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produit des prairies artificielles depuis que deux nouveaux moyens ont été imaginés pour en rendre la végétation plus active : le premier est l'emploi d'une espèce particulière de ray-grass qu'on appelle ray-grass d'Italie; le second, un mode perfectionné de distribution de l'engrais liquide.

Le ray-grass d'Italie est une plante extraordinaire pour la promptitude de sa végétation; il ne dure que deux ans, mais, quand il se trouve dans de bonnes conditions, il peut être coupé jusqu'à huit fois par an; son foin est dur, mais excellent à consommer en vert. Il prospère, malgré son nom et son origine, jusque dans les régions les plus froides, et son usage se propage rapidement, soit en Angleterre, soit en Écosse. Si ce qu'on en dit se confirme, il paraît supérieur à la luzerne.

Quant au mode de distribution de l'engrais liquide, c'est sans contredit la partie la plus originale et la plus curieuse du système. Il a été inventé par M. Huxtable, dans le comté de Dorset, le principal promoteur de la nouvelle révolution agricole. Voici en quoi il consiste. Les déjections des animaux, une fois tombées dans la fosse pratiquée sous les étables, se rendent par des conduits dans un réservoir où elles se mêlent avec de l'eau et des matières fécondantes; de là partent d'autres conduits souterrains qui se prolongent dans tous les sens jusqu'aux extrémités du domaine. Tous les 200 mètres environ sont placés des tuyaux verticaux qui s'élèvent du tuyau de conduite jusqu'à la surface du sol et dont l'orifice est fermé par un couvercle. Quand on veut fumer une partie du terrain, on enlève le couvercle d'un

des tuyaux verticaux, on y adapte un tube en guttapercha; une pompe mise en mouvement par la machine à vapeur refoule le liquide dans les tuyaux, et l'ouvrier qui tient le tube mobile arrose autour de lui comme un pompier dans un incendie. Un homme et un enfant suffisent pour fumer ainsi 2 hectares par jour. On donne de six à douze arrosages par an, suivant les circonstances.

Les frais d'établissement des tuyaux et des pompes reviennent à 100 francs par hectare quand on emploie des tuyaux en terre cuite, à 250 francs quand ils sont en fonte. La construction des réservoirs et l'établissement de la machine à vapeur constituent une dépense à part et qui ne doit pas entrer en ligne de compte, puisque l'un et l'autre sont désormais indispensables dans toute ferme bien tenue. La pose des tuyaux devient alors une économie plutôt qu'une dépense; on a bien vite regagné en épargne de main-d'œuvre et de temps ce qu'on peut dépenser pour frais d'établissement et d'entretien, et les résultats qu'on obtient sont admirables. Les plantes s'assimilent avec une extrême promptitude l'engrais ainsi divisé et distribué en pluie; son effet est en quelque sorte immédiat, et il peut être épuisé sans cesse, puisqu'il est sans cesse renouvelé.

Cette ingénieuse invention est évidemment destinée au plus grand succès. M. Huxtable a commencé sur 25 hectares, mais il y a aujourd'hui des fermes, notamment dans le comté d'Ayr en Écosse, où les conduits s'étendent sur 200. Elle a le mérite de se concilier avec tous les systèmes de culture, et peut même servir à sauver les pâturages; elle est réalisable-sous tous les climats, et

pourrait être transportée dans les pays chauds, où elle produirait bien d'autres merveilles. Elle paraît d'une application plus générale encore que le drainage, et on ne saurait trop appeler sur elle l'attention des cultivateurs français.

Grâce à ce surcroît d'engrais, fortifié encore par tous les engrais artificiels que l'imagination peut découvrir, le rendement des céréales peut s'élever dans la même proportion que les produits animaux. Le rendement moyen est porté, dans les terres cultivées par les nouvelles méthodes, à 40 hectolitres de froment, 50 d'orge et 60 d'avoine par hectare; comme en même temps l'étendue emblavée est fort accrue, le produit total est plus que doublé, et ce ne sont pas là des spéculations et des hypothèses, mais des faits réalisés sur beaucoup de points du Royaume-Uni. Dans chaque comté, il y a au moins une ferme où quelque riche propriétaire ne craint pas de faire ces essais; la masse des cultivateurs observe, étudie, et, dans la mesure de ses ressources, imite ce qui a réussi.

