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forces vers un seul objet; par la préférence, elle se modère pour faire un choix entre plusieurs, et par la liberté, elle suspend, en quelque sorte, l'action de ses forces, pour s'éclairer, afin de mieux choisir encore, lorsqu'elle aura tout examiné, tout pesé, tout balancé.

Le mot pensée ne désigne pas lui-même une faculté individuelle qui soit distincte de celles qui sont comprises sous les mots entendement et volonté. Ce mot est une expression très-abrégée qui désigne à la fois l'action de l'entendement et celle de la volonté; il exprime la réunion de l'entendement et de la volonté, et s'applique ainsi à tous les modes d'action de l'âme, tant intellectuels que moraux.

La raison n'est pas non plus une faculté individuelle et distincte de celles qu'on appelle l'attention, la comparaison, le raisonnement, le désir, la préférence et la liberté; elle est le bon emploi de la pensée, c'est-à-dire de l'entendement et de la volonté; ou en d'autres termes, le bon emploi de la pensée s'appelle raison.

Le système des facultés de l'âme, tel que nous le trouvons expliqué dans les admirables Leçons de Laromiguière, se compose donc en réalité de deux systèmes particuliers, l'un comprenant les facultés constitutives de l'entendement, et l'autre, les facultés constitutives de la volonté.

Mais ces deux systèmes ne sont pas indépendants l'un de l'autre; car la volonté est subordonnée à l'entendement.

La figure suivante en parlant aux yeux, pourra

aider la mémoire :

Entendement.

Pensée.

Volonté.

Attention, comparaison, raisonnement. Désir, préférence, liberté.

Ce système, un dans son principe, homogène dans ses éléments, harmonieux dans son ensemble, présente une admirable liaison entre les différentes facultés dont il se compose.

On y voit, en effet, que chaque faculté dérive de celle qui la précède et engendre celle qui la suit. C'est ainsi que la liberté dérive de la préférence, que la préférence naît du désir, et que le désir lui-même résulte de l'action de toutes les facultés de l'entendement, c'est-à-dire, de l'action réunie de l'attention, de la comparaison et du raisonnement; facultés qui naissent également les unes des autres, le raisonnement de la comparaison, et la comparaison de l'attention.

Le système des facultés de l'âme qui paraît d'abord hérissé de difficultés, n'est donc pas si difficile à saisir qu'on serait tenté de le croire au premier coup d'œil, et un homme doué d'un entendement ordinaire n'a besoin, pour s'en former une idée claire, que de se rendre compte de ses actes intellectuels, c'est-à-dire de ce qu'il fait, soit lorsqu'il concentre

l'action de son esprit sur un seul objet, soit lorsqu'il partage cette action et la porte sur deux objets à la fois, soit lorsqu'il la partage davantage et qu'il s'efforce de déduire un rapport qu'il dégage de deux autres rapports.

Enfin, toutes les facultés de l'âme n'étant en définitive que des points de vue différents sous lesquels nous considérons l'âme agissant, on remarque qu'elles ne sont point, comme l'ont pensé, à diverses époques, quelques philosophes d'Allemagne, de petits êtres, entitates, des entités, distinctes les unes des autres, destinées à remplir, chacune isolément, une fonction séparée, une fonction propre et indépendante; opinion qui, bien que complétement erronée, nous paraît cependant avoir donné l'idée première d'un système de craniologie assez célèbre de nos jours', et dont, puisque l'occasion s'en présente, il n'est pas hors de propos de dire un mot, d'abord parce qu'il se lie à la question qui nous occupe, et ensuite parce qu'il n'est pas inutile de prémunir les jeunes gens contre les piéges dans lesquels peuvent les attirer les raisonnements captieux de ceux qui, pour donner un peu

'C'est en 1827 que parut la première édition de cette logique, et le système de Gall faisait alors beaucoup de bruit.

