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et qu'on se rallia à son nom dans chaque mêlée. Les académies proposèrent à l'envi son éloge les éditions de ses œuvres se multiplièrent; des commentateurs distingués, MM. Viollet-le-Duc, Amar, de Saint-Surin, l'environnèrent des assortiments de leur goût et de leur érudition; M. Daunou en particulier, ce vénérable représentant de la littérature et de la philosophie du xvIIe siècle, rangea autour de Boileau, avec une sorte de piété, tous les faits, tous les jugements, toutes les apologies qui se rattachent à cette grande cause littéraire et philosophique. Mais, cette fois, le concert de si dignes efforts n'a pas suffisamment protégé Boileau contre ces idées nouvelles, d'abord obscures et décriées, mais croissant et grandissant sous les clameurs. Ce ne sont plus en effet, comme au XVIe siècle, de piquantes épigrammes et des personnalités moqueuses; c'est une forte et sérieuse attaque contre les principes et le fond même de la poétique de Boileau; c'est un examen tout littéraire de ses inventions et de son style, un interrogatoire sévère sur les qualités de poëte qui étaient ou n'étaient pas en lui. Les épigrammes même ue sont plus ici de saison; on en a tant fait contre lui en ces derniers temps, qu'il devient presque de mauvais goût de les répéter. Nous n'aurons pas de peine à nous les interdire dans le petit nombre de pages que nous allons lui consacrer. Nous ne chercherons pas non plus à instruire un procès régulier et à prononcer des conclusions définitives. Ce sera assez pour nous de causer librement de Boileau avec nos lecteurs, de l'étudier dans son intimité, de l'envisager en détail selon notre point de vue et les idées de notre siècle, passant tour à tour de l'homme à l'auteur, du bourgeois d'Auteuil au poëte de Louis le Grand, n'éludant pas à la rencontre les graves questions d'art et de style, les éclaircissant peutêtre quelquefois sans prétendre jamais les résoudre. Il est bon, à chaque époque littéraire nouvelle, de repasser en son esprit et de revivifier les idées qui sont représentées par certains noms devenus sacramentels, dût-on n'y rien chan

ger, à peu près comme à chaque nouveau règne on refrappe monnaie et on rajeunit l'effigie sans altérer le poids.

De nos jours, une haute et philosophique méthode s'est introduite dans toutes les branches de l'histoire. Quand il s'agit de juger la vie, les actions, les écrits d'un homme célèbre, on commence par bien examiner et décrire l'époque qui précéda sa venue, la société qui le reçut dans son sein, le mouvement général imprimé aux esprits; on reconnaît et l'on dispose, par avance, la grande scène où le personnage doit jouer son rôle ; du moment qu'il intervient, tous les développements de sa force, tous les obstacles, tous les contrecoups sont prévus, expliqués, justifiés; et de ce spectacle harmonieux il résulte par degrés, dans l'àme du lecteur, une satisfaction pacifique où se repose l'intelligence. Cette méthode ne triomphe jamais avec une évidence plus entière et plus éclatante que lorsqu'elle ressuscite les hommes d'État, les conquérants, les théologiens, les philosophes; mais quand elle s'applique aux poëtes et aux artistes, qui sont souvent des gens de retraite et de solitude, les exceptions deviennent plus fréquentes et il est besoin de prendre garde. Tandis que dans les ordres d'idées différents, en politique, en religion, en philosophie, chaque homme, chaque œuvre tient son rang, et que tout fait bruit et nombre, le médiocre à côté du passable, et le passable à côté de l'excellent, dans l'art il n'y a que l'excellent qui compte; et notez que l'excellent ici peut toujours être une exception, un jeu de la nature, un caprice du ciel, un don de Dieu. Vous aurez fait de beaux et légitimes raisonnements sur les races ou les époques prosaïques; mais il plaira à Dieu que Pindare sorte un jour de Béotie, ou qu'un autre jour André Chénier naisse et meure au XVIIe siècle. Sans doute ces aptitudes singulières, ces facultés merveilleuses reçues en naissant se coordonnent toujours tôt ou tard avec le siècle dans lequel elles sont jetées et en subissent des inflexions durables. Mais pourtant ici l'initiative humaine est en première ligne et moins sujette aux causes

générales; l'énergie individuelle modifie, et, pour ainsi dire, s'assimile les choses; et d'ailleurs, ne suffit-il pas à l'artiste, pour accomplir sa destinée, de se créer un asile obscur dans ce grand mouvement d'alentour, de trouver quelque part un coin oublié, où il puisse en paix tisser sa toile ou faire son miel? Il me semble donc que lorsqu'on parle d'un artiste e d'un poëte, surtout d'un poëte qui ne représente pas toute une époque, il est mieux de ne pas compliquer dès l'abord son histoire d'un trop vaste appareil philosophique, de s'en tenir, en commençant, au caractère privé, aux liaisons do mestiques, et de suivre l'individu de près dans sa destinée intérieure, sauf ensuite, quand on le connaîtra bien, à le traduire au grand jour, et à le confronter avec son siècle. C'est ce que nous ferons simplement pour Boileau.

