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Mon ami, mon maître et mon père.

Tous ces noms ne sont plus affez charmants pour moi,
Si je ne puis encore y trouver mon confrère.

A peine eut-il achevé sa lecture que l'excellent M. Burette se jeta au cou de son élève, le loua de sa franchise et déclara que de tout cœur il se chargeait des frais de licence, sans rien retrancher des autres; et il tint parole jusqu'au dernier jour de septembre 1726, où Dubois prit le bonnet de docteur. L'année suivante, il était médecin de la Princesse de Conti. Avant de le suivre dans cette nouvelle condition, notons encore un incident qui prouve que ni les soucis de l'avenir ni ceux d'une préparation laborieuse ne parvenaient à contenir chez lui la fureur de versifier, qu'il appelle quelque part la maladie vermineuse. Il était au plus fort de ses examens de licence, lorsque le cousin de Rouen lui adressa un exemplaire d'un ouvrage qu'il venait de donner au public. C'était l'Histoire secrète des femmes galantes de l'antiquité : titre bien alléchant pour les lecteurs du XVIIe siècle! Aussitôt l'ami de M. Burette sollicite et obtient de son maître la faveur d'annoncer lui-même le livre dans le Journal des Savants. On commit même plus d'un passe-droit, pour donner satisfaction à son impatience. L'auteur dut se montrer content, sinon confus de l'éloge qui lui était décerné. Il reçut aussi un rondeau, le seul que Jean-Baptiste ait commis de sa vie, et ce n'est pas à regretter, car l'essai est médiocre. Par la plus étrange confusion d'idées, il place le cousin Dubois à côté, sinon au-dessus de Fénelon, pour la délicatesse du tour, l'agrément du style et l'art de raconter. Quand il eut ainsi épuisé les ressources de l'hyperbole, il se crut tout permis dans l'intimité. L'idée lui vint de traduire en style burlesque les histoires qui composaient le premier volume. C'est ainsi qu'il écrivit les aventures d'Io, prêtresse de Junon d'Argos, de Dio ou Cérès, reine de Sicile, de Daphné, de Cybèle et d'Atys, de Vénus et d'Adonis. Le cousin s'en montra froissé et la parodie n'alla pas plus loin. En effet, quand Scarron entreprenait de travestir Virgile, il ne faisait tort qu'à Scarron. Mais M. Dubois

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de Rouen n'avait rien de commun avec le Cygne de Mantoue, et la plaisanterie pouvait obtenir plus de succès qu'un éloge où la parenté se faisait trop sentir.

III. Le Médecin de la Princesse de Conti.

Ce n'était point une place de médiocre importance que celle qui était à pourvoir auprès de Marie-Anne de Bourbon, Princesse de Conti, fille de Louis XIV et de la Duchesse de La Vallière. Elle avait été occupée pendant trente ans par des médecins du plus grand mérite. Le premier titulaire fut le célèbre M. Dodart, homme qui n'aurait pas eu de défaut, disait Louis-le-Grand, sans ses liaisons trop étroites avec les partisans de Port-Royal : reproche que l'on peut entendre sans rougir. Il avait passé à l'hôtel de Conti les dix dernières années de sa vie. Sa mort fit couler les larmes de la Princesse, qui appréciait ses éminentes qualités. Elle ne se lassait pas de répéter que jamais elle n'avait rencontré un homme dont le caractère eût plus de douceur, la conversation plus d'agréments. Son fils recueillit sa succession et ne l'abandonna, au bout de dix nouvelles années, que pour passer chez le Roi en qualité de premier médecin. M. Burlet, gendre de M. Dodart fils, remplaça son beau-père. C'était un ancien médecin du roi d'Espagne. Il s'était vu forcé de quitter Madrid à la suite de la divulgation de certaines lettres réelles ou supposées qui le dénonçaient de complicité avec les ennemis de l'Etat. Peut-être expiait-il simplement le crime d'avoir atteint un degré de faveur qui excitait la jalousie d'un premier ministre. Il ne crut pas tomber de trop haut en acceptant le poste que venait de quitter son beau-père.

Tels avaient été les trois premiers médecins de la Princesse de Conti. Etait-il vraisemblable qu'on leur donnerait pour successeur un petit docteur tout frais émoulu, âgé de trente ans à peine et n'en marquant pas vingt-cinq, portant habit court et léger, petite perruque bien poudrée, bouquet de jonquilles à

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la boutonnière? Il est vrai que l'on ne songea pas d'abord à lui. La première fois que Dubois entendit parler de l'emploi, ce fut avec mission de décider M. Burette à l'accepter. Il ne comptait guère sur le succès de sa démarche; elle échoua plus piteusement encore qu'il ne s'y attendait. « Te moques-tu de moi, lui répondit le vieux savant? Il y a trente ans que je travaille à conquérir ma liberté, et, quand j'y suis parvenu, tu veux que je la sacrifie de nouveau! Je n'en ferai rien. Je vais écrire à M. Burlet, pour le remercier de son attention. Je respecte fort Mme la Princesse de Conti. Mais le Roi lui-même ne me tirerait pas de mon cabinet. »

