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CHAPITRE XVI.

LES COMTÉS DE L'OUEST.

Si la région du sud est la zone des céréales et celle de l'est le principal domaine de l'assolement quadriennal, celle de l'ouest a aussi son caractère particulier; là dominent les herbages, cette primitive richesse du sol anglais. La prospérité rurale de cette région n'est pas de création moderne ; elle date de loin. Toute la richesse agricole de l'île était autrefois concentrée dans deux zones, les herbages de l'ouest et d'une partie du centre, et les terres à blé du sud-est; tout le reste n'offrait que des bruyères, des marais et des montagnes incultes. Depuis, les terres à blé ont été dépassées par les terres légères soumises à l'assolement quadriennal; mais les herbages ont conservé leur antique supériorité. Il pleut trois fois plus dans l'ouest de l'Angleterre que dans l'est. Les émanations salines que les vents y apportent de l'Océan, paraissent aussi exercer sur la végétation de l'herbe une influence qui se reproduit sur nos côtes occidentales. De temps immémorial, des comtés entiers n'y forment qu'une immense prairie couverte de troupeaux, les générations de bétail qui s'y sont succédé

y ont déposé une masse d'engrais qui ne cesse de s'accroître. Ces prairies sont, comme la houille, un don du ciel; toute l'économie rurale de l'Angleterre en dérive, car elles ont appris par expérience aux cultivateurs britanniques l'importance du bétail. Le comble de l'art a été d'imiter ailleurs ce que la nature donnait si libéralement dans l'ouest.

Aujourd'hui les pays d'herbages commencent à leur tour à rester en arrière. Comme il arrive toujours après une longue prospérité, ils se sont endormis dans leur facile succès, pendant que tout marchait autour d'eux. Les agronomes actuels sont assez peu favorables à ce qu'on appelle le vieux gazon, old grass; l'art de l'homme n'y est que pour peu de chose, et partout où il s'en trouve en grande étendue, la science agricole proprement dite a peu marché. Les fermiers des pays d'herbages font aujourd'hui ce que faisaient leurs pères; l'aiguillon de la nécessité ne les a pas atteints, les procédés perfectionnés de la culture moderne ont beaucoup de peine à pénétrer parmi eux. Cette stabulation savante des Huxtable et des Mechi, cet art du drainage, cette recherche assidue de nouveaux engrais, cette invention ingénieuse d'instruments, ce choix de semences, toute cette fiévreuse activité qui caractérise la nouvelle école, leur est inconnue ; l'école d'Arthur Young elle-même ne les a pas profondément modifiés ; ces deux révolutions, qui à un demi-siècle d'intervalle ont agité le monde agricole, ont passé presque sans les toucher. Ils se reposent sur leur supériorité traditionnelle, obtenue et conservée jusqu'ici sans effort.

En sera-t-il toujours ainsi? Il est permis d'en douter. Non-seulement l'agriculture perfectionnée obtient un plus grand produit brut, mais sur quelques points déjà elle obtient aussi un plus grand produit net. Pour le moment, la rente des pays à herbages est encore, dans l'ensemble, la plus élevée. Il y a dans le royaume plu sieurs millions d'hectares, un quart peut-être de la su perficie totale, en vieux gazon, nulle part ailleurs on ne trouve une pareille étendue de terres donnant un pareil revenu. Sur quelques points privilégiés du nord et du midi de la France, dans quelques parties de la Belgique, de l'Italie ou de l'Espagne, on peut signaler des rentes plus élevées, mais sur d'étroits espaces seulement.

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La rente moyenne, en Angleterre comme en France, est le tiers environ du produit brut. Cependant cette proportion varie beaucoup selon le mode de culture; sur les points où les frais de production s'élèvent, la rente tombe au quart et même au cinquième du produit brut; sur ceux au contraire où les frais de production descendent, la rente monte à la moitié et au delà: c'est ce qui arrive pour les herbages. La main-d'œuvre se réduit presque à rien, il n'y a en quelque sorte qu'à recueillir: peu peu de capital, peu de mauvaises chances, tout est profit à peu près assuré. Aussi en voit-on qui donnent jusqu'à 500 francs de rente par hectare.

Il y a trois manières de tirer parti de ces herbages, l'élève du bétail, l'engraissement et le lait. On a trouvé en Angleterre, comme en France, que l'élève était la moins profitable des trois ; on n'y consacre que les pàturages les plus maigres, et il se fait le même commerce

que chez nous de jeunes animaux nés dans les régions montagneuses, qui viennent s'engraisser dans les contrées les plus fertiles, Les idées nouvelles sont contraires à ces migrations du bétail; partout où ces idées prennent faveur, comme elles ont précisément pour base une forte alimentation pendant le jeune âge, elles tendent à réunir l'industrie de l'élève à celle de l'engraissement ; mais ce ne sont là que des exceptions plus ou moins répandues, et les faits généraux sont encore pour la distinction. L'engraissement est considéré comme plus lucratif et plus sûr, quand les pâturages valent mieux, et en effet nous savons par l'exemple de nos herbagers normands, combien cette industrie est commode et avantageuse; mais ce qui l'emporte sur tout, en Angleterre comme en France, c'est le lait. Les herbagers de l'ouest font des fromages, la plupart très-renommés.

Ces pays sont de ceux qui font exception à ce qu'on regarde comme la règle commune en Angleterre ; la propriété et la culture y sont généralement divisées. Pour quelques grands domaines, on en rencontre beaucoup de petits, dont quelques-uns exploités par leurs propriétaires. Nous avons déjà trouvé cette division dans le Kent, le Sussex, le Devon; nous la retrouverons encore. La cause change suivant les lieux : dans le Kent, c'est la diversité des cultures; dans le Sussex, la difficulté du travail; dans le Devon, l'état montagneux du pays; dans les pays à herbages, la nature de l'industrie dominante, qui exclut les grands appareils. Les économistes anglais trouvent que cette division a été poussée trop loin, et ils pourraient bien avoir raison, car la condition générale

de la population n'y est pas toujours bonne malgré la richesse des produits, et les salaires sont peu élevés.

La région de l'ouest comprend six comtés. Dans celui de Somerset, les parties qui touchent au Devonshire sont comme lui, âpres et montagneuses, il s'y trouve un des districts les plus déserts et les plus incultes de l'île, la lande granitique qui porte le nom de forêt d'Exmoor, et qui rivalise pour la rudesse avec celle de Dartmoor : 8,000 hectares environ, abandonnés à une espèce de moutons à demi sauvages et au gibier qui fuit le plus la présence de l'homme, comme le cerf. En revanche, la vallée de Taunton, qui touche à la forêt d'Exmoor, est des plus renommées pour sa fraîcheur et sa fertilité, et toute la partie du comté qui se rapproche du Glocester, où se trouvent la ville de Bath, célèbre par ses eaux minérales, et le port populeux de Bristol, abonde en excellents pâturages. Nulle part en Angleterre, si ce n'est dans le comté de Leicester, celui de Middlesex excepté, la rente des terres ne s'élève aussi haut que dans le Somerset; elle est de 100 francs en moyenne, et atteint le double et même le triple dans la vallée.

Un pays qui réunit tant d'avantages, qui se trouve à une faible distance de Londres et qui a dans son propre sein des débouchés comme Bath et Bristol, qui a été d'ailleurs favorisé par la nature de cette belle végétation herbagère et qui en retire une rente si élevée, semblerait devoir jouir d'une grande prospérité. La classe ouvrière souffre cependant; l'excès de population est la cause manifeste de cette souffrance. C'est cet excès même qui, en provoquant une concurrence extrême pour les fermes,

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