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L'analyse procède du plus simple au plus composé; elle va du particulier au général; un pas amène un autre pas, une connaissance nous élève à une autre.

La synthèse, au contraire, commence par annoncer que la vérité est connue, et que, pour y arriver, le chemin est frayé : elle établit ensuite des principes généraux, elle fixe des points de repos et revient du plus composé au plus simple, jusqu'à ce qu'elle ait reporté aux premiers phénomènes, jusqu'à ce qu'elle ait montré les observations mêmes d'où l'inventeur était parti.

Selon la remarque des auteurs de la Logique de Port-Royal, ces deux méthodes ne diffèrent que comme le chemin que l'on fait en montant d'une vallée en une montagne, de celui que l'on fait en descendant de la montagne dans la vallée.

Mais si l'on réfléchit que, quel que soit le chemin que nous prenions, soit que de la vallée nous nous avancions sur la montagne, soit que de la montagne nous descendions dans la vallée, il ne suffit pas, pour connaître les objets qui s'offrent à notre vue, de les embrasser tous d'une seule vue, de les voir tous ensemble, mais qu'il faut les observer successivement, arrêter nos regards sur chacun d'eux, les voir un à un, les comparer, les étudier les uns après les autres; si l'on réfléchit, disons-nous, que tout ce que nous n'observons pas de cette manière, se perd dans un sentiment confus, peut-être ne balancera-t-on pas à reconnaître qu'il n'y a véritablement qu'une seule méthode, et que l'analyse est le procédé naturel de notre

esprit, soit que nous voulions acquérir des connaissances, soit que nous voulions enseigner aux autres celles que nous avons acquises.

Et qui ne sait que des énoncés généraux ne disent rien à l'esprit de celui qui ignore par quels degrés on y est arrivé? Qui n'a éprouvé que quand on énonce devant nous ces aperçus généraux, nous cherchons avec empressement sur quoi ils peuvent être fondés, et quelles sont les vérités moins composées qui ont pu y conduire?

C'est donc en obéissant à un mouvement naturel de curiosité que nous entrons dans les détails de l'analyse.

Quand nous entendons parler d'une découverte, notre premier désir, c'est de savoir comment on a pu la faire nous aimons à connaître toutes les difficultés qu'il a fallu vaincre; nous voulons, en quelque sorte, participer à la gloire de l'invention en surmontant les mêmes obstacles, en triomphant des mêmes difficultés, en nous engageant dans les mêmes dangers; en un mot, en suivant pas à pas l'inventeur. Comme lui, nous éprouvons le besoin impérieux de savoir; comme lui, je ne sais quelle anxiété nous tourmente; comme lui, nous sommes partagés entre la crainte et l'espérance, et comme lui, enfin, nous jouissons du plaisir de la surprise quand nous arrivons au terme de nos travaux. Pourquoi la manière de transmettre aux autres les connaissances acquises différerait-elle de la manière de les acquérir? Et Descartes lui-même ne regardait pas la synthèse comme donnant une entière

satisfaction à l'esprit, parce qu'elle ne montre pas la voie par laquelle a été trouvée la chose qu'on démontre. Il n'y a donc, rigoureusement parlant, qu'une seule méthode, et cette méthode, c'est l'analyse.

Du reste, écoutons Condillac; voici ce qu'il dit dans le troisième chapitre de sa Logique :

<< Pour parler d'une manière à se faire entendre, il faut concevoir et rendre ses idées dans l'ordre analytique, qui décompose et recompose chaque pensée. Cet ordre est le seul qui puisse leur donner toute la clarté et toute la précision dont elles sont susceptibles; et comme nous n'avons pas d'autre moyen pour nous instruire nous-mêmes, nous n'en avons pas d'autre pour communiquer nos connaissances aux autres.

» Je l'ai déjà prouvé, mais j'y reviens, et j'y reviendrai encore, car cette vérité n'est pas assez connue; elle est même combattue, quoique simple, évidente et fondamentale.

» En effet que je veuille connaître une machine, je la décomposerai pour en étudier séparément chaque partie. Quand j'aurai de chacune une idée exacte, et que je pourrai les remettre dans le même ordre où elles étaient, alors je concevrai parfaitement cette machine, parce que je l'aurai décomposée et recomposée. Qu'est-ce donc que concevoir cette machine? C'est avoir une pensée qui est composée d'autant d'idées qu'il y a de parties dans cette machine même, d'idées qui les représentent chacune exactement, et qui sont disposées dans le même ordre.

>> Lorsque je l'ai étudiée avec cette méthode, qui

est la seule, alors ma pensée ne m'offre que des idées distinctes; et elle s'analyse d'elle-même, soit que je veuille m'en rendre compte, soit que je veuille en rendre compte aux autres.

» Chacun peut se convaincre de cette vérité par sa propre expérience; il n'y a pas même jusqu'aux plus petites couturières qui n'en soient convaincues; car si leur donnant pour modèle une robe d'une forme singulière, vous leur proposez d'en faire une semblable, elles imagineront naturellement de défaire et de refaire ce modèle pour apprendre à faire la robe que vous demandez: elles savent donc l'analyse aussi bien que les philosophes, et elles en connaissent l'utilité beaucoup mieux que ceux qui s'obstinent à soutenir qu'il y a une autre méthode pour s'instruire.... >>

Une autre vérité, qui est également due au génie observateur de Laromiguière, c'est qu'il y a deux sortes d'analyses : il y a l'analyse de raisonnement et l'analyse descriptive.

L'analyse de raisonnement ramène tout à l'unité; elle va d'un objet considéré sous un point de vue à ce même objet considéré sous un nouveau point de vue; elle ne connaît qu'un rapport, l'identité; elle va toujours du même au même, en sorte qu'elle paraît tout à la fois en repos et en mouvement.

L'analyse descriptive, au contraire, passe d'un objet à un autre et ne connaît pas de repos; à peine a-t-elle pris l'idée d'un objet, qu'elle abandonne cet objet pour se porter vers d'autres qu'elle abandonnera successivement, et cela, afin de recueillir sans cesse dans sa

marche une multitude de rapports de simultanéité, de succession, de symétrie, de ressemblance, de grandeur, de distance, etc. Telle est, par exemple, l'analyse que nous faisons d'une campagne, et dont Condillac nous donne un si bel exemple dans le second chapitre de sa Logique.

L'analyse descriptive est proprement la méthode du poëte. Celui-ci va d'une chose à une autre chose, d'une idée à une autre idée; il réunit en tableaux des images empruntées aux divers objets de la nature. Il fait des touts réguliers de plusieurs choses diverses. Quand Boileau nous dit :

Au pied du mont Adule, entre mille roseaux,

Le Rhin, tranquille et fier du progrès de ses eaux,
Appuyé d'une main sur son urne penchante,

Dormait au bruit flatteur de son onde naissante,

l'oreille attentive jouit de l'harmonie des sons qu'elle entend, l'imagination est arrêtée devant le tableau qu'on lui montre, tandis que la réflexion admire la savante méthode qui en a disposé les parties avec tant de goût. Cette méthode, on le voit tout d'abord, n'est pas l'analyse de raisonnement : c'est l'analyse descriptive. L'art qui décrit ou qui peint se distingue de l'art qui prouve et qui démontre.

Mais lorsque le même poëte nous dit, dans son Art poétique,

J'évite d'être long et je deviens obscur,

on sent tout de suite la liaison de deux jugements; on sent même leur identité, car l'idée énoncée dans le premier jugement reparaît dans le second sous une

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