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autre forme. Si pour abréger on ne dit pas tout ce qu'il faudrait dire pour être compris, on n'est pas entendu, on manque de clarté, on est obscur.

<< Penser, parler, écrire, c'est aller, ou bien d'une idée à une idée différente, d'un objet à un autre objet; ou bien, s'arrêtant à un seul objet, à une seule idée, c'est considérer cet objet, cette idée, sous leurs points de vue successifs, sans jamais se laisser distraire par rien d'étranger. Quand Boileau nous présente successivement des roseaux, un fleuve, une urne, il fait passer notre esprit par une suite d'images différentes; mais quand, après avoir dit qu'une pensée n'est pas suffisamment développée, il ajoute qu'elle est obscure, il n'ajoute rien de nouveau que l'expression, puisque l'idée énoncée d'abord reparaît sous une forme nouvelle. Or, cette dernière manière de procéder appartient à la méthode philosophique, et la précédente à la méthode descriptive. »

Le poëte est d'autant plus sûr de plaire, qu'il est plus heureux dans le choix des images qui composent ses tableaux, et il est d'autant plus heureux dans le choix des images qui composent ses tableaux, qu'il connaît mieux la savante généalogie des idées, qu'il sait mieux comment elles s'associent dans notre esprit et comment elles se réémeuvent les unes les autres.

L'analyse de raisonnement appartient surtout au philosophe; c'est la méthode philosophique par excellence.

C'est par l'emploi de cette méthode que, remontant à l'origine des idées, le philosophe nous découvre les

principes des sciences et nous montre dans le défaut d'attention ou dans l'attention mal dirigée la principale cause de nos erreurs; c'est elle qui l'inspire, lorsque voulant nous conduire à des idées que nous n'avons pas encore, il a soin de nous prendre aux idées que nous avons déjà; c'est encore elle qui l'inspire lorsque, pour nous donner une idée exacte d'une chose, il a le bon esprit de nous la montrer successivement sous toutes ses formes, sous tous ses points de vue; enfin, c'est à ce guide sûr qu'il s'abandonne, lorsque, commençant par les notions les plus simples, il conduit notre esprit pas à pas, l'élève insensiblement de réflexion en réflexion, de vérité en vérité, jusqu'à la source de la lumière, et ne le quitte pas qu'il ne l'ait placé au sein de l'évidence.

« Celui qui ignore le secret de la méthode philosophique pourra nous charmer quelque temps, s'il possède à un haut degré le talent de décrire; mais ne connaissant pas toutes les sources du beau, il n'en présentera que des modèles partiels, et on finira par le délaisser pour se livrer sans réserve aux jouissances complètes que nous donne, dans les productions d'Homère, de Virgile, de Boileau, de Racine, de Pascal ou de Montesquieu, l'alliance de la langue de l'imagination et de la langue de la raison. »

La méthode, on le voit par tout ce qui précède, est plutôt l'ouvrage de la nature que le fruit des préceptes; l'emploi de nos facultés de la manière la plus conforme à notre faiblesse, tient plus aux dispositions naturelles qu'aux règles de l'art; l'emploi de l'analyse

est plutôt la conséquence de je ne sais quelle aptitude naturelle à saisir les rapports et à lier les idées, que le fruit de l'expérience. Toutefois, comme l'expérience n'est jamais à dédaigner, voici quelques préceptes qu'il est utile de connaître pour se mettre de plus en plus à l'abri de l'erreur.

1° C'est une sage précaution de se tenir en garde contre le témoignage de nos sens. Ce n'est pas que nos sens nous trompent, ils sont, au contraire, les guides les plus sûrs que nous puissions suivre pour la conduite de la vie. Semblables à de vigilantes sentinelles, ils nous avertissent assez fidèlement de tout ce qu'il y a d'agréable ou d'offensant, d'utile ou de nuisible dans les objets qui nous environnent; mais il ne faut ni intervertir leur rôle, ni étendre leurs fonctions au delà des bornes prescrites par la sagesse du Créateur.

2° Une fois nos précautions prises contre les illusions des sens, il faut que nous soyons attentifs à ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, sans que nous la connaissions évidemment être telle. Ayons donc la précaution de ne laisser passer en axiome aucune proposition, à moins qu'elle ne brille de tout l'éclat de l'évidence.

3o Ne recevons jamais sans examen les opinions des autres, si estimées qu'elles puissent être. Nous serons par là moins exposés à comprendre dans nos jugements au delà de ce que nos propres idées nous mon

trent.

4° Ne jugeons pas légèrement; ne nous hâtons pas d'affirmer des rapports avant de les avoir perçus dis

tinctement, et n'affirmons que ceux que nous percevons. Si les hommes n'affirmaient que ce qu'ils savent, leur intelligence serait en quelque sorte inaccessible à l'erreur. Ce qu'on sent, on le sent; ce qu'on voit, on le voit; mais les rapports que l'on affirme peuvent ne pas être.

5° Divisons chacune des difficultés que nous avons à examiner, en autant de branches qu'il est nécessaire pour en prendre une connaissance plus exacte. Et, pour cela, étudions avec méthode, en commençant par les objets les plus simples, pour nous élever ensuite, par une gradation bien suivie, jusqu'à la connaissance des plus composés. Si quelqu'un s'étaye d'un principe équivoque, distinguons soigneusement les deux sens que présente le principe en question, et rejetons toute conséquence qui ne résulte pas clairement de ce principe, lorsqu'il est entendu dans un sens vrai.

6° Prouvons tout ce qui a besoin d'être prouvé, c'està-dire toutes les propositions qui ne sont pas accordées, ou qui peuvent souffrir quelque difficulté; et, pour que nos preuves soient toujours claires et convaincantes, n'employons aucun terme équivoque, éclaircissons ceux qui manquent de clarté, et rejetons tous ceux qui ne sont pas de fidèles représentations de nos idées.

7° Donnons à chaque chose une attention suffisante pour nous en former une idée nette et aussi complète que possible. Au besoin, imitons Descartes, qui revint sur ses idées précédemment acquises, pour voir celles qui se trouvaient dans son esprit à juste titre, et celles

qui s'y trouvaient sans titre, afin de conserver les unes et de rejeter les autres.

8° Enfin, défions-nous de ce qui flatte nos goûts et nos passions, et résistons à cette extrême facilité avec laquelle nous nous en rapportons à ce que nous disent nos semblables. Tels sont les quelques préceptes qu'il nous a paru utile de remettre sous les yeux des jeunes gens en terminant ce traité de logique.

Il n'est pas toujours facile de les observer, mais si notre faiblesse en rend la pratique un peu difficile, nous croyons cependant qu'il est bon de les connaître et de les méditer.

Enfin, les passions de l'homme, de quelque nature qu'elles soient, ne le mettent pas dans une irritation telle qu'il ne puisse faire aucun bon retour sur luimême; elles lui laissent des moments de repos pendant lesquels la voix de la raison peut être entendue. Eh bien, dans ces précieux moments de relâche et de silence, l'âme rentre en elle-même, l'homme retrouve sa force et reprend sa dignité; il réfléchit sur luimême et sur ce qui l'environne, il fait de généreux efforts, il comprend que, bien différent de la bête, tout son être est au-dessus de ce qui frappe ses sens. Sa mémoire lui retrace le passé, sa prévoyance lui ouvre l'avenir, le présent est sous ses yeux, et en rapprochant par la pensée ces trois grandes époques, il mesure tout le cours de la vie '. C'est alors que,

'Homo (quòd rationis particeps, per quam consequentia cernit, causas rerum videt, earumque progressus, et quasi antecessiones non ignorat,

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