Le choix commençait à devenir embarrassant. Il y avait alors à Paris trois catégories de médecins que l'on y trouverait sans doute encore aujourd'hui. « Je range dans la première, dit Dubois, ceux qui tiennent le haut du pavé, qui se trouvent partout, dont quelques-uns sont comme les portiers de la mort, à qui tous les agonisants doivent tribut, et qui gagnent depuis vingt jusqu'à cinquante mille livres par an. La seconde renferme ceux qui, établis à Paris depuis vingt ou trente années, y ont leurs habitudes, leurs biens, leur maison, leur ménage, leur père, leurs frères, leurs enfants et qui font de leur pratique depuis dix jusqu'à vingt mille livres. La troisième enfin comprend les jeunes médecins qui sortent des bancs de l'école, qui se promènent dans les rues, en attendant qu'on ait besoin d'eux et qui ne connaissent encore que par ouï-dire le traitement des maladies. »

Dubois appartenait tout naturellement à la dernière. Avant de descendre jusqu'à lui, on fit une tentative dans la seconde catégorie, auprès de M. Pousse, qui s'éleva plus tard à la première, et qui commençait pour lors à prendre rang parmi les praticiens distingués. C'était un homme de cinquante ans, marié, père de famille, assez répandu dans la bourgeoisie et la finance. Il pouvait gagner dix mille francs par an sur le pavé de Paris. Il fit le renchéri. Personne ne l'approuverait, disait-il, de quitter un établissement certain pour un poste qui

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le captiverait, le renfermerait dans une sphère très étroite, et mettrait des bornes à sa fortune. Ces raisons furent rapportées mot pour mot à la Princesse.

Dès lors il ne restait plus guère qu'à se rabattre sur notre débutant. M. Burlet, qu'il allait voir fréquemment, se mit à dire un jour entre haut et bas, en le considérant avec une attention marquée: «< il est vraiment d'une jeunesse effrayante! Monsieur, répondit le visiteur, pour toutes vos dignités, je ne voudrais pas avoir deux années de plus. Cependant, que penseriez-vous, si on vous proposait de me remplacer? Je penserais tout bonnement qu'on se moque de moi. Je ne me moque de personne. J'ai parlé de vous très sérieusement, et, comme on s'en rapporte à mon choix, si vous n'êtes pas mon successeur, c'est que je ne le voudrai pas. » Devant une déclaration aussi formelle, il n'était plus question de badiner. Dubois parla des qualités qui lui manquaient, de façon à prouver qu'il avait le juste sentiment de son insuffisance. Il remontra qu'il était pauvre, et par conséquent privé à l'avance de tout relief dans la maison d'une Princesse accoutumée à voir des médecins de haut parage; ensuite, qu'il était médecin de la Charité; que M. Burette avait conservé cette fonction deux ans de plus qu'il ne l'eût voulu, afin de la lui transmettre; que la Princesse ne voudrait pas sans doute d'un médecin d'hôpital, et que, de son côté, il était bien décidé à ne se séparer point d'un emploi où plus que partout ailleurs il trouvait moyen de se former à l'exercice de sa profession. Enfin, il déclara qu'il croirait manquer à son devoir, s'il prenait une décision aussi grave, sans connaître l'avis de son bienfaiteur.

M. Burlet loua fort sa délicatesse et promit de faire part à la Princesse des réflexions que lui avait livrées le jeune médecin. Quatre jours après, M. Burette recevait la lettre suivante : << Mme la Princesse de Conti, pourvu qu'elle ait un médecin sage et habile, ne s'embarrasse point de la figure qu'il fait chez elle. L'hôpital, loin de la rebuter, l'encourage. Plus un

médecin voit de malades, plus elle en a bonne opinion. M. Pousse a changé d'avis. Il s'est remis sur les rangs et m'a mandé qu'il acceptait la place. Son Altesse, informée de ce retour, a pris son parti sans balancer. Voilà deux concurrents, a-t-elle dit. L'un m'a fait valoir le sacrifice d'un établissement déjà formé ; l'autre m'a déclaré qu'il n'avait rien; par conséquent il me devra tout; c'est celui que je préfère. Il ne reste donc plus, continuait M. Burlet, qu'à savoir si votre jeune disciple est en état de se déterminer avec votre consentement. J'irai demain à Paris d'où je compte rapporter une réponse positive. »

M. Burette, qui avait déjà été très agréablement surpris, en apprenant l'entretien tenu chez M. Burlet, fut au comble de la joie en recevant cette nouvelle. Outre l'intérêt qu'il prenait à l'avenir de son élève, il avait à se justifier à ses propres yeux de la part de responsabilité qu'il avait assumée dans le refus opposé par Dubois à deux propositions avantageuses. La première fois, il s'agissait d'accompagner le duc de Richelieu dans son ambassade à Vienne. M. Dodart ne s'était pas laissé apercevoir en cette affaire, bien que l'initiative partît de lui. Il n'y avait donc pas lieu d'en craindre les suites. Mais, la seconde fois, ce fut M. le premier médecin lui-même qui, par l'entremise d'Helvétius, (1) alors médecin ordinaire du Roi, plus tard premier médecin de la Reine, fit mander à Versailles le protégé de M. Burette. D'accord avec son maître, qui, au besoin, prenait tout sur lui, Dubois remercia. M. Dodart ne le trouva pas mauvais. Il en fut autrement de M. de Noailles, qui avait besoin d'un médecin pour Saint-Germain-en-Laye, et, piqué de ne pas l'obtenir, déclara qu'on pourrait avoir à regretter de s'être montré si difficile. Toute sa vengeance se borna à faire nommer premier médecin du Roi M. Senac, qui avait accepté le poste de Saint-Germain. « Mais, dit Dubois, je proteste de la meilleure foi du monde que le seul souvenir

(1) Le père du philosophe,

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