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dront qu'il y a avantage pour eux à sortir plus ou moins de la propriété pour s'adonner davantage à la culture. Le capital placé en terre rapportant tout au plus 2 ou 3 pour 100, et le capital placé dans la culture devant rapporter de 8 à 10, quand il est bien employé, le calcul est facile à faire. Ce jour-là disparaîtront une foule de petites et de moyennes propriétés qui sont aujourd'hui dans des conditions déplorables; mais cette révolution ne sera jamais générale, et il n'est pas utile qu'elle le soit. La petite culture est, comme la petite propriété, plus conforme à notre génie. Les capitaux étant plus divisés chez nous qu'en Angleterre, il est convenable, pour que le capital d'exploitation soit suffisant, que les exploitations soient plus petites. Beaucoup de nos propriétaires aimeront mieux diviser leurs propriétés que s'en séparer tout à fait, et même en supposant la transformation complète, bien peu d'entre eux pourront réaliser assez d'argent pour exploiter convenablement de grandes fermes.

L'étendue des fermes se détermine d'ailleurs par d'autres causes, comme la nature du sol ou du climat et les espèces de cultures dominantes. La France est encore destinée par ces causes à être, plus que l'Angleterre, un pays de petite culture. Beaucoup de ses industries agricoles exigent un grand nombre de bras et rendent la division des exploitations nécessaire. La grande ressource du pâturage est moins généralement à notre portée. Presque partout, la terre de France peut répondre au travail de l'homme, et presque partout il est avantageux à la communauté que le travail de

l'homme la remue avec énergie. Je connais des parties de notre pays où la petite culture est un fléau ; j'en connais d'autres où c'est un bien inestimable, que la grande ne pourrait jamais suppléer.

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Plaçons-nous au centre de la France, dans les montagnes du Limousin. Nous y trouvons un sol pauvre,j granitique, un climat pluvieux et froid; les céréales y viennent mal et ne paient pas leurs frais de culture; toutes les cultures industrielles sont impossibles : c'est le seigle qui domine, et il ne donne que de faibles produits. Les herbes et les racines prospèrent au contraire. Les irrigations sont rendues faciles par l'abondance des sources, la qualité fécondante des eaux et les pentės du terrain ; l'élève et l'engraissement des animaux peuvent se faire dans d'excellentes conditions. C'est, à peu de chose près, le sol et le climat d'une grande partie de l'Angleterre. Tout y appelle la grande culture. Malheureusement, par suite de circonstances étrangères à la question agricole, c'est la petite qui règne; elle y est nécessairement peu productive. Les céréales épuisent le sol que ne répare pas un engrais insuffisant. La main-d'œuvre est excessive pour le résultat obtenu ; les bestiaux, mal nourris et extenués par le travail, ne donnent aucun profit; la rente est presque nulle, le salaire misérable.

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Transportons-nous, au contraire, dans les grasses plaines de la Flandre, sur les bords du Rhin, de la Ga ronne, de la Charente, du Rhône; nous y retrouvons la petite culture, mais bien autrement riche et productive. Toutes les pratiques qui peuvent féconder la terre

et multiplier les effets du travail y sont connues des plus petits cultivateurs et employées par eux, quelles que soient les avances qu'elles supposent. Sous leurs mains, des engrais abondants, recueillis à grands frais, renouvellent et accroissent incessamment la fertilité du sol, malgré l'activité de la production; les races de bestiaux sont supérieures, les récoltes magnifiques. Ici c'est le froment et le maïs, là le tabac, le lin, le colza, la garance, ailleurs la vigne, l'olivier, le prunier, le mûrier, qui demandent pour prodiguer leurs trésors, un peuple de travailleurs industrieux. N'est-ce pas aussi à la petite culture qu'on doit la plupart des produits maraîchers obtenus à force d'argent autour de Paris?

On a vu que, même en Angleterre, elle n'a pas tout à fait cédé le terrain. Tout cependant paraît contribuer à la proscrire; elle n'a pas, comme en France, le point d'appui de la petite propriété et de la division des capitaux; elle a contre elle les théories des agronomes et le système général de culture. Depuis Arthur Young, elle est en baisse, et les progrès modernes de l'agriculture. nationale ont été obtenus par des voies opposées. Elle persiste cependant, et tout porte à croire que, sur quelques points au moins, elle persistera. L'industrie des fromages, par exemple, s'en accommode parfaitement. C'est une industrie toute domestique : le soin de dix à douze vaches suffit pour occuper avec fruit une famille de cultivateurs qui se servent rarement de secours étrangers. Rien n'est charmant comme l'intérieur de ces humbles cottages, si propres, si bien tenus, où respirent

la paix, le travail et la bonne conscience, et on aime à s'imaginer qu'ils ne sont pas menacés de périr.

Même dans les conditions les plus favorables à son développement, la grande culture a des bornes, posées par la nature même des choses. Les trop grandes fermes anglaises sont sujettes à des inconvénients reconnus, à moins qu'elles n'aient beaucoup de pâtures. Dès que les céréales font partie de l'exploitation, les distances à parcourir par les hommes, les chevaux et les instruments, même avec les moyens perfectionnés inventés de nos jours, deviennent des pertes notables de temps et de force. Un seul chef peut difficilement porter son attention sur tous les points à la fois. J'ai vu de ces fermes appartenant à de très-grands seigneurs, et conduites directement par leurs agents, qu'on appelle des fermes de réserve, home farms, et qui frappent l'imagination par leur caractère grandiose, mais où le gaspillage atteint aussi des proportions homériques. Les possesseurs attachent un orgueil héréditaire à ces gigantesques établissements, monuments de richesse et de puissance; mais le plus souvent ils gagneraient beaucoup à les louer à de véritables fermiers.

Si la nécessité d'employer tous les jours un capital plus considérable à la culture, pour répondre par l'accroissement de la production à l'accroissement de la consommation, doit diminuer le nombre des petites fermes, elle ne peut manquer d'avoir aussi pour effet de réduire l'étendue des plus grandes. On commence à parler en Angleterre de 1,000 francs de capital d'exploitation par hectare, et ce n'est peut-être pas trop pour les

procédés nouveaux que le progrès agricole suggère tous les jours. Or, s'il est difficile à beaucoup de cultivateurs qui exploitent par eux-mêmes de fournir une pareille somme, il ne l'est pas moins, même en Angleterre, de trouver des entrepreneurs de culture qui aient un capital de plusieurs centaines de mille francs. Il est donc probable que le nombre des grandes et des petites fermes diminuera à la fois, et que les moyennes, celles de 50 à 100 hectares, 125 à 250 acres, les plus répandues déjà, se multiplieront. Cette dimension paraît en effet la meilleure pour le genre de culture le plus généralement adopté, mais ce n'est pas là de la grande culture, à proprement parler.

Il est probable aussi qu'en France une révolution du même genre se produira, à mesure qu'il deviendra possible de consacrer à la culture un plus grand capital. Les petites exploitations disparaîtront là où elles supposent la pauvreté, et il s'en formera de nouvelles là où elles indiquent la richesse. En somme, l'étendue moyenne pourra être, sans inconvénient, inférieure de beaucoup à la moyenne anglaise; dans l'organisation de la culture, comme dans celle de la propriété, une transformation radicale n'est pas à désirer. Encore un coup, là n'est pas la véritable question. Pourquoi la culture et la propriété sont-elles, non pas précisément plus grandes, mais plus riches et plus éclairées,. en Angleterre qu'en France? Voilà ce qu'il faut rechercher.

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