Page images
PDF
EPUB

commencent à percer dans un état despotique; et dans un état que l'on veut despotiser, il faut également y anéantir les. sciences, pour y établir sûrement et longuement un règne tyrannique; et, à cer égard, les dominateurs n'épargnèrent rien pour consolider leur puissance.

A

Ce fut peu pour ces nouveaux Tibères qui écrasoient la France, d'envoyer à l'échafaud les généraux victorieux dont ils redoutoient l'ascendant; d'envoyer à l'échafaud tous ceux qui portoient un nom illustre, dans la crainte que ce nom ne ralfiât des mécontens, s'il se manifestoit une émeute populaire; d'envoyer à l'échafaud tous les riches propriétaires, afin de s'approprier leurs biens; on ingloba aussi dans la proscription générale, les savans et les gens de lettres; on frappa de la hache révolutionnaire les Lavoisier, les Bailly, les Chénier, Linguet, Dionis Duséjour, Marivet, Cazotte, Roucher et beaucoup d'autres; et l'on eût fait périr infailliblement tous les gens éclairés qui s'étoient distingués en France par leurs talens et leurs connoissances, si le 9 thermidor n'eût mis

un terme à la fureur dévastatrice des bri gands sanguinaires qui disoient hautement qu'il ne falloit en France que du pain, du fer et des soldats, et qu'il étoit impoli tique de conserver des gens qui savoient lire et écrire. Condorcet aussi, Champfort, Florian, Vicq-d'Azir, noms chers aux sciences et aux arts, hâtèrent le moment de leur mort, ne pouvant plus supPorter les horreurs dont ils étoient les té moins et les victimes. Déjà plusieurs valers aussi atroces que leurs maîtres répétoient, dans plusieurs sociétés populaires, qu'il fal loit incendier les bibliothèques : les mem bres des comités révolutionnaires qui faisoient des visites domiciliaires, avoient grand soin, de s'approprier ou de lacérer tous les livres qu'ils trouvoient chez les particuliers, ornés de fleurs-de-lys ou de portraits de quelques grands seigneurs sous le prétexte que ces fleurs de lys étoient des signes de contré-révolution; et les individus qui avoient des livres ou des gra vures entachés de ces ornemens, se hâtoient eux-mêmes de jeter au feu des ouvrages précieux, dans la crainte d'être déclarés

suspects et traînés en prison, si les inquisiteurs révolutionnaires les trouvoient nantis de ces objets..

Des barbares mutilèrent sans pitié des chefs-d'œuvre de sculpture et de peinture, sans que l'on osât se permettre d'arrêter leurs mains sacrilèges. On fit, dans la cour des Gobelins, un autodafé des plus riches tapisseries de cette étonnante manufac ture, par la seule raison qu'elles portoient le chiffre du roi et les armes de France. Des barbouilleurs dégradèrent les chefsd'œuvre qui décoroient les Invalides, et au lieu d'auréole ou de diadême qu'ils supprimèrent, ils affubièrent des empereurs ou des saints d'un large bonnet rouge. Pour parvenir efficacement à l'anéantissement des sciences ou des arts on supprima toutes les académies: on les verra renaître dans un tems plus prospère, sous une autre dénomination; mais disons qu'à l'époque où l'on prononça leur suppression, elles étoient supprimées de fait, car la terreur avoit dispersé les savans qui les composoient, et cette terreur étoit si forte, que, loin de pouvoir s'occuper de sciences, on

[ocr errors]
[ocr errors]

ne

ne songeoit qu'à mettre ses jours en sûreté.

Jusqu'alors il y avoit eu en France trois académies célèbres par les gens à talens qui les avoient illustréés. L'académie française, qui devoit son établissement à Louis XIII, sous le règne duquel le cardinal de Richelieu la fit ériger en compagnie par lettrespatentes de 1635 (1). Cette société, com

(1) Il est vrai de dire cependant que l'acadé miefrançaise étoit antérieure de quelques années aux lettres patentes qui lui furent accordées par Louis XIII, en 1629; quelques particuliers gens de lettres et de mérite, logés en divers endroits de Paris, ayant résolu de se voir un jour de la semaine chez l'un d'eux, 1 pour r conférer ensemble plus commodément, furent les premiers qui donnèrent naissance à l'académie. D'abord, ils n'étoient que neuf, mais à ceux-là s'en joignirent d'autres, du nombre desquels étoient Desmarets et Boisrobert, qui ayant entretenu le cardinal de Richelieu de ce qui se passoit dans ces sortes d'assemblées, lui firent venir la pensée de les faire autoriser par le roi.

Les académies, dans leur ensemble, ne produisent point de ces grandes idées, de ces inventions ou découvertes capables de changer la

C

posée des gens de lettres les plus distingués a rendu de grands services à la langue.

face du monde ou d'un empire; ces vastes conceptions ne sont jamais que les enfans du génie ; mais comme toutes les vérités se tiennent, les accadémies font un grand bien, en ce qu'elles produisent une foule de petites vérités et de connoissances partielles dont la masse fait une somme. La physique, les mathématiques, la médecine, l'histoire naturelle, tout cela semble n'avoir aucun rapport aux idées que le despotisme politique ou sacré, prétend conserver intactes mais la lumière portée dans ces sciences, rejaillie toujours sur elles. La boussole a perfectionné la navigation, la navigation a étendu la géographie, et c'est absolument à la connoissance et à l'observation d'une foule de peuples divers, à la connoissance entiere de toute la race humaine que nous devons la philosophie actuelle. Voilà comme les académies influent partout dès qu'elles sont composées d'hommes vraiment savans; mais le plus grand service que les sociétés littéraires pourroient rendre aujourd'hui aux lettres, aux sciences et aux arts seroit de faire des méthodes, et de tracer des routes qui épargneroïent du traVail, des erreurs, et conduiroient à la vérité par les voies les plus courtes et les plus sûres; car şi l'impression a multiplié les bons ouvrages, cle

« PreviousContinue »