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prolongèrent le moment de leur vengeance, ce fut ce qui les perdit; ils donnèrent à la Montagne le tems de se rallier, de se parler, et dès-lors l'anéantissement de l'exécrable gouvernement fut juré; au lieu que si ces scélérats, aussi expéditifs dans cette circonstance qu'ils l'avoient été dans les autres eussent, dès le soir même, fait arrêter Bourdon, Tallien, Charles Lacroix et Ruamps, et les eussent placés sous la hache révolutionnaire, le 9 thermidor seroit peut-être encore à éclore, ou du moins eût été retardé de quelque tems, et le sang eût continué de couler.

Robespierre, qui étoit aussi lâche qu'il étoit sanguinaire, n'a su se décider que dans quelques momens importans; s'il eût toujours eu de la hardiesse, peut-être aujourd'hui seroit-il tout - puissant ; mais, pour faire un grand coup, il falloit qu'il s'y prît de longue main et qu'il commençât par remporter une victoire sur lui-même avant que de remporter une victoire sur ses rivaux; il étois véritablement un nain politique, qui pouvoit avoir quelques vues, mais que cent mille circonstances avoient

servi, et qui se trouvoit au sommet de la roue de la fortune, parce que quand cette roue tourne, il faut bien qu'il y ait quelqu'un au faîte, comme il en est nécessairement qui sont précipités en bas.

A peine la loi proposée par Couthon fut-elle rendue, qu'elle fut mise à exécution avec toute l'atrocité qu'elle comportoit. Saint-Just avoit dit que la révolution ne pouvoit être comparée qu'à un coup de foudre; sa comparaison fut exacte, du moment que cette loi fut parvenue au tribunal révolutionnaire. Fouquier et les siens mirent, dès ce moment, une activité beaucoup plus grande dans leurs boucheries journalières; ils travailloient véritablement à la dépopulation avec un zèle infatigable; la guilloune étoit en permanence; le tribunal révolutionnaire condamnoir le jour et la uir la hache mortuaire tomboit à ; coups précipités, et les têtes s'amonceloient dans des cuves d'où le sang s'écouloit ensite dans un réservoir souterrein, pour que son abondance ne vint pas faire une mare sous les pieds de ceux qui entouroient l'échafaud et se repaissoient de ce carnage abominable.

La mort n'étoit plus une peine, elle n'étoit plus un supplice, elle n'effrayoit plus: comme tous ceux qui étoient détenus dans les innombrables maisons de réclusion savoient qu'ils n'échapperoient pas au glaive assassin, c'étoit un bonheur, dans les cachots, quand on recevoit son acte d'accusation, quand on vous en tiroit pour vous conduire au tribunal, parce qu'on' avoit moins long-tems à souffrir; ceux qui alloient à la mort disoient à ceux qui n'étoient point encore jugés: Oh Dieu, que nous vous plaignons! mais consolez-vous, votre tour viendra bientôt : adieu, amis, adieu, nous vous laissons plus à plaindre que nous.

On a vanté les philosophes de l'antiquité, les héros de l'ancien tems qui sont morts avec résignation, avec un calme qui décéloit une grande ame; non, jamais ces philosophes et ces héros ne sont morts avec un courage égal à celui des victimes dont nous parlons; toutes alloient à la mort avec joie, le sourire sur les lèvres et souvent la plaisanterie à la bouche. On ne Ee 3

pouvoit supporter la vie. La princesse de Monaco, parée de tous les charmes que peut départir la nature, belle comme la fleur qui vient de s'entr'ouvrir aux premiers rayons du jour, éprouve un frissonnement involontaire au moment où l'on vient la

chercher pour monter sur l'échafaud; pour reculer ce fatal moment, elle se dic enceinte, un chirurgien, plus indulgent pour elle que d'autres chirurgiens qui avoient laissé périr des femmes véritablement grosses, prétend qu'elle est enceintes ramène mad. de Monaco dans sa

prison, jusqu'à ce qu'elle ait mis au jour le fruit qu'elle porte dans son sein ; mais dès le lendemain, cette femme, fatiguée de l'existence, et peut être réellement enceinte, écrit à Fouquier qu'elle n'est pas grosse, qu'elle a voulu le tromper pour reculer un moment sa mort, mais qu'elle s'en repent et qu'elle demande qu'on exécuté le jugement qui la condamne à perdre la tête. Fouquier fait sur l'heure exécuter le jugement. Fouquier étoir

tou

jours prêt à rendre ce service à quiconque je lui demandoit, Un jeune homme lui

écrit: Vous avez fait périr mon ami, c'étoit le seul bien qui me restoit au mondez je ne me sens pas le courage de me donner la mort, voulez-vous avoir la bonté de me délivrer de la vie je vous envoye mon adresse. Fouquier le fait prendre et exécu

ter.

:

Pour déblayer (c'est l'expression de Bar-. rère) pour déblayer le sol de la république de cette immensité de prétendus conspirateurs, dont il étoit surchargé, on trouva un moyen expéditif: comme ces conspirateurs étoient presque tous innocens, qu'on ne pouvoit pas perdre du tems à chercher ou à supposer un crime à chacun d'eux, on imagina de les accuser de conspirer dans leurs prisons; personne n'étoit là pour contredire cet horrible mensonge; d'ailleurs, qui donc eût osé dire que les bourreaux en avoient menti? Bien sûrs de n'être point contrariés ni démentis dans leur infame assertion, les comités de gouvernement affirmèrent que les prisonniers se soulevoient dans les maisons de réclusion et qu'ils formoient le projet d'assassiner la représentation nationale et de renverser

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