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EPUB

-DE

THEOPHRASTE,

TRADUITS DU GREC;

AVEC

LES CARACTÈRES

OU LES

MOEURS DE CE SIÈCLE,

PAR LA BRUYÈRE.

PREMIÈRE ÉDITION COMPLÈTE;

PRÉCÉDÉE

D'UNE ÉTUDE SUR LA BRUYÈRE ET SUR SON LIVRE,

SUIVIE

D'UN APPENDICE CONTENANT LES CHANGEMENTS FAITS PAR L'AUTEUR DANS CHACUNE
DES NEUF ÉDITIONS QU'IL A DONNÉES,

AVEC DES REMARQUES ET DES ÉCLAIRCISSEMENTS HISTORIQUES;

PAR M. LE BARON WALCKENAER.

Second tirage. - Première partie

PARIS,

LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRERES
IMPRIMEURS DE L'INSTITUT, RUE JACOB, 56.

1845.

TE BOŻ NAV

SUR

LA BRUYÈRE

ET SUR SON LIVRE.

SI. Du livre de la Bruyère.

C'est à tort qu'on a reproché aux hommes de nos jours de se montrer injustes envers les écrivains du siècle de Louis XIV, et envieux de leur renommée. Le grand nombre d'éditions qu'on a publiées de leurs chefs-d'œuvre, dans ces dernières années, prouve combien cette accusation est fausse. On a employé tout ce que l'industrie a de plus ingénieux dans ses procédés économiques, tout ce que les arts de la typographie, du dessin et de la gravure ont de plus dispendieux, pour proportionner l'acquisition de leurs ouvrages aux plus humbles comme aux plus magnifiques fortunes. On a écrit nombre de notices sur leur vie, et les académies ont couronné les éloges qu'on a faits d'eux et de leurs productions. Mais il faut croire qu'il est plus facile de varier les expressions des mêmes jugements, d'épancher des phrases élégantes sur un même fonds d'idées, de se donner auprès du vulgaire des lecteurs les grâces de la nouveauté, en répétant ce qui a été dit vingt fois, que LA BRUYÈRE. 1re PARTIE.

1

de saisir complétement le sens d'une œuvre littéraire; d'en faire ressortir les intentions et les motifs; d'en reproduire le texte avec exactitude; et surtout de faire en sorte que ce qui était parfaitement compris par les contemporains le soit également par les lecteurs de notre âge et par ceux qui le suivront.

Ce n'est que depuis peu d'années qu'on s'est enfin aperçu que les éditions les plus vantées des chefs-d'œuvre de nos grands auteurs étaient toutes plus ou moins fautives, et même que bon nombre d'elles étaient incomplètes ou tronquées; que les éditeurs avaient presque toujours ignoré quelles étaient les éditions qui avaient reçu les dernières corrections des auteurs, ou que si elles leur étaient connues, ils avaient négligé de les consulter. Les patientes recherches de quelques littérateurs zélés ont fait disparaître les mutilations et les difformités qui entachaient les œuvres de plusieurs de nos classiques, et leurs textes ont enfin été connus et fixés.

Quoiqu'on se soit vanté d'avoir rendu ce service au livre de la Bruyère, il n'en est rien. Nulle œuvre littéraire, au contraire, n'a plus souffert que le sien de l'incurie des éditeurs: je parle surtout des derniers et des plus récents. Ceux-là, depuis plus de soixante ans, dans leurs réimpressions successives, font subir au texte de la Bruyère un genre d'altération qui tend, à chaque page, à donner à ses pensées un sens différent de celui qu'il y attachait luimême. Jamais, en outre, il n'a paru de son livre une édition complète; et aucun de ses nombreux éditeurs n'a soupçonné que l'auteur, contraint par la censure, ou astreint par sa position à des égards, avait dans ses dernières éditions retranché, sans en prévenir, quelques pensées, quelques portraits qui se trouvaient dans les éditions précédentes.

Les pages suivantes fourniront les preuves de ces assertions. Elles feront connaître les soins que nous avons pris pour rendre cette édition complète et entière; pour obtenir toutes les variantes et les additions successives de chacune des éditions données par l'auteur; pour procurer aux lecteurs l'intelligence de plusieurs des passages de son livre jusqu'ici incompris; pour éclaircir chacune de ses pages par des détails sur les personnes, les mœurs et les usages auxquels il fait allusion; pour dissiper les ombres dont le temps semblait avoir couvert le tableau qu'il a tracé de l'époque où il avait vécu.

Faisons d'abord connaître les diverses destinées de ce livre depuis son origine jusqu'à nos jours. Pour la Bruyère, l'histoire de son livre est l'histoire de sa vie. Celle-ci est ignorée, et ses contemporains ne nous ont transmis sur lui que quelques particularités incertaines, qu'il nous faudra discuter et compléter.

Formey, si longtemps secrétaire perpétuel de l'Académie de Berlin, dans un discours prononcé en séance publique le 27 août 1787, voulant faire connaître les ouvrages d'un mérite supérieur qui ont dû la vogue dont ils ont joui aux circonstances qui accompagnèrent leur publication, cite le livre de la Bruyère. Pour faire comprendre combien l'auteur était loin de pressentir le succès extraordinaire de son œuvre, il raconte le fait suivant, qu'il tenait, dit-il, de M. de Maupertuis 1.

<< M. de la Bruyère venait presque journellement s'asseoir chez un libraire nommé Michallet, où il feuilletait les nouveautés, et s'amusait avec un enfant fort gentil, fille du

I

'Formey, Recueil de Mémoires de l'Académie de Berlin, depuis 1786 jusqu'à la fin de 1787, in-4°, 1792, p. 19.

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