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les mêmes impressions par les mêmes organes; il juge que les yeux lui sont donnés pour voir, les oreilles pour entendre, etc. Ainsi, comme il a pensé que celui qui fait les mêmes choses que lui, est sensible, il le pense encore avec plus de fondement lorsqu'il voit en lui les mêmes moyens pour les faire.

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Cependant, ils s'approchent; ils se communiquent leurs craintes, leurs espérances, leurs observations, leur industrie, et ils se font un langage d'action. L'analogie a donc ici une nouvelle force. Comment supposer que celui qui comprend l'idée que j'attache à un geste, et qui par un autre geste en excite une autre en moi, n'a pas la faculté de penser?

» Voilà le dernier degré de certitude où l'on peut porter cette proposition: Mon semblable pense. Il n'est pas nécessaire que les hommes sachent parler, et le langage des sons articulés n'ajouterait rien à cette démonstration. Si je suis sûr que les hommes pensent, c'est parce qu'ils se communiquent quelques idées, et non parce qu'ils s'en communiquent beaucoup nombre ne fait rien à la chose. Qu'on suppose un pays où tous les hommes soient muets, jugera-t-on que ce sont des automates? » (Art de raisonner, liv. IV, chap. II.)

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Les bêtes sont-elles donc des machines? Il semble, répond Condillac, que leurs opérations, les moyens dont elles opèrent, et leur langage d'action, ne permettent pas de le supposer; ce serait fermer les yeux à l'analogie. A la vérité, la démonstration n'est pas évidente, car Dieu pourrait faire faire à un automate

tout ce que nous voyons faire à la bête la plus intelligente, à l'homme qui montre le plus de génie; mais on le supposerait sans fondement.

L'analogie est comme une chaîne qui s'étend depuis les conjectures jusqu'à l'évidence; aussi n'estelle pas toujours un motif certain de jugement. Et cependant, comme tout dans la nature est gouverné par des lois générales, on voit qu'elle produit une véritable certitude toutes les fois qu'elle repose sur ce fondement, que les mêmes effets, se montrant dans des circonstances semblables, sont produits par les mêmes causes, ou réciproquement, que les mêmes causes, si elles agissent dans des circonstances semblables, produisent les mêmes effets.

D'où il suit que, pour juger d'un grand nombre d'objets de même espèce, il n'est pas nécessaire de les avoir tous étudiés en particulier; il suffit d'en avoir soumis quelques-uns à une expérience directe.

L'analogie entre dans la plupart de nos déterminations; dans les actes ordinaires de la vie comme dans l'étude des sciences, elle est pour nous d'une application continuelle. Que le laboureur confie à la terre un grain qu'elle doit lui rendre au centuple, il juge de l'avenir par la connaissance du passé : il est mû par l'analogie; que nous prenions d'une nourriture plutôt que d'une autre, c'est l'analogie qui nous guide et qui influe sur ce choix; et il en est de même pour la plupart des actes de la vie civile.

L'analogie est un puissant moyen de découverte et la source d'un très-grand nombre de jugements; mais

chez les hommes inattentifs ou peu éclairés elle peut être le principe d'un grand nombre d'erreurs.

L'induction a quelque rapport avec l'analogie. Elle consiste dans une sorte de penchant naturel, en vertu duquel nous étendons au passé et à l'avenir la durée des phénomènes dont la pensée ne nous montre ni le commencement ni la fin.

C'est par induction que nous jugeons que telle maison que nous voyons pour la première fois a existé avant que nous la vissions, et qu'elle existera encore après que nous l'aurons perdue de vue.

L'induction n'est pas toujours un motif certain de jugement; c'est un guide que l'on peut consulter, mais il faut se tenir en garde contre les fausses indications qu'il peut donner.

II. De la proposition.

On appelle proposition tout jugement exprimé ou rendu sensible par des mots. Quand je dis, Dieu est bon,-l'abeille est laborieuse, je forme deux propositions. Dans toute proposition, on distingue le sujet, l'attribut et le verbe.

1° On appelle sujet ce dont on affirme ou ce dont on nie quelque chose. Ainsi, dans cette proposition, l'âme est immortelle, le mot âme est ce qu'on appelle le sujet.

2o L'attribut est ce qui est affirmé ou nié du sujet; c'est la qualité que nous apercevons comme liée au sujet. Dans la proposition précédente, le mot immortelle est l'attribut.

3o On appelle verbe le mot qui sert à exprimer la liaison du sujet avec l'attribut; c'est le mot que les logiciens appellent la copule. (Voir ce qui a été dit plus haut, page 178 et suiv.)

Il y a quatre choses à considérer sur la proposition : sa forme, sa matière, ses propriétés, et les différents noms qu'elle reçoit selon l'usage qu'on en fait.

Forme de la proposition.—Ce qui constitue la forme essentielle de la proposition, c'est le verbe; de sorte qu'il n'y a point de proposition sans un verbe exprime ou sous-entendu. Quand je dis: Heureuses les âmes bien nées! j'énonce une proposition dans laquelle le verbe n'est pas exprimé; on voit bien que c'est comme si je disais : Les âmes bien nées sont heureuses. Il en est de même dans cette autre proposition Aux grands maux les grands remèdes; le verbe est aussi sous-entendu.

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Nous avons dit que le principal usage du verbe est de signifier l'affirmation, c'est-à-dire d'exprimer la liaison de l'attribut avec le sujet. Ainsi, le verbe par lui-même ne devrait avoir d'autre usage que de marquer la liaison que nous établissons, dans notre entendement, entre les deux termes d'une proposition, c'est-à-dire entre la chose à laquelle nous pensons et la qualité que nous apercevons comme liée à cette chose.

Cependant il n'y a que le verbe être, qu'on appelle verbe substantif, qui soit demeuré dans cette simplicité, c'est-à-dire qui exprime uniquement la liaison du sujet avec l'attribut, et encore n'a-t-il qu'un seul

temps et une seule personne qui marquent cette liaison, c'est-à-dire qui contiennent la forme essentielle de la proposition; c'est la troisième personne du présent de l'indicatif : est.

Pour tout ce qui regarde les autres temps de ce verbe, et même la première et la seconde personne du présent de l'indicatif, il peut être assimilé aux verbes adjectifs1, qui contiennent non-seulement la forme de la proposition, mais qui expriment aussi :

Quelquefois l'attribut, comme quand je dis Auguste joue (c'est-à-dire Auguste est jouant);

Quelquefois le sujet, comme quand je dis Sum homo (c'est-à-dire Ego sum homo);

Et quelquefois le sujet et l'attribut tout à la fois, comme quand je dis Vivo, -- ludo, — studeo.

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Enfin, les verbes adjectifs contiennent presque toujours un rapport au temps à l'égard duquel on affirme; ainsi quand je dis cœnâsti, ce seul mot contient non-seulement la forme en même temps que le sujet et l'attribut, mais il exprime aussi le temps dans lequel l'action qu'il marque a eu lieu.

Matière de la proposition. Ce qui constitue la matière d'une proposition, ce sont les deux termes dont elle se compose. On appelle le premier de ces deux

1 Ainsi nommés parce qu'ils renferment un attribut joint l'idée d'existence.

Le verbe être est employé lui-même quelquefois comme verbe adjectif ou attributif; cette phrase: Dieu est avant tous les siècles, en offre un exemple. Dans ce cas, le verbe être est synonyme d'exister. Ainsi en disant Dieu est avant tous les siècles, c'est comme si l'on disait : Dieu existe ou est existant avant tous les siècles.

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