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gieux ne semblèrent avoir chassé de leurs temples les dieux qu'ils adoroient depuis tant de siècles, que pour se prosterner devant le nouveau dieu Maximilien.

Ici, c'est une société qui n'ose offrir à la convention le tribut de ses idées, sans le soumettre d'abord au tyran et lui demander son assentiment (1). Là, c'en est une autre qui a pris pour mor d'ordre le nom de Robespierre, comme Joseph Labon, proconsul à Arras, a pris le mot Pillage. Là encore, ce sont les membres d'une autre société qui rendent grâces à l'Éternel, de ce qu'il a pris Robespierre sous sa protection, lorsque Cécile Renaud vouloit attenter à ses jours.

Ailleurs ce sont des sociétés populaires

(1) Par quelle incompréhensible, fatalité, par quel bouleversement d'idées faut-il que par-tour, dans le tems de ce regne de terreur, on s'agenouille devant le crime en lui prodiguant le nom de la vertu? La peur ! la peur! voilà la source du mal. Robespierre fur, de nos jours, une de ces divinités infernales qu'on encensoit jadis, et auxquelles on immoloit des hommes, dans l'espoir d'éviter leurs coups.

de sections qui envoient des députés à Paris pour savoir des nouvelles de la santé de Robespierre. Ailleurs encore, c'est une société-mère qui le conjure de joindre à ses efforts les rares talens que la divinité lui a départis, pour consolider le grand œuvre de la régénération française, Partout, même prostitution d'encens, de vœux et d'hommages. Par-tout, chacun est prêt à verser son sang pour sauver les jours de Maximilien. Qu'importe la convention, qu'importe la république, que Robespierre vive, vive Robespierre! voilà le vœu géné ral, le cri de ralliement de toutes les sociétés, ou du moins de presque toutes les sociétés populaires.

Du sein de ces hommages collectifs s'élève encore le nuage formé par la vapeur de l'encens des particuliers. Ici, c'est l'ineorruptible Robespierre qui couvre le berceau de la république de l'égide de son éloquence. Là, le vertueux Robespierre est surnommé le ferme appui et la colonne inébranlable de la république.

Ailleurs, tant la flatterie est stupide on n'a fait connoissance qu'avec ses ta

lens, on veut faire connoissance avec ses vertus. Ailleurs encore, après avoir porté son éloquence aux cieux, on le qualifie d'homme eminemment sensible, humain et bienfaisant.

Vient ensuite un original âgé de quatrevingt-sept ans, qui se glorifie d'avoir vécu assez longuement pour avoir vu dans Robespierre le Messie annoncé par l'Eter nel pour réformer toutes choses. Un autre barbon, aussi imbécille que le premier, croyant faire un compliment au tyran, lui annonce qu'il a une ressemblance, par le physique, avec le bienfaiteur de l'humanité et qu'il s'en réjouit tous les jours. D'autres lui demandent la permission de donner le prénom de Robespierre à leurs enfans comme autrefois on leur donnoit le nom d'un saint; enfin, pour terminer une nomenclature qui dureroit éternellement si nous rapportions la millième partie des niaiseries insipides dont on berçoir ce grand homme, nous finirons par citer la dernière phrase d'une lettre qui lui étoit écrite par un fanatique d'Amiens. « Robespierre, tu ne refuseras pas à un de tes plus vrais amis le

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tus

plaisir de te voir, de te contempler ; ah! procures-moi cet avantage. Je veux ras¬ sasie mon cœur et mes yeux de tes traits; et mon ame électrisée de toutes tes ver, rapportera chez moi une étincelle de ce feu dont tu embrâses tous les répùblicains. Tes écrits le respirent, je m'en nourris, mais permets moi de te voir ». Voilà pourtant, voilà quelle étoit l'influence du tyran; voilà quelle force armée, quelle masse imposante il pouvoit mou voir à son gré. Il eut peur, et la France fut sauvée. Plus il approchoit du moment décisif, plus il se faisoit horreur à lui-même, plus il trembloit que son projet n'échouât; s'il n'eût pas craint la mort, il la donnoit à tous. Ep matière de conspiration, faut pas délibérer pour réussir. Robespierre parla, il devoit agir. Ses discours, ceux du paralitique 'Couthon à qui la na-. ture avoit prescrit de végéter sur une chaise ou dans un lit, quelques mouvemens d'amour-propre que le tyran n'avoit pas su dissimuler, tout vint éveiller a la fois la jalousie de ses collègues du comité qui, de soutiens qu'ils étoient d'une puissance нь

il ne

commune à tous, devinrent ennemis jurés d'une puissance qui n'étoit plus que personnelle à Robespierre.

Ce qui acheva de le perdre, ce fut la terreur qu'il avoit portée dans les ames, et qui retomba sur la sienne; juste châtiment des tyrans son caractère sombre, prenoir chaque jour une teinte plus lugubres ses yeux petits et ternes se rougirent de taches sanglantes. Son teint se mélangea de la liveur de l'envieux et de la pâleur du criminel; l'assassin de la patrie me rêva plus qu'assassinats. Son sommeil étoit celui de Néron; son réveil, celui de Néron encore. Il n'eût point eu assez des douze palais de Cromwel pour échapper à lui-même, pour échapper à cette furie invisible que le poursuivoit sans relâche et qui sous ses fouets sanglans; faisoit tourquisous noyer son cœur féroce. Ceux qui l'approchoient le glaçoient d'effroi, les gardés dent il se faisoit escorter ne le tassuroient point; et comme tous les écrits qui lui étoient adressés ne renfermoient pas des louanges, mais quelquefois des avis ou des injures, il frissonnoit en décachecant ses lettres.

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