Dès 1806, l'illustre Laënnec, qui a été l'un des fondateurs de l'anatomie pathologique en France, s'exprimait ainsi, dans un article consacré à l'examen de ce système de craniologie : « Par sa célébrité seule, et lors même qu'il n'aurait aucune base solide, ce système mérite cependant d'être connu; il le mérite encore par son objet qui, embrassant ces extrêmes limites où la physiologie touche à la métaphysique, intéresse également le médecin et le moraliste. (Journal de médecine et de chirurgie, voir le numéro du mois d'août 1806.)

plus de poids à leurs principes de matérialisme, s'appuient sur la physiologie du cerveau, et tâchent d'en imposer par une certaine apparence de science et d'érudition.

Ainsi, sans nous arrêter plus qu'il ne convient au système du docteur Gall, qu'il nous soit permis d'y jeter un coup d'œil rapide. Cette digression ne peut qu'en donner une idée bien incomplète à ceux qui ne le connaissent pas; mais elle suffira pour montrer à ceux qui n'y sont pas étrangers, qu'il ne peut pas servir de base au matérialisme, pas plus que tous les autres moyens qu'on a déjà tentés, et qui, loin de porter la moindre atteinte au principe de la spiritualité de l'âme, n'ont jamais servi qu'à le rendre de plus en plus évident.

Qu'il existe une étroite connexion, un rapport nécessaire, si l'on veut, entre le volume de la masse cérébrale et l'énergie des facultés intellectuelles et morales, c'est là une vérité de fait qu'il nous paraît difficile de révoquer en doute, surtout si l'on observe qu'en général les hommes dont l'esprit avait le plus d'étendue, dont le génie était capable des conceptions les plus hardies et des combinaisons les plus vastes et les plus fécondes, avaient aussi une tête volumineuse',

1 Mirabeau. - « Sa tête, hérissée d'une forêt de cheveux et posée sur un cou étroit, était énorme. » (LaCretelle, Histoire de l'Assemblée constituante, tome Ier, page 16.)

Arnaud. « Le grand Arnaud avait le corps petit et la tête fort grosse. » (Dictionnaire historique, par CHAUDON et DELANDINE.)

Descartes. - «Descartes avait la tête grosse, le front large et avancé. » (Idem.)

Pascal. - «< Son corps ayant été ouvert, on remarqua avec étonnement

supportée par un cou de peu de longueur '. Mais cette étroite connexion que l'on remarque entre l'organisation physique et les facultés intellectuelles, ce rapport nécessaire prouve-t-il, comme on a essayé de l'établir, que la matière et l'organisation physique sont tout, et que les facultés intellectuelles et morales ne sont rien de réel, que, ne se rattachant à aucune réalité distincte de la matière elle-même, elles ne sont, en dernière analyse, comme le disent quelques physiologistes, que le résultat de l'organisation, le produit de la matière organisée?

Non, certes; il y a loin du principe à la conséquence qu'on cherche à en tirer; et, de ce que, entre le volume de la masse cérébrale et l'énergie des facultés intellectuelles, il existe un rapport qui est rarement inaperçu, en conclure que la matière cérébrale et l'organisation physique sont tout pour l'homme, et qu'il

que son crâne contenait une quantité énorme de cervelle, dont la matière était fort solide et fort condensée. » (Discours sur la vie et les ouvrages de Pascal, page 117, édition in-8°, imprimée à La Haye, en 1779.)

Georges Cuvier. — J'ai entendu dire que son cerveau pesait deux kilogrammes et demi, c'est-à-dire un poids presque double de celui des cerveaux ordinaires.

1 Cette règle, on doit le reconnaître, a souffert quelques exceptions, et c'est ce qui a fait douter à plusieurs de sa réalité. Toutefois, il nous semble qu'elle n'est pas à dédaigner, et peut-être sera-t-on plus disposé à s'y arrêter «< si, comme le remarque Richerand, on fait attention que >> l'homme, seul raisonnable parmi tant d'êtres dont quelques-uns ont » avec lui une si grande ressemblance d'organisation et de structure, est >> aussi celui dont le cerveau, proprement dit, est le plus gros, propor>>tionnellement au cervelet, à la moelle de l'épine, aux nerfs et autres » parties du corps. » (Éléments de physiologie, tome II, page 121.)

<< De tout temps, la longueur démesurée du cou a été considérée comme » l'emblème de la stupidité, parce qu'alors il y a une moins grande proxi» mité du cœur et du cerveau. » (Idem, pages 134 et 135.)

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