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dans un sens général; et si j'en concluais, ou qu'aucun esprit n'est substance, ou que quelque esprit n'est pas substance, dans ces deux cas je conclurais évidemment ce que je n'ai pas le droit de conclure. Dans l'un comme dans l'autre cas, je manquerais à la seconde règle du syllogisme.

Donc, 3o de deux prémisses particulières, dont l'une affirme et dont l'autre nie, on ne peut rien conclure.

On ne peut rien conclure non plus de deux prémisses particulières qui sont toutes deux affirmatives ou toutes deux négatives.

Donc, on ne peut jamais rien conclure de deux prémisses particulières : Nil sequitur geminis ex particularibus unquàm '.

1 Il est encore des gens du monde dont la délicatesse est blessée par les barbara et les baroco des. modes du syllogisme. Le sage avertissement de la Logique de Port-Royal (page 26 du premier discours) ne les a point désabusés; ils continuent à ne pouvoir s'empêcher de rire, et regardent même toute la logique comme un langage barbare de barbara, etc. C'est un préjugé qui vient de ce que l'on confond ce qui, tout au plus, n'est qu'inutile avec ce qui est ridicule. Pour avoir le droit de se moquer d'une chose, il faut au moins la bien connaître, alors si on rit ce sera avec connaissance de cause. Ceci étant dit, qu'il me soit permis de tracer ici en peu de mots l'historique de ces barbara si choquants; ce sera expliquer en même temps les plaisanteries de Molière.

Nous avons vu qu'une proposition universelle affirmative avait été désignée par la voyelle A; une proposition universelle négative par E; une proposition particulière affirmative par I; et une proposition particulière négative par O. (Page 261.)

Ces quatre voyelles, prises 3 à 3, peuvent se combiner de 64 manières différentes.

N'était-il pas naturel de se demander si les trois propositions qui constituent le syllogisme ne pouvaient pas subir le même nombre de combinaisons, puisqu'elles étaient représentées par ces voyelles?

On reconnut que, mathématiquement, elles le pouvaient, mais que de

Telles sont les règles dont un syllogisme ne peut s'écarter sans qu'il devienne aussitôt un mauvais raisonnement.

Il y a un précepte qui résume toutes ces règles d'Aristote que nous venons d'expliquer. Ce précepte, qu'on appelle la règle des modernes, est ainsi conçu :

Dans tout syllogisme, il faut que l'une des prémisses contienne la conclusion et que l'autre l'y déclare con

tenue.

ces 64 combinaisons, 54 étaient exclues par les règles du syllogisme. Alors on jugea à propos de désigner les 10 combinaisons restantes par 10 combinaisons de voyelles, qui sont AAA, EAE, AII, EIO, AIO, IAI, AEE, OAO, AOO, EAO. En les enchâssant dans des vers faits exprès, on voulut que les enfants mêmes pussent aisément les retenir; ainsi, les trois lettres AAA sont renfermées dans le mot barbara, eae dans celarent, soo dans baroco, AII dans darii, etc.

Les mots, il est vrai, sont bizarres; et le seul baroco appelle nécessairement l'idée de baroque; mais ils ne sont point dépourvus de sens, puisqu'ils sont les signes de propositions qui peuvent être aussi sérieuses et aussi importantes qu'on le voudra. On ne rirait point si on avait trouvé deux vers de Virgile qui eussent représenté les mêmes voyelles, combinées de la même manière; et cependant ils n'auraient signifié rien de plus pour l'usage de la logique.

D'un autre côté, c'eût été quelque chose de choquant de consacrer deux vers de Virgile à un pareil usage.

Maintenant, si l'on demande ce que c'est qu'un syllogisme en barbara, la réponse est facile et ne présente rien de ridicule; c'est un syllogisme composé de trois propositions universelles affirmatives (AAA); le suivant, par exemple, est un syllogisme en barbara: Tous ceux qui commettent facilement des fautes ont besoin d'être surveillés. Or, tous les enfants commettent facilement des fautes; donc tous les enfants ont besoin d'être surveillés.

Un syllogisme en baroco est celui dont la majeure est une proposition universelle (A), et la mineure une proposition particulière négative, ainsi que la conclusion (oo); tel est le syllogisme suivant: Tous ceux qui ont participé à telle action méritent d'être punis. Or, il y a parmi nous des jeunes gens qui n'y ont point participé, donc, il y a parmi nous des jeunes gens qui ne méritent point d'être punis.

Certes, rien n'est moins baroque qu'un pareil raisonnement. Il faut

On remarque, en effet, que si cette règle est bien observée, la conclusion n'exprimera jamais que ce qui aura été déjà implicitement exprimé dans les prémisses. D'où il arrivera que les prémisses et la conclusion exprimeront toujours au fond la même chose. Ainsi, dans le syllogisme suivant : - Tout vice est odieux ; -or le mensonge est un vice; - donc le mensonge est odieux; la majeure, tout vice est odieux,

cependant convenir que, si ces mots ne sont point ridicules à cause de leur valeur de convention, ils sont du moins assez inutiles, et qu'il y aurait plus que de la pédanterie à faire parade d'arguments en barbara ou en baroco. Il n'y a qu'un M. Jourdain qui pourrait y attacher de l'importance.

Ceci étant compris, nous demandons également la permission d'ajouter quelques mots relatifs à l'ancienne argumentation des écoles.