L'ensemble du système ne peut être avantageusement mis en pratique que dans les pays les plus favorables à la production des céréales, c'est-à-dire dans la région du sud-est, la plus travaillée de toutes par la crise. Dans l'ouest et le nord, on arrive peu à peu à la suppression presque complète des céréales. La division du travail fait ainsi un nouveau pas la culture des céréales s'étend dans les terres qui s'y prêtent le plus, elle se resserre dans celles qui s'y prêtent le moins; il ne paraît pas que dans l'ensemble la proportion des terres

emblavées doive changer sensiblement. Dans les régions où l'on se borne de plus en plus à nourrir du bétail, on obtient par le seul emploi de la stabulation et de l'engrais liquide des résultats sinon plus beaux, au moins plus assurés. Je n'en veux citer qu'un exemple, la ferme de Cupning-Park, dans le comté d'Ayr. Cette ferme, qui n'a que 20 hectares de superficie, était avant la crise dans les conditions moyennes de l'Angleterre : la rente n'y dépassait pas 75 fr. par hectare et le produit brut 250 fr.; aujourd'hui le produit brut atteint 1,500 fr. par hectare, et le produit net au moins 500. On ne fait pourtant que du lait et du beurre à Cunning-Park ; mais, grâce aux nouveaux procédés, on y entretient quarante-huit vaches au lieu de dix, et chacune de ces vaches est beaucoup plus productive.

Tels sont les traits généraux de la révolution agricole actuelle, ce qu'on appelle le high farming, la haute culture. Je dois pourtant signaler encore un point qui peut servir à caractériser de plus en plus le système : la guerre faite aux haies et au gibier.

Quand le principe de la culture anglaise était le pâturage, les grandes haies avaient leur utilité. Avec le progrès de la stabulation, cette utilité diminue; elles peuvent d'ailleurs être remplacées par des haies basses ou d'autres clôtures. Les cultivateurs ne leur trouvent plus que des inconvénients: elles occupent par ellesmêmes une place énorme, elles nuisent doublement par leur ombrage et par leurs racines aux fruits de la terre, elles servent de refuge à des multitudes d'oiseaux qui dévorent les semences. La plupart des propriétaires ré

sistent encore, d'abord parce que l'émondage et la coupe des arbres leur donnaient un revenu, ensuite parce que ces haies contribuaient singulièrement à la beauté du paysage; mais quelques-uns d'entre eux se sont déjà exécutés, et le reste devra céder plus ou moins, car l'opinion publique, saisie de la question, se prononce tous les jours de plus en plus en faveur des fermiers. Le même sort est évidemment réservé au gibier, dont la sévérité des lois sur la chasse a jusqu'ici favorisé la multiplication, et qui fait un mal réel aux récoltes. L'opinion, si favorable en Angleterre à la grande propriété, mais en même temps si exigeante pour elle, commence à faire aux riches landlords un devoir de sacrifier leurs plaisirs aux nécessités nouvelles de la production.

En assistant à cette lutte pacifique dont l'issue ne saurait être douteuse, on ne peut s'empêcher de se rappeler que des abus du même genre ont été une des causes de la révolution française. Pour se préserver des ravages des lièvres et des lapins seigneuriaux, nos cultivateurs n'ont pas trouvé de meilleur moyen que de démolir les châteaux et de tuer ou d'expulser les propriétaires. Les cultivateurs anglais se montrent plus patients et plus calmes; ils n'en finiront pas moins par atteindre leur but, sans bouleversement et sans excès. Leur arme unique est la reproduction obstinée de leurs griefs; ils calculent gravement combien d'acres de terre sont enlevées à la culture par les grandes haies, combien il faut de lièvres pour consommer la subsistance d'un moùton. C'est parmi eux un lieu commun de dire et de répéter

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