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103 jour, c'est partout un maigre salaire; mais il doit plus qu'ailleurs paraître intolérable dans un pays où le salaire courant des ouvriers ruraux est sur quelques points de 2 francs 50 cent., et où celui des ouvriers d'industrie s'élève en moyenne plus haut.

Voici, d'après ce qui précède, comment se partageait approximativement le produit brut en France et en Angleterre proprement dite :

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Toutes les parties prenantes, sauf le salaire, avaient donc une part plus grande en Angleterre qu'en France;

même en réduisant tous les prix, la rente était double, le bénéfice plus que triple, l'impôt quadruple; le salaire luimême, quoique égal ou à peu près en quantité absolue, était relativement un peu plus élevé. Le reste du RoyaumeUni offrait des résultats moins satisfaisants, mais presque toujours supérieurs aux nôtres.

Tels sont les faits, ou du moins tels ils étaient avant 1848. Les changements survenus depuis, soit en France, soit dans le Royaume-Uni, ont été considérables, surtout chez nos voisins, où une révolution plus légitime, plus réfléchie et surtout plus féconde que notre révolution de 1848, s'est accomplie paisiblement, pendant que nous remontions avec effort la pente de l'abîme où nous nous étions jetés. Quelque chose de pareil à ce qui s'est passé en France et en Angleterre de 1790 à 1800 s'est reproduit pendant cinq années, si stérilement pénibles pour nous, si utilement actives pour eux. Pendant que nous posions bruyamment beaucoup de questions sans les résoudre, ils les résolvaient sans les poser, et nous sommes sortis les uns et les autres de l'épreuve, eux fortifiés et nous affaiblis.

Avant de raconter cette crise respective qui a augmenté encore la distance déjà si grande que nous venons de constater, il importe de rechercher les causes de la supériorité agricole des Anglais jusqu'en 1847; elles dérivent de l'histoire et de l'organisation entière des deux pays. La situation agricole d'un peuple n'est pas un fait isolé, c'est une part du grand ensemble. La responsabilité de l'état imparfait de notre agriculture ne revient pas à nos cultivateurs exclusivement; son pro

grès ultérieur ne dépend pas uniquement d'eux, ou, pour mieux dire, ce n'est pas en fixant leurs regards sur le sol qu'ils peuvent à se rendre tout à fait compte des phénomènes qu'il présente, mais en essayant de remonter aux lois générales qui régissent le développement économique des sociétés.

Jusqu'à présent, ces sortes d'études ont été peu de leur goût; ils les repoussent à peu près d'un commun accord, comme inutiles et dangereuses pour des praticiens; je crois qu'ils se trompent, et j'espère le leur prouver. Il n'y a pas de bonne pratique agricole sans une bonne situation économique; l'une est l'effet, l'autre la cause.

CHAPITRE VII.

i

CON

CONSTITUTION DE LA PROPRIÉTÉ.

On attribue assez généralement la supériorité de l'agriculture anglaise à la grande propriété ; cette opinion est vraie à certains égards, mais il ne faút pas la pousser trop loin.

D'abord, il n'est pas exact que la propriété soit aussi concentrée en Angleterre qu'on se l'imagine communément. Il y a sans doute dans ce pays d'immenses fortunes territoriales; mais ces fortunes, qui frappent les regards de l'étranger et même du régnicole, ne sont pas les seules. A côté des colossales possessions de la noblesse proprement dite se trouvent les domaines plus modestes de la gentry. Dans la séance de la chambre des communes du 19 février 1850, M. Disraëli a affirmé, sans être contredit, qu'on pouvait compter dans les trois royaumes 250,000 propriétaires fonciers. Or, comme le sol cultivé est en tout de 20 millions d'hectares, c'est une moyenne de 80 hectares par famille, et, en ajoutant les terrains incultes, de 120. Le même orateur, en évaluant, comme nous, à 60 millions sterling ou 1,500 millions de francs le revenu net de la propriété rurale,

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a trouvé, à raison de 250,000 copartageants, moyenne de 6,000 fr. de rente, soit 4,800 fr. en valeur réduite.

Il est vrai que, comme toutes les moyennes, celle-ci ne donne qu'une idée fort incomplète des faits. Parmi ces 250,000 propriétaires, il en est un certain nombre, 2,000 tout au plus, qui ont à eux seuls un tiers dés terres et du revenu total, et, dans ces 2,000, il en est 50 qui ont des fortunes de princes. Quelques-uns des ducs anglais possèdent des provinces entières et ont des millions de revenu. Les autres membres de la pairie, les baronnets d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande, les grands propriétaires qui ne font pas partie de la noblesse, s'échelonnent à leur suite. En partageant entre ces 2,000 familles 10 millions d'hectares et 500 millions de revenu, on trouve 5,000 hectares et 250,000 francs de rente par famille.

Mais plus la part de l'aristocratie est considérable, plus celle des propriétaires du second ordre se trouve réduite. Ceux-là, cependant, possèdent les deux tiers du sol, et jouent conséquemment dans la constitution de la propriété anglaise un rôle deux fois plus important. Leur lot moyen tombe à 80 hectares environ, et leur revenu foncier à 4,000 francs; en appliquant à ce revenu la réduction de 20 pour 100, il n'est plus que de 3,200. Comme il y a nécessairement beaucoup d'inégalité parmi eux, on doit en conclure que les propriétés de 1,000, 2,000, 3,000 francs de rente, ne sont pas aussi rares en Angleterre qu'on le croit, c'est, en effet, ce qu'on trouve quand on y regarde de près.

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