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exclusivement agricoles ou du moins peu industriels, où les débouchés abondent sans doute plus que dans les trois quarts de notre France, à cause du voisinage de l'immense ville de Londres et des nombreux ports de la côte, mais où la surexcitation que donnent les manufactures manque presque absolument. En mettant le pied dans le comté de Warwick, nous entrons dans la région industrielle, et nous nous trouvons, pour commencer, en face de Birmingham et de ses annexes. La population du comté a plus que doublé depuis cinquante ans: elle dépasse aujourd'hui deux têtes humaines par hectare. Les quatre cinquièmes de cette population se livrent à des travaux industriels, d'où il suit qu'un hectare est sollicité à produire la nourriture de deux personnes, qu'un agriculteur qui porte ses produits sur le marché y trouve quatre consommateurs pour se les disputer, et que ces consommateurs, gagnant tous de forts salaires, ont de quoi payer les denrées qu'ils achètent un prix élevé. Comment l'agriculture ne prospérerait-elle pas dans de pareilles conditions?

Il ne faut pas s'imaginer que le sol du Warwick soit partout excellent. Tout le nord du comté formait autrefois une immense lande couverte de bruyères et de bois, ce qu'on appelait une forêt. Aujourd'hui la moitié des terres est en herbages et l'autre moitié en terres arables, soumises, autant que possible, à l'assolement de Norfolk; un quart seulement du sol produit des céréales pour la nourriture de l'homme, et la fertilité de ce quart, ainsi que du reste des terres, est constamment accrue, non-seulement par l'engrais qu'y dépose une immense

quantité d'animaux, mais par des masses d'engrais supplémentaires achetés dans des villes manufacturières, et transportés à peu de frais par les canaux et les chemins de fer qui traversent le pays. Il ne faut pas s'imaginer non plus que la grande culture domine dans le Warwick et dans les autres comtés industriels; la moyenne des fermes est d'environ 60 hectares; il y en a beaucoup plus au-dessous qu'au-dessus. Enfin ce n'est pas la longueur des baux qui a beaucoup influé sur le développement agricole; les fermes sont généralement louées à l'année. Les fermiers n'en font pas moins de grands sacrifices pour améliorer le sol qu'ils cultivent, et bien que la rente ait doublé depuis 1770, ils ne se plaignent pas de leurs propriétaires. Tout s'arrange aisément quand on gagne de part et d'autre. Les salaires profitent à leur tour de cette prospérité; ils sont en moyenne de 2 fr. par jour de travail.

Un fermier du Warwick, dans les conditions les plus ordinaires, exploite une ferme de 60 hectares ou 150 acres, dont il paie 6,000 francs de loyer, acquitte en outre les taxes qui s'élèvent à 1,500 francs, donne à ses ouvriers d'excellents salaires, et se fait à lui-même, sans beaucoup de peine et de souci, un revenu de 3,000 fr. Ce n'est pas sans doute un aussi grand seigneur que les opulents fermiers du Lincoln et du Norfolk; mais pour nous, Français, qui aimons avant tout la richesse moyenne, cette organisation rurale a quelque chose de plus satisfaisant encore, en ce qu'elle associe un plus grand nombre de familles à la prospérité commune. La terre est plus productive en somme; le produit brut et

le produit net sont l'un et l'autre plus élevés, et une population plus condensée jouit d'une aisance moyenne au moins égale. Une promenade dans ce riant comté est un enchantement perpétuel; les châteaux historiques de Kenilworth et de Warwick, les bords délicieux de l'Avon, donnent un attrait de plus à cette excursion, que peut couronner l'immense étendue des manufactures de Birmingham; et pour que rien ne manque à ce résumé des merveilles de l'Angleterre, la grande ombre de Shakespeare vous accompagne dans ce pays, où il est né.

