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perfectionnez surtout les moyens de communication qui rapprochent les consommateurs des producteurs; le reste suivra nécessairement. Il en est du commerce et de l'industrie à l'égard de l'agriculture, comme de la culture des plantes fourragères et de la multiplication des animaux à l'égard de la production céréale; il semble d'abord qu'il y ait opposition, et au fond il y a un tel enchaînement que l'un ne peut faire de progrès sérieux sans l'autre.

Les débouchés, voilà le plus grand, le plus pressant intérêt de notre agriculture; les procédés à suivre pour augmenter la production ne viennent qu'après. J'ai indiqué les principaux procédés suivis en Angleterre, j'en indiquerai bientôt d'autres. L'agriculture nationale peut y trouver des exemples utiles, mais je suis loin de les donner comme des modèles à imiter partout. Chaque sol et chaque climat a ses exigences et ses ressources; le midi de la France, par exemple, n'a presque rien à emprunter aux méthodes anglaises; son avenir agricole est pourtant magnifique. Il n'y a qu'une loi qui ne souffre pas d'exception et qui porte partout les mêmes conséquences, la loi du débouché.

CHAPITRE XII.

LA RÉFORME DOUANIÈRE.

Nous avons en quelque sorte assisté à la génération de la richesse agricole anglaise; son principe est dans la prédilection de la classe riche pour la vie rurale; outre les avantages directs qui en résultent pour les campagnes, ces mœurs ont produit la liberté politique et l'ont préservée du contact impur des révolutions; la liberté sans révolutions a produit un immense développement industriel et commercial, et le développement industriel et commercial a produit à son tour une grande prospérité agricole; l'impulsion féconde est revenue à son point de départ. Il nous reste à nous rendre compte d'un événement récent qui paraît contraire à ces prémisses, et qui n'en est pourtant qu'une conséquence; je veux parler de la réforme douanière de sir Robert Peel et de la crise qui l'a suivie.

Au milieu de ses grandeurs et de ses richesses, l'Angleterre est toujours en présence d'un immense danger qui est la conséquence de sa richesse même, l'excès de population. Voilà déjà un demi-siècle qu'un de ses plus illustres enfants, Malthus, a poussé le cri d'alarme pour

la prévenir; depuis cette époque, elle a eu plusieurs fois de tristes avertissements dans des soulèvements causés par la disette. Quelle que soit la rapidité du développement agricole, il a peine à suivre le mouvement plus rapide encore de la population. La hausse des subsistances est l'effet certain de cette agglomération d'hommes. On vient de voir combien cette hausse a été utile, en ce qu'elle a excité les progrès de l'agriculture; mais il est un point où elle devient nuisible, c'est quand elle atteint un prix de disette, scarcity price; alors la souffrance d'une portion notable de la population réagit sur le reste, et l'ensemble de la machine sociale ne fonctionne plus que péniblement.

Dans l'état de production que nous avons indiqué, et avec une population de 28 millions d'habitants, la répartition égale des subsistances obtenues par l'agriculture dans les trois royaumes donnait le résultat suivant :

- viande, 60 kilos par tête; froment, 1 hectolitre et demi; orge et avoine, 1 hectolitre; lait, 72 litres; pommes de terre, 7 hectolitres; bière, 1 hectolitre; valeur totale, 130 francs d'après les prix anglais, et avec la réduction de 20 p. 100, 105. En France, la même répartition donnait le résultat suivant : — viande, 28 kilos; volailles et œufs, l'équivalent de 6 kilos de viande environ; lait, 30 litres; froment, 2 hectolitres; seigle et autres grains, 1 hectolitre et demi; pommes de terre, 3 hectolitres; légumes et fruits, une valeur de 8 francs; vin, 1 hectolitre; bière et cidre, 1 demi-hectolitre; valeur totale, 105 francs.

L'alimentation moyenne était donc, à peu de chose

près, équivalente dans les deux pays. Les îles britanniques avaient l'avantage pour la viande, le lait et les pommes de terre; la France, à son tour, reprenait le dessus pour les céréales, les légumes, les fruits, et pourla qualité comme pour la quantité de la boisson. A égalité de besoins, la situation des deux populations aurait été la même; mais soit pour une cause, soit pour une autre, l'Anglais consomme plus que le Français. La population anglaise proprement dite attirait à elle presque toute la viande et presque tout le froment des deux îles, et ne laissait à la grande majorité de la population écossaise et irlandaise que l'orge, l'avoine et les pommes de terre; et cependant, malgré la grande supériorité de production de la terre anglaise, malgré les nombreuses importations d'animaux et de grains d'Écosse et d'Irlande, la demande des denrées alimentaires était encore telle en Angleterre, que les prix s'y maintenaient en moyenne bien au-dessus de nos prix français; ils auraient même monté au delà, si l'importation venue de l'extérieur ne les avait contenus.

Dans une telle situation, la question des approvisionnements a toujours été pour les hommes d'État anglais une question de premier ordre. Dans un pays où la population est aussi condensée, où un tiers environ des habitants est réduit au strict nécessaire et où les deux autres tiers, quoique les mieux partagés du monde, ne se trouvent pas encore assez bien nourris, le moindre déficit de récolte peut amener des embarras formidables. C'est en effet ce qui est arrivé à diverses époques, notamment au plus fort de la guerre contre la France; on

a vu le blé monter alors à des prix excessifs, 4, 5 et jusqu'à 6 livres sterling le quarter, c'est-à-dire 30, 40 et 50 francs l'hectolitre. Depuis 1815, les progrès de la culture et de l'importation avaient progressivement ramené le prix du froment à un peu moins de 3 liv. sterl. le quarter ou 25 francs l'hectolitre, il était même tombé en 1835 à 2 liv. sterl., ou 17 francs; mais depuis 1837 il tendait à se relever, et il avait déjà plusieurs fois dépassé le cours de 30 francs.

On en était là quand est survenu un fléau qui a menacé dans son existence un des principaux éléments de l'alimentation nationale je veux parler de la maladie des pommes de terre. Ce fléau, qui a produit en Irlande une véritable famine, a eu, même en Angleterre, des effets désastreux, et il a été bientôt suivi de craintes sérieuses sur la récolte des céréales, craintes qui n'ont été que trop justifiées par les mauvaises années de 1845 et de 1846.

D'autres raisons appelaient sur le prix des subsistances l'attention des esprits prévoyants. Tout l'échafaudage de la richesse et de la puissance britanniques repose sur l'exportation des produits industriels. Jusqu'à ces derniers temps, l'industrie anglaise avait peu de rivaux ; mais peu à peu les manufactures ont fait des progrès chez les autres peuples, et les produits anglais ne sont plus les seuls à se présenter sur les marchés de l'Europe et de l'Amérique. Les commerçants anglais ne peuvent donc soutenir la concurrence universelle que par le bon marché, ce bon marché n'est lui-même possible qu'autant que les salaires des ouvriers ne sont pas trop élevés. Or

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