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de pénitence. Le poète, à son tour, s'indigna, versifia, fulmina contre la bigotte engeance.

Rien dans tous nos plaisirs n'altéra la vertu ;
Son intérêt toujours fut le mieux défendu.
Lorsque l'on chanta même un petit air à boire,

Le Ciel nous est témoin que ce fut à sa gloire.

On l'a vu en effet. Mais, décidément, Mme Dubois avait eu tort de contrarier la vocation de son fils et de songer à faire de lui un avocat. Son plaidoyer en faveur des novices était bien ce qu'il y avait de plus propre à faire doubler la dose de pénitence. Notre siècle, qui se pique de progrès, jugerait, comme le bon chapelain, qu'il y avait lieu de resserrer les liens de la discipline dans la communauté des Nouvelles Catholiques de Saint-Lo.

Ce n'était pas petite affaire alors que de retourner des bords de la Vire à Paris, pour reprendre les cours. Les jeunes gens décidés comme Dubois louaient des chevaux de relais en relais. Comme il chevauchait à travers l'Eure, entre Cressenville et Saint-Laurent, il fut rejoint par un condisciple qu'il connaissait peu, parce qu'ils n'étaient pas de même année, et qui lui demanda cependant de continuer la route avec lui. Il s'excusa sur ce qu'il comptait passer par Rouen et y rester deux ou trois jours chez un parent. Cette difficulté ne rebuta point l'intrus qui se déclara prêt à attendre aussi longtemps qu'il faudrait. L'avocat au Parlement reçut avec sa bienveillance accoutumée nos deux voyageurs et combla de politesses le camarade de son jeune cousin, tout en déclarant qu'il ne lui reconnaissait d'autre mérite que d'être un fort beau garçon. Il le jugeait un automate, sinon quelque chose de pis. Les trois jours de halte passés, on enfourche de nouvelles bêtes et l'on part pour Magny. Le temps était mauvais, la route détrempée. A mi-chemin, on fait rencontre de deux dames, accompagnées de deux jeunes demoiselles et d'un blond damoiseau. La famille avançait lentement, péniblement, montée qu'elle était sur de misérables

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haridelles, et craignait avec raison de ne pouvoir arriver au terme du voyage avant la tombée de la nuit.

Ah! chevaliers de gente mine,

Dit l'une en s'adressant à nous,

Si nous n'avons secours de vous,
Gare le froid et la famine.

Aussitôt nos deux cavaliers s'emploient de leur mieux à faire avancer les bêtes.

Et vite et tôt, fouet en main,
Nous voltigeons devant, derrière,
Traversant foffé, mare, ornière,
Pour animer un peu le train.

Le cortège allait comme la poste. Mais l'allure des chevaux efflanqués, en devenant plus rapide, devenait aussi plus incommode. Le trot était si dur, si dur qu'on n'y pouvait plus tenir. Que faire? Il n'y avait plus qu'une ressource, celle dont on aurait dû peut-être s'aviser tout d'abord. Les cavaliers mirent pied à terre et changèrent de montures avec les deux plus jeunes cavalières. Celles-ci s'évertuaient à louer la façon d'aller de leurs nouveaux coursiers et déclaraient que, dans de telles conditions, elles iraient sans peine jusqu'à Paris et mème beaucoup plus loin, quand le cheval prêté par Dubois, prenant peur de quelque taupinière,

D'un seul pas en fit vingt ou trente.
Qu'arrive-t-il? Fille bientôt

Du haut en bas ne fait qu'un saut.

La malheureuse! Sa chute ne fut pas le seul de ses désagréments ni celui qui la fit pester davantage contre l'animalité tout. entière, sans excepter son tyran de beau-père qui l'avait contrainte d'accompagner sa mère par un temps si pitoyable. Elle reprit sa haridelle et l'on arriva comme l'on put à Magny. Quand, après ces alertes, on se retrouva tous rassemblés devant une table bien servie, en face d'un feu pétillant, la gaieté

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revint avec les forces. On chanta. Dubois improvisa autant de couplets qu'on en voulut. Il dit les incidents de la cavalcade, sans omettre même le plus délicat. Mais il était homme à se tirer savamment d'un si mauvais pas.

Cependant, le Céladon jouait un tout autre jeu. Il fatiguait sa blonde voisine de ses galanteries et de ses sourdes déclarations, si bien qu'à la fin, agacée des instances de ce benêt, et sans doute pour obtenir quelque répit, elle fit semblant de consentir à un rendez-vous nocturne. Mais à Bas-Normand Haute-Normande. Après beaucoup de chansons, on se dit le bonsoir et adieu; car les dames séjournaient à Magny. Alors la jeune fille échange contre celle de son frère la chambre qui lui avait été d'abord destinée et qui n'était séparée de celle des étudiants que par un étroit corridor. A peine était-il dans son lit que Dubois se mit à ronfler de tout son cœur. L'homme à bonnes fortunes, aussitôt qu'il le croit dans le premier sommeil, se lève en tapinois, ouvre et ferme à petit bruit une porte, puis l'autre, et avance comme il peut au milieu des ténèbres. Dès qu'il le sent approcher, le jeune garçon pousse un cri. Le visiteur lui applique la main sur la bouche, afin d'étouffer le bruit de sa voix. Alors le faux dormeur feint de se croire sous l'étreinte d'un assassin. Il crie de plus belle, appelle au secours et fait rage. En un clin d'œil toute la maison est sur pied, l'hôte, l'hôtesse avec leurs serviteurs et leurs servantes, tous dans le négligé de gens troublés au milieu de leur repos et armés de ce qui leur était tombé sous la main. On se jette à l'envi sur le tâtonneur; on vous le lie étroitement; chacun se promet de le voir bientôt pendu à une autre corde. (1) Quand elle juge le châ

