Page images
PDF
EPUB

Adam au paradis me plantait de sa main ;

Le Nil me vit au rang de ses dieux domestiques ;.
Et l'auteur immortel des douces Géorgiques,
De ses grandes leçons interrompant le fil,
S'arrêta dans son vol pour chanter le persil.
Que ne l'imitais-tu ! mais ta frivole muse
Quêtant un sentiment aux échos de Vaucluse,
De Pétraque en longs vers nous rabache la foi,
Et ne réserve pas d'émistiche pour moi.
Réponds donc maintenant aux cris des chicorées,
Aux clameurs des oignons, aux plaintes des poirées,
Ou crains de voir bientôt, pour venger notre affront,
Les chardons aux pavots s'enlacer sur ton front.

LE NAVET AU CHOU.

J'ai senti, comme toi, notre commune injure;
Mais ne crois pas, ami, que par un vain murmure
Des oignons irrités j'imite le courroux :

Le ciel fit les navets d'un naturel plus doux.
Des mépris d'un ingrat le
sage se console.

Je vois que c'est pour plaire à ce Paris frivole,
Qu'un poëte orgueilleux véut nous exiler tous
Des jardins où Virgile habitait avec nous.
Un prêtre dans Memphis, avec cérémonie,
Eût conduit au bûcher le candidat impie;

Mais le tems a détruit Memphis et nos grandeurs :

Il faut à son état accommoder ses mœurs.

Je permets qu'aux boudoirs, sur les genoux des belles,
Quand ses vers pomponnés enchantent les ruelles ;
Un élégant abbé rougisse un peu
de nous

Et n'y parle jamais de navets et de choux.
Son style citadin peint en beau les campagnes ;
Sur un papier chinois il a vu les montagnes "

[ocr errors]

La mer à l'opéra, les forêts à Long-Champs,
Et tous ces grands objets ont anobli ses chants.
Ira-t-il, descendu de ces auteurs sublimes,
De vingt noms roturiers déshonorer ses rimes,
Et pour nous renonçant au musc du parfumeur,
Des choux qui l'ont nourri lui préférer l'odeur ?
Papillon en rabat, coiffé d'une auréole,
Dont le manteau plissé voltige au gré d'Éole,
C'est assez qu'il effleure en ses légers propos,
Les bosquets et la rose, et Vénus et Paphos :
La mode, à l'œil changeant aux mobiles aigrettes,
Semble avoir lui seul fixé ses girouettes ;

pour

Sur son char fugitif où brillent nos Laïs,
L'ennemi des navets en vainqueur s'est assis;
Et ceux qui pour Jeannot abandonnent Préville,
Lui décernent déjà le laurier de Virgile.

LE CHOU.

Qu'importent des succès par la brigue surpris;
On connaît les dégoûts du superbe Paris.

Combien de grands auteurs dans leurs soupers brillèrent,
Qui, malgré leurs amis, au grand jour s'éclipsèrent!
Le monde est un théâtre, et dans ses jeux cruels,

L'idole du matin le soir n'a plus d'autels.
Nous y verrons tomber cet esprit de collège,
De ses dieux potagers déserteur sacrilège :
Sa gloire passera, les navets resteront,

LE NAVET.

Și la fortune, un jour, pour venger notre affront,
Et donner du relâche aux oreilles publiques,
Force à planter des choux ses mains académiques,
Alors, comme un vrai sage à son jardin réduit,

Qu'il vienne de l'Auvergne être le bel esprit,

Qu'il vienne, reprenant les mœurs de son enfance,
De son cœur et du mien sentir la différence :

Je veux lui rendre alors mes bienfaits, mes secours,

Et de ce grand débris consoler les vieux jours.

