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aveugle qui dirait que la matière ne peut être lumineuse, parce qu'il ne lui connaîtrait pas cette qualité.

9° Enfin, le passage du moins connu au plus connu ; transitus à minùs noto ad magis notum.

La règle est d'aller du connu à l'inconnu; mais il y a des personnes qui au contraire veulent nous faire passer de l'inconnu à ce qu'elles croient savoir. Ainsi, on passe du moins connu au plus connu, lorsqu'on attaque le certain par l'incertain. Objecter, par exemple, contre l'immortalité de l'âme humaine, la destruction possible de l'âme des bêtes, ce serait attaquer le certain par l'incertain, passer du moins connu au plus connu, et par conséquent mal raisonner.

Des moyens de réfuter les sophismes. Pour se mettre en garde contre ces différentes espèces de sophismes, et pour les réfuter, il faut avant tout s'en être fait une idée exacte. On ne doit pas perdre de vue qu'un sophisme quelconque n'est tel, c'est-à-dire un raisonnement captieux, que parce que la conclusion n'y est pas renfermée dans les prémisses. D'où il suit que pour résoudre un sophisme quelconque, il suffit de montrer en quoi sa conclusion dit plus que le principe posé duquel on prétend qu'elle résulte, ou dit une chose tout autre.

Mais, indépendamment de ces sophismes, qui sont déjà des sources permanentes d'erreurs, il en existe d'autres auxquels il est d'autant plus difficile de se soustraire, qu'ils sont plutôt le résultat d'associations vicieuses d'idées que le produit d'un raisonnement

trompeur. D'où il arrive que l'esprit n'appréciant pas les choses par ce qu'elles sont en elles-mêmes, mais par le rapport qu'elles ont avec une passion dominante, il en déduit des conséquences d'autant plus regrettables, que les associations vicieuses d'idées qui les ont préparées étaient plus dangereuses '.

Ainsi l'avare, par exemple, jugeant que les richesses sont la source de toutes les jouissances de la vie, en conclut que son unique occupation doit être d'amasser de l'or; et, trompé par cette dangereuse association d'idées, il sacrifie tout à l'amour de l'argent, conscience, honneur, repos, liberté, la vie même.

Le voluptueux, de son côté, après avoir associé l'idée de bonheur à l'idée des plaisirs sensuels, juge faussement que ces plaisirs sont au-dessus de tout, et conclut bientôt qu'il peut tout sacrifier pour se les procurer; et, séduit par cette espèce de raisonnement, il dissipe en folles dépenses l'héritage qu'il tient de sa famille; il foule aux pieds ses devoirs, méprise les bienséances, et tombe dans la misère et la dégradation.

Celui que l'ambition tourmente, jugeant que rien n'est si désirable que ce qui nous élève au-dessus des autres hommes, part de cette dangereuse association d'idées pour rechercher, avec un empressement que rien ne rebute, le pouvoir, le crédit, les titres, les honneurs et les dignités. Il endure et supporte tout pour s'élever Omnia pro dominatione. Rien ne lui coûte; il s'avilit, il rampe, il subit les dédains, et fait taire les réclamations de sa conscience.

Voir plus haut, page 265.

Un autre que ses sentiments de haine aveuglent, jugeant que son ennemi est l'objet le plus digne d'aversion, ne voit en lui que vice, hypocrisie, méchanceté, trahison.

Enfin les apparences extérieures viennent encore se joindre à nos passions pour nous faire illusion.

Ici c'est l'autorité qui impose : n'ayant pas d'autres moyens de nous entraîner, souvent on nous cite l'opinion de personnes qui par leur esprit, leur savoir et leur réputation, ont acquis de l'autorité ou commandent le respect.

Mais de ce qu'une opinion est partagée par un homme que nous respectons ou que nous aimons, ce n'est pas toujours une raison pour qu'elle soit vraie '.

Là, c'est un air de confiance qui persuade; ailleurs, c'est un langage pur, un ton agréable, une physionomie heureuse, qui nous séduisent et nous préviennent; quelquefois même c'est l'éclat d'une dignité, le prestige d'un grand nom, d'une grande fortune ou d'une grande réputation, qui nous éblouissent et nous trompent.