(1) L'émotion était tenue en éveil par les vols et les assassinats que le trop fameux Cartouche allait expier en place de Grève. Aussi Dubois, de retour à Paris, commence-t-il son récit sur un ton de complainte :

Cartouche enfin, Dieu soit loué,
Hier, en plein midi, fut roué.
Pendant une heure, sur la roue,
A la Justice il fit la moue;
Puis rendit son âme au Seigneur,
Preuve qu'il n'était pas voleur.

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timent suffisant, la rusée fait tomber tout ce tumulte en dévoilant le stratagème. Alors les colères de se changer en rires et les menaces en brocards. Est-il besoin d'ajouter que le matin, avant le jour, le malheureux aventurier éveilla son compagnon de route et le pria de déguerpir au plus vite?

On selle, on bride nos coureurs,
Nous payons la dépense faite,

Et puis, sans tambour ni trompette,
Décampons, comme deux voleurs.

Tout est bien qui finit bien. Sans doute une demoiselle de notre temps jugerait encore plus convenable d'éconduire un galant que de le prendre au trébuchet. La prudence lui donnerait raison.

Il fallait que le pauvre Dubois fût naturellement d'humeur chantante pour oublier ainsi les préoccupations qu'il emportait en voyage et qui devaient se faire sentir encore plus vivement à son arrivée. Il avait compris que la générosité de ses amis commençait à se lasser. Les deux années qu'il devait consacrer à ses études, étaient terminées. Il en inaugurait une troisième, sans trop savoir comment il parviendrait à joindre les deux bouts. Puis, trouverait-il le moyen de mener à bien ses études prolongées? Ce fut la question qui se dressa devant lui plus menaçante à la fin de l'année. Il était temps qu'il comptât avec lui-même et qu'il prit une décision. Or, le seul parti abordable était de s'établir en province. Il fit à cet égard une franche ouverture à son généreux protecteur. Ce ne fut pas sans peine qu'il s'y décida. Mais son air inquiet et rèveur lui avait préparé les voies; M. Burette avait bien flairé quelque embarras. Il représenta chaleureusement à son jeune ami le tort qu'il se faisait en quittant le seul endroit où il pouvait fortifier ses connaissances, le pressa d'y rester encore quelques années et schargea de le défrayer au moins pendant celle qui commençait. Je l'aimais trop pour rougir d'accepter ses offres, qui furent d'ailleurs accompagnées de tous les correctifs dont la générosité noble et délicate assaisonne les bienfaits. Mon

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consentement ne se fit pas attendre, et la première marque de ma reconnaissance fut de laisser voir à mon illustre ami que la joie renaissait dans mon cœur. Un moment après il fut obligé de sortir en ville. Il me laissa dans son cabinet, en disant qu'il ne tarderait pas. Mais, au bout d'une demi-heure, il m'informa qu'il était retenu et que je pouvais m'en aller, quand je voudrais. Je m'en allai en effet. Mais je laissai sur sur son bureau quelques stances que venait de m'inspirer le premier moment de ma gratitude. » La reconnaissance inspira bien Dubois. Ses huit stances, qu'il nous a conservées, sont des meilleures qu'il ait faites. Voici la première qui donne bien la note des suivantes :

Soins dévorants, ennuis affreux,

Vous ne troublerez plus le repos de ma vie.
Mon âme, à vos rigueurs trop longtemps asservie
Retrouve enfin des jours heureux.

Ces vers furent payés plus magnifiquement qu'une pièce de génie. Pendant quinze mois, M. Burette procura à son protégé non seulement le nécessaire, mais même le superflu. Toutefois, le problème n'était encore que reculé. A cette nouvelle échéance, Dubois atteignait ses vingt-huit ans et cinq années d'une application soutenue l'avaient mis en état d'exercer sa profession. Ses amis le rappelaient à Saint-Lo. Le cousin du Parlement le pressait de s'établir auprès de lui, à Rouen. M. Burette répétait pour la centième fois que ce serait folie de ne point se faire admettre dans la Faculté de Paris. Au fond, Dubois en mourait d'envie. Mais le moyen? Comment oser mettre de nouvelles dépenses à la charge d'un ami si généreux? Ce qu'il n'osait dire, il osa l'écrire, et son embarras dut être grand; car il se trahit jusque dans la forme pénible de ses vers d'une facture habituellement si aisée. Cette pièce est tirée de loin et assez lourdement agencée. Du moins, les quatre derniers vers en faisaient connaître clairement l'objet :

C'est en vain que je trouve en toi

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