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est généralement de bonne qualité; mais le midi de la France a sur elle la supériorité de son ciel. Les bogs irlandais n'ont pas leur équivalent dans les landes marécageuses de la Gascogne et de la Camargue, moins impropres qu'eux à la production.

Ainsi notre territoire l'emporte de tous points sur le territoire britannique, non-seulement en étendue, mais en fertilité. Notre région du nord-ouest vaut mieux que l'Angleterre et le pays de Galles, celle du centre et de l'est vaut mieux que l'Ecosse, celle du sud vaut mieux que l'Irlande.

Il y a déjà plus de soixante ans qu'Arthur Young, le grand agronome anglais, a reconnu cette supériorité de notre sol et de notre climat : « Je viens de passer en revue, dit-il, à la fin de son Voyage agronomique en France, de 1787 à 1790, toutes les provinces de France, et je crois ce royaume supérieur à l'Angleterre en fait de sol. La proportion de mauvaises terres qui se trouvent en Angleterre, par rapport à la totalité du territoire, est plus grande qu'en France; il n'y a nulle part cette prodigieuse quantité de sable sec qu'on trouve dans les comtés de Norfolk et de Suffolk. Les marais, bruyères et landes, si communs en Bretagne, en Anjou, dans le Maine et dans la Guienne, sont beaucoup meilleurs que les nôtres. Les montagnes d'Ecosse et du pays de Galles ne sont pas comparables, en fait de sol, à celles des Pyrénées, de l'Auvergne, du Dauphiné, de la Provence et du Languedoc. Quant aux sols argileux, ils ne sont nulle part aussi tenaces qu'en Angleterre, et je n'ai pas rencontré en France d'argile semblable à celle de

Sussex. » Le célèbre agronome anglais rend le même hommage au ciel de la France : Nous savons tirer parti de notre climat, dit-il avec orgueil, et les Français sont encore dans l'enfance sous ce rapport, mais quant aux propriétés intrinsèques des deux climats, il n'hésite pas à donner la préférence au nôtre : cette conviction se reproduit à chaque ligne de son livre.

Et cependant, malgré des exceptions de détail nom breuses sans doute, mais qui ne détruisent pas la règle, l'Angleterre, même avant 1848, était mieux cultivée et plus productive, à surface égale, que le nord-ouest de la France; la Basse-Ecosse rivalisait au moins avec l'est, l'Irlande elle-même, la pauvre Irlande, était plus riche en produits que notre midi. Il n'y a que la HauteEcosse qui, comme région, soit dépassée par la région correspondante, et ce n'est pas la faute des hommes; encore est-il possible de trouver, hors du territoire continental, mais toujours dans un département français, l'ile de Corse, une contrée comparable à la Haute-Ecosse pour la valeur actuelle de sa production, malgré l'immense disproportion que la nature a mise entre leurs ressources, et ce n'est pas la seule comparaison qu'il serait facile d'établir entre ces deux pays, tous deux d'un accès si rude, tous deux anciennement habités par une population indomptée de pâtres et de bandits.

Si la France est restée en arrière du royaume-uni, elle est bien en avant des autres nations du monde, excepté la Belgique et la Haute-Italie, qui ont sur elle des avantages naturels. Les causes de cette infériorité relative ne tiennent pas, d'ailleurs, à notre population agri

cole, la plus laborieuse, la plus intelligente et la plus économe qui existe peut-être. Ces causes sont multiples et profondes, je me propose de les rechercher; mais auparavant je dois prouver ce que je viens d'avancer. Je suis obligé d'entrer à cet effet dans quelques détails purement agricoles. Je dirai d'abord comment l'agriculture anglaise est plus riche que la nôtre; je me demanderai ensuite pourquoi.

CHAPITRE II.

LES MOUTONS.

Le trait le plus saillant de l'agriculture britannique comparée à la nôtre, c'est le nombre et la qualité de ses moutons. Il suffit de traverser, même en chemin de fer, un comté anglais pris au hasard, pour voir que l'Angleterre nourrit proportionnellement beaucoup plus de moutons que la France; il suffit de mesurer d'un coup d'œil un de ces animaux, quel qu'il soit, pour voir qu'ils sont beaucoup plus gros en moyenne, et qu'ils doivent donner plus de viande que les nôtres. Cette vérité, qui saisit en quelque sorte de tous les côtés l'observateur le plus superficiel, n'est pas seulement confirmée par l'examen attentif des faits; elle prend, par cette étude, des proportions inattendues: ce qui n'est pour le simple voyageur qu'un objet de curiosité, devient pour l'agronome et l'économiste le sujet de recherches qui l'étonnent lui-même par l'immensité de leurs résultats.

Le cultivateur anglais a remarqué, avec cet instinct de calcul qui distingue ce peuple, que le mouton est de tous les animaux le plus facile à nourrir, celui qui tire le meilleur parti des aliments qu'il consomme, et en

même temps celui qui donne, pour entretenir la fertilité de la terre, le fumier le plus actif et le plus chaud. En conséquence, il s'est attaché, avant toute chose, à avoir beaucoup de moutons; il y a dans la Grande-Bretagne d'immenses fermes qui n'ont presque pas d'autre bétail. Pendant que nos cultivateurs se laissaient distraire par beaucoup d'autres soins, l'élève de la race ovine était, de temps immémorial, considérée par nos voisins comme la première des industries agricoles. Qui ne sait que le chancelier d'Angleterre, président de la chambre des lords, est assis sur un sac de laine, afin de montrer, par un pittoresque symbole, l'importance que la nation entière attache à ce produit? La viande de mouton est aussi fort recherchée par les consommateurs anglais.

Depuis cent ans, le nombre des moutons a suivi la même progression en France et dans les îles britanniques de part et d'autre, il a doublé. On calcule qu'en 1750 ce nombre, dans chacun des deux pays, devait être de 17 à 18 millions de têtes; il doit être de 35 aujourd'hui. La statistique officielle française dit 32 millions, et Mac Culloch arrive au même chiffre pour le royaume-uni, mais de part et d'autre on est, je crois, un peu au-dessous de la vérité. Cette égalité apparente cache une inégalité profonde. Les 35 millions de moutons anglais vivent sur 31 millions d'hectares, ceux de la France sur 53; pour en avoir proportionnellement autant que nos voisins, il nous en faudrait 60 millions.

Cette différence, déjà sensible, s'accroît quand on compare à la France l'Angleterre proprement dite; les deux autres parties du royaume-uni n'ont que peu de

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