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La réponse à cette question sera dans mon Cours d'écono mie rurale, autant du moins qu'il m'est possible de la donner à moi seul, car il ne faut pas oublier que mon enseignement n'était qu'une branche du faisceau, et que les cours d'agriculture, de zootechnie, de génie rural, et des autres sciences appliquées, physique, chimie, etc., en formaient l'indispensable complément.

Malheureusement notre pays est beaucoup plus habile à détruire qu'à fonder, et cette grande tentative n'est plus qu'un souvenir. Des germes précieux qui porteront plus tard leurs fruits, ont pu cependant se développer. Je n'en citerai qu'un exemple, parce qu'il vient d'être consacré par une récompense académique; je veux parler des recherches de M. Doyère, professeur de zoologie, pour la destruction des insectes nuisibles, et en particulier de l'alucite des blés, dont les ravages s'élèvent périodiquement à des sommes énormes. D'autres conséquences de ces quelques années d'étude, paraîtront successivement au grand jour...

Si j'en juge par les nombreux témoignages de sympathie que je reçois, l'attention publique se porte en ce moment chez nous vers l'agriculture avec beaucoup de vivacité. Je m'applaudis de ce mouvement, je suis heureux et fier d'y avoir contribué pour ma faible part, mais je ne puis dissimuler qu'il m'inspire en même temps quelques inquiétudes.

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L'agriculture est le plus beau de tous les arts, mais il est en même temps le plus difficile; il exige avant tout de la patience, de la persévérance, qualités fort rares parmi nous. Prenons garde d'ajouter de nombreux chapitres de plus à l'histoire déjà fort longue des mécomptes agricoles. S'il en était ainsi, nous ne tarderions pas à retomber dans le découragement, et en définitive, nous aurions reculé au lieu d'avancer,

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Je m'adresse surtout à ceux qui, comme moi, se sont tournés vers la vie rurale, après avoir essayé d'autres carrières, et par dégoût des révolutions de notre temps. Au sein de la nature quine change pas, ils trouveront ce qu'ils cherchent, l'ac

tivité dans le calme, et l'indépendance par le travail, mais pourvu qu'ils n'entreprennent pas trop à la fois.

Le premier soin de quiconque veut se livrer à des améliorations agricoles, doit être d'étudier les causes locales de ce qu'on appelle la routine; très-souvent, ces causes ne sont que transitoires, accidentelles, et on peut les écarter hardiment ; souvent aussi, elles sont profondes et fondamentales, et on est sûr de succomber en les attaquant de front. Le plus prudent est de marcher pas à pas, en s'éclairant toujours par l'expérience, et en laissant une large place au temps. Si la pratique qui prétend se passer de théorie est misérable, la théorie qui prétend se passer de pratique est vaine et téméraire.

Il y a une différence radicale entre la France et l'Angleterre'; c'est dans l'une l'extrême simplicité, et dans l'autre l'extrême diversité du problème; on se trompe presque toujours quand il s'agit de la France, parce qu'on veut généraliser; rien ne se prête moins à la généralisation que cette immense variété de sols, de climats, de cultures, de races, d'origines, de conditions sociales et économiques, qui font de notre unité apparente tout un monde multiple à l'infini.

Pour en revenir à cet Essai, j'aurais pu indiquer au bas des pages les nombreuses sources où j'ai puisé, mais j'ai craint de grossir inutilement le volume; je me bornerai à dire ici qu'indépendamment de mes observations personnelles pendant les quatre voyages que j'ai faits en Angleterre depuis 1848, j'ai particulièrement consulté les Lettres sur l'agriculture anglaise en 1851, par M. Caird, commissaire du Times, le meilleur ouvrage de ce genre qui ait paru depuis Arthur Young, les excellents écrits de MM. Porter et Mac-Culloch, et les recueils périodiques anglais consacrés aux matières économiques et agricoles.

Je ne veux pas terminer cette préface sans rendre aussi un hommage public à M. le comte de Gasparin, qui a rempli pendant deux ans les fonctions de directeur général de l'Institut national agronomique, et qui, en cette qualité, a bien voulu

encourager mes travaux et ceux de mes collègues. Puisse ce témoignage de reconnaissance et de respect de l'un de ses plus dévoués collaborateurs, adoucir pour lui l'amertume du coup qui a atteint sa vieillesse, après une vie si noblement consacrée au bien public et en particulier au progrès de l'agriculture nationale!

PARIS, 15 mars 1854.

L. L.

DE L'ANGLETERRE.

CHAPITRE I.

LE SOL ET LE CLIMAT.

Quand l'exposition universelle attirait à Londres un immense concours de curieux venus de tous les points du monde, la puissance industrielle et commerciale du peuple anglais a frappé les regards sans les étonner. On s'attendait généralement au gigantesque spectacle qu'ont présenté les produits de Manchester, de Birmingham, de Sheffield, de Leeds, entassés sous les voûtes transparentes du palais de cristal, et à cette autre scène non moins merveilleuse qu'offraient, en dehors de l'exposition, les docks de Londres et de Liverpool avec leurs magasins sans fin et leurs vaisseaux sans nombre; mais ce qui a surpris plus d'un observateur, c'est le développement agricole que révélaient les parties de l'exposition consacrées aux machines aratoires et aux produits ruraux anglais on était en général assez loin de s'en douter.

En France plus qu'ailleurs peut-être, malgré notre

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extrême proximité, on a trop cru jusqu'ici que l'agriculture avait été négligée en Angleterre au profit de l'inté– rêt industriel et mercantile. Un fait mal étudié dans son principe et dans ses conséquences, la réforme douanière de sir Robert Peel, a contribué à répandre parmi nous ces idées inexactes. Ce qui est vrai, c'est que l'agriculture anglaise, prise dans son ensemble, est aujourd'hui la première du monde, et qu'elle est en voie de réaliser de nouveaux progrès. Je voudrais faire connaître sommairement son état actuel, en indiquer les véritables causes, et en induire l'avenir; plus d'un enseignement utile peut sortir pour la France de cette étude.

Une crise grave et douloureuse s'est déclarée presque en même temps, quoique par des causes différentes, il y a maintenant bien près de cinq ans, dans les intérêts agricoles des deux pays. J'essaierai d'en apprécier à part la portée; mais il importe auparavant d'examiner quelle était, avant 1848, la situation des deux agricultures. Deux ordres de questions se rattachent à cette comparaison, les unes fondamentales, qui dérivent de l'histoire entière de leur développement, les autres transitoires qui naissent de leur condition pendant la crise. Avant tout, essayons de nous rendre compte du théâtre même des opérations agricoles, le sol.

Les îles britanniques ont une étendue totale de 31 millions d'hectares, c'est-à-dire les trois cinquièmes environ du territoire français, qui n'en a pas moins de 33; mais ces 31 millions d'hectares sont loin d'avoir une fertilité uniforme il s'y trouve au contraire des différences plus grandes peut-être qu'en aucun autre

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