh est presque le seul trèsgrand propriétaire de cette partie de l'Écosse ; son palais de Dalkeith domine un des plus beaux pays de culture. Les autres grands seigneurs écossais, comme les ducs de Sutherland, d'Athol et d'Argyle, le marquis de Breadalbane, etc., ont pour la plupart leurs terres dans les montagnes. Quand ces grandes fortunes ont été déduites on trouve que les trois quarts des propriétaires écossais

ont en moyenne 10 à 12,000 francs de rente environ. Les deux tiers de l'étendue du sol, produisant un tiers environ de la rente totale, sont entre les mains des grands propriétaires; un tiers environ de la superficie, mais qui produit à elle seule les deux tiers de la rente, appartient à l'autre catégorie. La petite propriété, sans être tout à fait inconnue, est moins répandue que partout ailleurs, moins même qu'en Angleterre. En somme, l'exemple de l'Écosse est favorable à la grande propriété.

Pour la culture, c'est plutôt le contraire. On y compte environ 55,000 fermiers, dont chacun paie en moyenne 90 livres sterl. ou 2,250 francs de loyer: c'est, comme on voit, plutôt de la petite ou au moins de la moyenne culture que de la grande. La moyenne des fermes en Angleterre est juste du double, c'est-à-dire de 4,500 francs de rente. Il y a dans les Highlands des fermes de plusieurs milliers d'hectares, mais en même temps on en trouve beaucoup dans les basses terres qui n'en ont pas plus de 25, et des milliers d'hectares, dans les montagnes désertes du nord, ne rapportent pas toujours autant, soit au propriétaire, soit au fermier, que 25 dans les plaines fertiles d'Édimbourg et de Perth.

Le mode habituel de tenure est très-supérieur à la tenure anglaise. Les baux annuels sont inusités, presque tous les fermiers ont des baux de dix-neuf ans. Cette différence essentielle tient à plusieurs causes. D'abord les propriétaires écossais attachent moins d'importance que les Anglais à avoir leurs fermiers dans la main, pour exercer sur leur vote une influence décisive dans les

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