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Picrochole, Pyrrhus, la laitière, enfin tous,

Autant les sages que les fous.

Chacun songe en veillant, il n'est rien de plus doux :
Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes;
Tout le bien du monde est à nous,

Tous les honneurs, toutes les femmes.

Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi;

Je m'écarte, je vais détrôner le Sophi;

On m'élit roi, mon peuple m'aime;

Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant :
Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même;
Je suis Gros-Jean comme devant.

N'est-ce pas là l'assemblage le plus aimable et le plus naturel de tous ces jeux de l'imagination, de tous ces chimériques projets de fortune, si heureusement exprimés par ce proverbe : Qui ne fait châteaux en Espagne?

Remarquez cependant que l'induction n'est un argument valable qu'autant que l'énumération des parties est complète. Aussi celui-là raisonnerait-il mal qui, pour prouver que tous les hommes sont blancs, emploierait l'induction suivante : Les Français sont blancs; les Anglais sont blancs; les Allemands sont blancs; les Italiens sont blancs; donc, tous les hommes sont blancs.

Des sophismes. On appelle sophismes des arguments captieux qui pèchent ou dans le fond ou dans la forme. Ce sont des arguments faux qui cachent le mensonge sous l'apparence de la vérité, et trompent les hommes peu éclairés ou inattentifs. Ces raisonnements faux prennent le nom de paralogismes (contre la raison) quand ils sont employés par ignorance et

sans mauvaise foi; mais ils conservent celui de sophismes quand ils ont été employés dans le but de tromper.

Il y en a de plusieurs sortes les uns proviennent de l'ambiguïté des mots, et sont appelés fallacia grammaticales; les autres ont leur cause dans un faux rapport conçu entre deux propositions, et sont appelés fallacia logica.

I. Sophismes qui proviennent de l'ambiguïté des mots. Le nombre des sophismes qui ont leur cause dans l'ambiguïté des mots est illimité, par la raison qu'il y en a autant qu'il y a de manières différentes dont on peut abuser du double sens des mots.

Quelques exemples peuvent donner une juste idée de ces sortes de sophismes.

On abuse de l'ambiguïté des mots :

1° Toutes les fois que dans l'une des prémisses on prend un mot dans un sens, et que dans l'autre prémisse on prend le même mot dans un sens différent. Exemple: Il y a une constellation qui s'appelle Lion; or, le lion rugit; donc, il y a une constellation qui rugit.

Le défaut de ce raisonnement est dans le double sens du mot lion, qui fait que, sous l'apparence de trois termes, le syllogisme en contient réellement quatre, ce qui est contraire à la première règle du syllogisme.

2° Quand on passe du sens composé au sens divisé, ou du sens divisé au sens composé, c'est-à-dire quand on passe d'un mot pris seulement dans une partie de sa signification à ce même mot pris dans sa signification rigoureuse. Exemple: L'homme (sens divisé)

pense; or, l'homme (sens composé) est corps et âme; donc, le corps et l'âme pensent.

Si le moyen terme de cet argument (le mot homme) n'a pas le même sens dans la majeure (l'homme pense) que dans la mineure (l'homme est corps et âme), cela vient de ce qu'il y a des mots qui signifient un tout, et qui peuvent néanmoins être considérés d'une manière distributive.

On tomberait dans le même sophisme, si l'on disait : La vertu est inutile, si les impies peuvent être sauvés; or, les impies peuvent être sauvés; donc, la vertu est inutile.

Dans ce sophisme, comme dans le précédent, le moyen terme (le mot impies) n'a pas le même sens dans la majeure que dans la mineure dans l'une, il est pris d'une manière collective, tandis que dans l'autre il est pris d'une manière distributive; d'où il suit que cet argument, au lieu de trois termes, en contient réellement quatre.

La confusion du sens divisé avec le composé, transitus à sensu diviso ad compositum, aurait également lieu, si de ces paroles de Jésus-Christ, les aveugles voient, les boiteux marchent droit, quelqu'un en concluait que les aveugles, tandis qu'ils sont aveugles, voient, ou que les boiteux, tandis qu'ils sont tels, marchent droit. En effet, ces paroles, prises dans le sens composé, c'est-à-dire conjointement, ne sauraient être vraies; mais on doit les entendre dans le sens divisé, c'est-à-dire séparément, en ce sens que ceux qui naguère étaient aveugles, voient maintenant, et que ceux

qui naguère étaient boiteux, marchent droit actuelle

ment.

C'est dans le même sens qu'il est dit, dans l'Écriture, que Dieu justifie les impies; car cela ne veut pas dire qu'il tient pour justes ceux qui sont encore impies, mais qu'il rend justes, par sa grâce, ceux qui auparavant étaient impies.

Enfin, il y a des propositions qui ne sont vraies qu'autant qu'on les entend dans un sens composé. Ainsi, cette proposition de saint Paul : « Les médisants, les fornicateurs, les avares, etc., n'entreront pas dans le royaume du ciel,» serait fausse si elle n'était pas prise dans un sens composé; mais ainsi entendue, cette proposition ne signifie pas que nul de ceux qui auront eu ces vices ne sera sauvé, elle signifie seulement que ceux qui y demeureront attachés, et qui n'auront point changé de conduite avant leur mort, n'entreront pas dans le royaume du ciel.

On réfute cette espèce de sophisme en ayant soin de diviser ce que l'adversaire a réuni, et de réunir ce qu'il a divisé.

3o Quand on passe du sens propre au sens figuré, ou réciproquement du sens figuré au sens propre. Exemple Le cœur de l'avare est dans son coffrefort; or, tout homme dont le cœur est dans un coffrefort, est mort; donc, l'avare est mort.

4° Quand on passe du sens collectif au sens distributif, ou réciproquement, comme lorsqu'on applique à plusieurs individus pris ensemble ce qui ne convient qu'à chacun séparément, ou bien lorsqu'on applique

à chacun pris séparément ce qui ne convient qu'à tous pris ensemble. Comme si on disait : Les apôtres étaient douze; or, Pierre était apôtre; donc, Pierre était douze. Ou bien : Jean est un seul homme; or, Jacques est aussi un seul homme; donc, Jean et Jacques sont un seul homme.

Dans ces différents sophismes, qui peuvent quelquefois embarrasser l'esprit, on voit que le défaut consiste uniquement dans le double sens des mots qui y sont pris pour termes de comparaison, ce qui fait que, sous l'apparence de trois termes, ces arguments en contiennent réellement quatre. Pour montrer en quoi ces raisonnements sont défectueux, il suffit donc de distinguer les deux sens du moyen terme : on accorde les prémisses dans le sens où elles sont vraies, et on les nie dans le sens où elles sont fausses.

I. Sophismes qui proviennent de faux rapports conçus entre des propositions. -Les principaux sophismes qui proviennent de faux rapports conçus entre des propositions ou qui tiennent à la pensée, sont : l'oubli de la question, la pétition de principe, la fausse cause, la confusion du sens relatif avec le sens absolu, la confusion d'un genre avec un autre, le passage du pouvoir à l'acte, le dénombrement imparfait et le passage du plus connu au moins connu.

4° L'ignorance ou l'oubli de la question, l'oubli de ce que l'on doit prouver contre son adversaire : ignorantia elenchi.

On tombe dans ce sophisme toutes les fois qu'on s'attache à prouver autre chose que ce qui a été mis en

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