Dans l'état actuel de nos campagnes, il n'y a peutêtre aucune partie de la France qui puisse soutenir la comparaison avec le comté de Warwick; notre sol n'est à peu près nulle part aussi soigneusement paré par la main de l'homme. Les Anglais connaissent d'ailleurs toutes leurs richesses, tandis que nous ne connaissons pas les nôtres. Il n'y a pas de paysage anglais un peu plus frais ou un peu plus fertile que les autres qui n'ait immédiatement sa renommée, et qui ne soit connu au moins de nom par tout le monde. Chez nous, au contraire, que de riantes vallées, de plaines fécondes et de coteaux aux gracieux contours, étalent au soleil leurs splendeurs ignorées sans qu'aucun œil curieux vienne les visiter! Nos voisins sont fiers à juste titre des magnifiques châteaux qui peuplent leur île; mais, même sous ce rapport, nous ne sommes pas aussi inférieurs qu'on pourrait le croire : nos campagnes n'ont pas toujours été aussi désertées par les familles opulentes que depuis un siècle environ, et avant 1789, nous étions au moins

aussi riches qu'eux en belles résidences rurales. Après toutes les démolitions accomplies tantôt par la rage révolutionnaire, tantôt par une sauvage spéculation, on pourrait encore, en cherchant bien, retrouver chez nous assez de châteaux des trois derniers siècles pour les opposer aux plus célèbres manoirs anglais; seulement les nôtres tombent en ruine, tandis que les leurs, conservés avec un soin religieux, agrandis de génération en génération, vénérés de tous comme un patrimoine national, restent debout et impérissables. Leurs ruines même, quand ils en ont, ce qui est rare, sont entretenues avec amour; ils vont jusqu'à en simuler quand ils en manquent, et le goût des constructions dans le style aigu et tourmenté, qui a reçu le nom de Tudor, est poussé jusqu'au ridicule.

Ce que je viens de dire du Warwickshire s'applique également aux comtés de Worcester et de Leicester, ses voisins. La vallée de l'Avon se continue dans le Worcester avec les mêmes grâces et la même fécondité. Le Leicester est peut-être plus riche encore. C'est surtout dans les terrains de lias que les herbages réussissent, et il y a beaucoup de terrains de ce genre dans le Leicester. La petite ville de Melton-Mowbray, qui est dans la belle saison le rendez-vous des amateurs de la chasse au renard, doit ce privilége à la configuration de son sol, légèrement accidenté, où de molles rivières, coulant à pleins bords, serpentent paresseusement au milieu de grasses prairies entrecoupées de haies; toutes les conditions exigées pour le steeple-chase se trouvent réunies. C'est dans ce comté que se fabrique le fameux

fromage de Stilton, et que se trouve la ferme de Dishley-Grange, autrefois occupée par Bakewell, d'où est sorti le grand principe de la transformation des animaux domestiques, une des plus utiles conquêtes du génie humain.

Malgré sa prospérité traditionnelle, le Leicester n'a pas été tout à fait à l'abri de la crise. Comme la plupart des pays d'herbages, il s'était endormi dans son succès; comme eux aussi, il s'était trop laissé envahir par la petite propriété et la petite culture: petits propriétaires et petits fermiers se sont trouvés sans défense contre la baisse. Quelques changements de personnes sont devenus nécessaires, et s'effectuent assez rapidement. Le tout petit comté de Rutland, qui n'a pas 40,000 hectares, ressemble au Leicester.

Le comté de Stafford offre peut-être le plus grand exemple qui existe en Angleterre, avec le comté de Lancastre, de la puissante influence que le voisinage de l'industrie exerce sur le développement agricole. Naturellement arides et sauvages, les montagnes qui le traversent s'élèvent à 1,000 pieds anglais au-dessus du niveau de la mer. Les districts industriels sont situés précisément dans les parties les moins fertiles; ils se divisent en deux groupes les poteries au nord, qui s'approchent du comté de Lancastre, et les usines métalliques au sud, qui vont jusqu'aux portes de Birmingham. Grâce aux progrès sans exemple qu'ont faits et que font tous les jours ces industries, la population du comté dépasse aujourd'hui 600,000 âmes sur une étendue totale de 300,000 hectares. Quand une pareille

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