[ocr errors]

(31 Octobre 1782.) Un jeune Bordelais, nommé Garat, fils d'un avocat du même nom et neveu de Garat homme de lettres qui s'est établi à Paris, y est venu trouver son oncle. Il est doué de l'organe le plus beau et le plus merveilleux, et s'est flatté en conséquence avec raison de se produire ici avec succès. Sans savoir une note de musique, il contrefait, à s'y tromper, toutes les voix des acteurs et des actrices, tous les instrumens d'un orchestre, et à lui seul il exécute successivement un opéra entier. Les premiers compositeurs de cette capitale, MM. Piccini, Sacchini, Grétry, Philidor, ne pouvaient croire à ce prodige, et s'en sont convaincus par leurs propres oreilles. Ce talent unique l'a bientôt faufilé parmi les actrices célèbres, les filles du grand ton de cette capitale, et c'est à qui l'aura. Il n'a que 18 ans ; il n'est point mal de figure, et, en outre, passe pour être doué d'une vigueur à toute épreuve auprès du sexe. C'est aujourd'hui Mad. Dugazon qui s'en est emparée. Ceux qui s'interressent à lui sont fâchés qu'il s'énerve de la sorte. Quoi qu'il en soit, avant qu'il ait perdu sa voix et son talent, ce qui ne manquera pas de lui arriver bientôt, on voudrait le faire paraître à la cour, et il est grandement question d'engager la reine à l'entendre.

(10 Novembre 1782.) On disait ces jours-ci chez la

maréchale de Luxembourg, que la banqueroute du prince de Guémené était une banqueroute de souverain : oui, s'écria-t-elle; mais il faut espérer que ce sera le dernier acte de souveraineté que fera la maison de Rohan.

(1er. Décembre 1782.) M. Collé, ce chansonnier si piquant, cet excellent convive, cet homme de société charmant, si couru des femmes, si fêté des hommes est un nouvel exemple de la faiblesse de notre humanité. Quoiqu'il ne soit pas vieux, il est devenu si vaporeux, si maussade, si chagrin, si insupportable, que non-seulement il ne va plus nulle part, mais que ses amis les plus intimes ont été obligés de l'abandonner. M. de Monsigny, commensal comme lui de la maison d'Orléans, M. de Carmontel aussi, qui lui étaient extrêmement attachés, n'ont pu tenir à son commerce, et l'ont quitté les derniers. Il n'est plus entouré que de mercenaires qui le détestent, qui lui rendent toute la mauvaise humeur qu'ils en éprouvent, et le font enrager tour-à-tour. Voilà ce que c'est que la fin d'un vieux garçon qui ne sait pas se rendre aimable jusque dans la

vieillesse.

(5 Décembre.) Mad: la nouvelle duchesse de Nivernois (1) vient de mourir. Son époux, er vain impatient de s'affranchir des bienséances, l'avait épousée presqu'à la fin du deuil de sa première femme. Elle n'a pu jouir qu'un instant de son bonheur. Ce seigneur, enchanté de son côté, avait fait travailler à un ameublement ma

(1) Madame de Rochefort, née Brancas.

gnifique, pour relever de son deuil; et tous ces préparatifs sont aujourd'hui convertis en un second deuil plus réel que le premier. Quoiqu'il en soit, on a déjà fait pour la défunte l'épitaphe suivante :

Ci-git qui, constamment brûlant d'un même feu,
Fut épouse deux fois, deux fois infortunée ;

Termina, sans jouir, sa triste destinée :

Avec l'un vécut trop, avec l'autre trop peu.

(6 Décembre.) On a exécuté aujourd'hui le nouvel opéra (1) dans le costume français, que desirait l'auteur, et il n'a pas paru moins ennuyeux. Il faut ajouter à tout ce qu'on en a dit, le couplet suivant, sur l'air de la béquille du père Barnabas.

Embarras d'intérêt,

Embarras dans les rôles,
Embarras de ballet,
Embarras des paroles,
Des embarras, de sorte
Que tout est embarras ;
Mais venez à la porte,

Vous n'en trouverez pas.

:

(12 Décembre.) On lit dans le journal de Paris, no. 327, l'énigme suivante en forme de chanson.

(1) L'Embarras des richesses, de monsieur Lourdet de Santerre, surnommé depuis Lourdet sans tète. (Note de l'Éditeur.)

« PreviousContinue »