Fils d'un père greffier, né d'aïeux avocats (1636), comme il le dit lui-même dans sa dixième épître, Boileau passa son enfance et sa première jeunesse rue de Harlay (ou peut-être rue de Jérusalem), dans une maison du temps d'Henri IV, et eut à loisir sous les yeux le spectacle de la vie bourgeoise et de la vie de palais. Il perdit sa mère en bas åge; la famille était nombreuse et son père très-occupé; le jeune enfant se trouva livré à lui-même, logé dans une guérite au grenier. Sa santé en souffrit, son talent d'observation dut y gagner; il remarquait tout, maladif et taciturne; et comme il n'avait pas la tournure d'esprit rêveuse et que son jeune âge n'était pas environné de tendresse, il s'accoutuma de bonne heure à voir les choses avec sens, sévérité et orusquerie mordante. On le mit bientôt au collége, où il achevait sa quatrième, lorsqu'il fut attaqué de la pierre; il fallut le tailler, et l'opération, faite en apparence avec succès, lui laissa cependant pour le reste de sa vie une très-grande incommodité. Au collége, Boileau lisait, outre les auteurs classiques, beaucoup de poëmes modernes, de romans, et, bien qu'il composât luimême, selon l'usage des rhétoriciens, d'assez mauvaises tragédies, son goût et son talent pour les vers étaient déjà re

connus de ses maîtres. En sortant de philosophie, il fut mis au droit; son père mort, il continua de demeurer chez son frère Jérôme qui avait hérité de la charge de greffier, se fit recevoir avocat, et bientôt, las de la chicane, il s'essaya à la théologie sans plus de goût ni de succès. Il n'y obtint qu'un bénéfice de 800 livres qu'il résigna après quelques années de jouissance, au profit, dit-on, de la demoiselle Marie Poncher de Bretouville qu'il avait aimée et qui se faisait religieuse. A part cet attachement, qu'on a même révoqué en doute, i ne semble pas que la jeunesse de Despréaux ait été fort passionnée, et lui-même convient qu'il est très-peu voluptueux. Ce petit nombre de faits connus sur les vingt-quatre premières années de sa vie nous mènent jusqu'en 1660, époque où il débute dans le monde littéraire par la publication de ses premières salires.

Les circonstances extérieures étant données, l'état politique et social étant connu, on conçoit quelle dut être sur une nature comme celle de Boileau l'influence de cette première éducation, de ces habitudes domestiques et de tout cet intérieur. Rien de tendre, rien de maternel autour de cette enfance infirme et stérile; rien pour elle de bien inspirant ni de bien sympathique dans toutes ces conversations de chicane auprès du fauteuil du vieux greffier, rien qui touche, qui enlève et fasse qu'on s'écrie avec Ducis : « Oh! que toutes << ces pauvres maisons bourgeoises rient à mon cœur ! » Sans doute à une époque d'analyse et de retour sur soi-même, une âme d'enfant rêveur eût tiré parti de cette gêne et de ce refoulement; mais il n'y fallait pas songer alors, et d'ailleurs l'âme de Boileau n'y eût jamais été propre. Il y avait bien, il est vrai, la ressource de la moquerie et du grotesque; déjà Villon et Regnier avaient fait jaillir une abondante poésie de ces mœurs bourgeoises, de cette vie de cité et de basoche; mais Boileau avait une retenue dans sa moquerie, une sobriété dans son sourire, qui lui interdisait les débauches d'esprit de ses devanciers. Et puis les mœurs avaient perdu

en saillie depuis que la régularité d'Henri IV avait passé dessus Louis XIV allait imposer le décorum. Quant à l'effet hautement poétique et religieux des monuments d'alentour sur une jeune vie commencée entre Notre-Dame et la SainteChapelle, comment y penser en ce temps-là? Le sens du moyen àge était complétement perdu; l'âme seule d'un Milton pouvait en retrouver quelque chose, et Boileau ne voyait guère dans une cathédrale que de gras chanoines et un lutrin. Aussi que sort-il tout à coup, et pour premier essai, de cette verve de vingt-quatre ans, de cette existence de poëte si longtemps misérable et comprimée? Ce n'est ni la pieuse et sublime mélancolie du Penseroso s'égarant de nuit, tout en larmes, sous les cloîtres gothiques et les arceaux solitaires ; ni une charge vigoureuse dans le ton de Regnier sur les orgies nocturnes, les allées obscures et les escaliers en limaçon de la Cité; ni une douce et onctueuse poésie de famille et de coin du feu, comme en ont su faire La Fontaine et Ducis; c'est Damon, ce grand auteur, qui fait ses adieux à la ville, d'après Juvénal; c'est une autre satire sur les embarras des rues de Paris; c'est encore une raillerie fine et saine des mauvais rimeurs qui fourmillaient alors et avaient usurpé une grande réputation à la ville et à la cour. Le frère de Gilles Boileau débutait, comme son caustique aîné, par prendre à partie les Cotin et les Ménage. Pour verve unique, il avait la haine des sots livres.

Nous venons de dire que le sens du moyen âge était déjà perdu depuis longtemps; il n'avait pas survécu en France au XVIe siècle; l'invasion grecque et romaine de la Renaissance l'avait étouffé. Toutefois, en attendant que cette grande et longue décadence du moyen âge fût menée à terme, ce qui n'arriva qu'à la fin du XVIIIe siècle, en attendant que l'ère véritablement moderne commençât pour la société et pour l'art en particulier, la France, à peine reposée des agitations de la Ligue et de la Fronde, se créait lentement une littérature, une poésie, tardive sans doute et quelque peu artifi

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