On appelait la forme d'argumenter, ou simplement la forme, l'enchaînement des diverses espèces de raisonnement que l'on peut employer. Mais il ne faut pas confondre ce mot avec la forme du syllogisme : on disait d'un exposé, d'un discours, d'une glose, c'est bien en forme, pour marquer que tous les raisonnements étaient bien liés, bien suivis; on disait d'un syllogisme, ce syllogisme n'est pas en forme, pour exprimer qu'il péchait contre les règles et qu'il ne concluait rien; on disait encore à quelqu'un dont la glose était trop longue : Mettez en forme, c'est-à-dire concluez et venez-en au syllogisme.

Voilà pourquoi nous voyons dans Boileau : « En forme, j'y consens. » Permis à Molière de rire aussi de ce mot.

Dans les exercices publics où l'on soutenait des thèses, l'agresseur attaquait une proposition en prenant sa contradictoire. Après quelques formules de politesse, il faisait en latin un exposé plus ou moins long de ses moyens d'attaque, et c'était cet exposé qu'on nommait glose. Cette glose se terminait par les mots undè sic in formá, qui étaient le signal de l'attaque, et le combat s'engageait par un enthymème lancé contre la thèse.

Le répondant, avec tout le sang-froid dont il était capable, reprenait ce qu'on venait de lui objecter, afin de procéder avec méthode et de bien fixer l'état de la question; puis, il reprenait une seconde fois l'objection pour y répondre, il niait l'antécédent de l'enthymème avancé par son adversaire, et prouvait qu'il avait raison de le nier; c'est ce qu'on appelait dare rationem negati.

Quand une proposition paraissait vraie, il fallait l'accorder et dire :

renferme la conclusion, le mensonge est odieux; et la mineure, le mensonge est un vice, en affirmant que le mensonge et le vice sont une même chose, déclare qu'effectivement la conclusion se trouve dans la majeure.

Dans les syllogismes affirmatifs, c'est-à-dire dont les prémisses sont deux propositions affirmatives, l'une des deux, n'importe laquelle, contient la con

concedo majorem, ou minorem, ou antecedens; si on la trouvait fausse, on la niait en disant : nego majorem, ou minorem, ou antecedens ; mais lorsqu'elle présentait un double sens, on l'examinait en disant : distingo majorem ou minorem, etc.

Dans ce dernier cas, comme la réponse était un peu plus difficile à développer que dans les deux précédents, on en avait renfermé les lois dans le vers suivant :

Divide, defini, concede, negato, probato.

1° Divide, partagez bien la proposition dans les deux sens que vous lui trouvez.

2o Defini, exposez bien en quoi consistent ces deux sens.

3° Concede, avouez ce qui vous paraît vrai.

4° Negato, niez le rapport qui vous semble faux.

5o Probato, donnez des raisons de ce que vous avancez.

Si une proposition, la majeure, par exemple, renfermait du vrai et du faux, et qu'on ne voulût pas s'arrêter à la discuter, on disait : transeat major, ou esto major, puis on s'attachait à l'examen de la mineure, et quand la réponse était donnée, on rappelait le transeat, pour faire voir qu'on aurait pu attaquer la majeure. Ces transeat étaient toujours une petite offense pour l'argumentant, parce qu'ils supposaient que dans ses majeures il partait de principes au moins douteux, et ils étaient en même temps un triomphe de plus pour le répondant.

D'autres fois, quand l'argument n'était point en forme, ou qu'il n'allait pas directement contre la thèse, on disait concedo totum, mais alors l'agresseur était piqué au vif, comme un homme à qui on dit : Vous n'êtes pas dans la question, et, pour venger son honneur outragé, il cherchait à désarçonner le soutenant: souvent dans la chaleur de la dispute, l'un et l'autre se lançaient les sarcasmes les plus piquants, les injures même; la langue latine le leur permettait plus facilement que n'eût fait le français. Et s'il arrivait que l'un des deux eût de la peine à trouver ses

clusion, et l'autre déclare qu'elle y est contenue. Quelquefois même toutes deux la contiennent, comme dans le syllogisme affirmatif suivant: - Tout esclave de ses passions est malheureux; —or tout vicieux est esclave de ses passions; donc tout vicieux est malheureux.

Mais dans les syllogismes négatifs, comme il n'y a qu'une proposition négative, et que la négation n'est proprement renfermée que dans la négation, c'est toujours la prémisse négative qui contient la conclusion, et la prémisse affirmative déclare qu'il en est ainsi. Exemple - Rien de ce qui est imparfait n'est Dieu; -or l'homme est imparfait; - donc l'homme n'est pas Dieu.

On voit donc bien clairement que toutes les règles des anciens se rapportent au précepte des modernes, et que les arguments ne sont vicieux que quand on manque de l'observer, et qu'ils sont toujours bons quand on l'observe; car, dans le fait, toutes ces règles d'Aristote se réduisent aux deux suivantes :

L'une, que chaque terme doit conserver dans tout le

preuves, qu'il hésitât, qu'il fit voir beaucoup d'embarras, en un mot, qu'il restât sur le mot quia, la bataille était perdue pour lui, sa confusion était complète.

Pour ne rien omettre de cette véritable lutte, ajoutons que l'agresseur, après une distinction, ne pouvait plus continuer la difficulté sans prouver que le second sens de la distinction lui était aussi favorable que le premier; c'est ce qu'il faisait en reprenant ce second sens, pour l'objecter à son adversaire et l'appuyer de bonnes raisons. La proposition ainsi reprise, se nommait en latin subsumptum, du verbe subsumere, fait exprès pour dire prendre par-dessous, et ce coup fourré, lorsqu'il était bien porté, n'était pas un des moins dangereux de l'escrime scolastique.

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