Cet argument, qu'on appelle argument ad verecundiam, est bon s'il ne dépasse pas certaines bornes, mais si on lui fait prouver plus qu'il ne prouve réellement, il devient un sophisme.

Il en est de même de l'argument ad ignorantiam, et même de l'argument ad hominem, qui ont lieu, le premier, quand on exige de son adversaire qu'il admette une raison alléguée, ou qu'il en assigne une meilleure; et le second, quand on combat son adversaire par des conséquences qui découlent de ses principes ou de ses concessions; car de ce que l'adversaire ne sait pas répondre, on conçoit aisément qu'il ne s'ensuit pas nécessairement qu'il n'y ait rien à répondre; comme aussi de ce que quelqu'un nous prouve que nous nous trompons ou que nous raisonnons mal d'après nos principes, il ne peut pas toujours en conclure, lui, qu'il ait raison ou que nos principes soient faux.

Soumettre les préjugés à la raison, revenir sur nos jugements précédemment formés, nous méfier de tout ce qui captive nos sens et flatte nos goûts, nous tenir en garde contre les affections du cœur, résister aux efforts d'une volonté corrompue, et combattre sans relâche les mauvaises habitudes, voilà donc quelles sont les précautions à prendre pour échapper aux erreurs qui ont leurs sources dans des associations vicieuses d'idées.

Nous aimons la vérité, sans doute; elle est un besoin de notre nature. Mais, pour arriver jusqu'à elle, pour pénétrer dans son auguste sanctuaire, que d'obstacles à surmonter! que de peines et de dégoûts! combien d'ennemis à vaincre! Semblables à ces preux de la chevalerie que mille enchantements entraînaient dans les palais des fées, c'est contre des prestiges de toutes sortes que nous avons à lutter; c'est contre une infinité de piéges que nous avons à nous précautionner. Vrai Protée, le mensonge nous fait illusion sous mille formes différentes. Trop heureux encore, si nous n'avions que des ennemis étrangers à combattre, ou des ennemis qui nous fussent moins chers.

Mais c'est contre nous-mêmes que nous sommes forcés de prendre les armes; c'est contre nos passions qu'il faut lutter, c'est à nos sens qu'il faut imposer silence, à notre imagination qu'il faut mettre un frein, ce sont les exagérations de l'amour-propre qu'il faut mettre de côté, ce sont nos préventions qu'il faut vaincre; enfin c'est à notre cœur, c'est à ses mouvements déréglés, qu'il faut faire la guerre..

Nous aimons la vérité, je le répète, mais nous sommes si faibles, que nous aimons aussi tout ce qui nous en éloigne.

Exposés à tant d'illusions, et victimes si souvent de nos passions et du mensonge, nous avons donc besoin d'une méthode sûre pour nous diriger et nous maintenir dans la voie qui doit nous conduire à cette vérité. Sans cesse exposés à nous éloigner du droit chemin, nous avons besoin d'un flambeau qui nous éclaire dans notre marche et dissipe les ténèbres qui nous environnent.

Mais quel est ce secours que réclame notre faiblesse? quelle est cette méthode qui nous est si nécessaire? quel est ce flambeau dont la lumière bienfaisante doit effacer devant nous les lueurs trompeuses du mensonge, et nous diriger dans la voie des découvertes ? Voilà ce qui nous reste à étudier.

De la méthode.

Dès que nous connaissons nos facultés et l'ordre dans lequel elles doivent agir, la méthode ou manière de procéder de notre esprit dans la recherche de la vérité, n'est plus un mystère pour nous; car nous voyons que cette méthode n'est et ne peut être que l'emploi régulier de l'entendement.

Celui qui voudra acquérir de vraies connaissances, soit dans l'ordre physique, soit dans l'ordre moral, ne devra donc pas se conduire au hasard, mais faisant une heureuse application de ses facultés intellectuelles, il commencera d'abord par, s'instruire avec

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