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d'habitudes, que se trouve l'origine de la mémoire, principe du souvenir.

le

Mais qu'on y prenne garde, la mémoire ne dépend pas uniquement des habitudes prises par les fibres cérébrales; ces habitudes ne peuvent réémouvoir dans l'âme que des sentiments. Or, nous savons que l'âme a besoin d'agir pour démêler ses sentiments et les transformer en idées; ce n'est donc, comme on le voit, que par une nouvelle action de sa part que ces sentiments reproduits peuvent redevenir pour elle des idées rappelées. Des sentiments reproduits ne sont donc pas plus des idées rappelées, que des sensations qui se manifestent pour la première fois à l'âme n'y sont elles-mêmes des idées.

Le cerveau seul ne suffit donc pas à la reproduction des idées; il est vrai qu'il a en lui-même la propriété de redonner à l'âme, même en l'absence des choses, les moyens de les rappeler, ou, pour mieux dire, les moyens de se les rendre présentes; mais ce n'est pas lui qui les rend présentes; il contribue autant qu'il est en lui à leur réapparition, mais ce n'est pas lui qui les ressaisit, c'est l'âme active, c'est l'attention.

Ainsi, que le cerveau tienne en réserve les matériaux de la mémoire, les éléments indispensables de nos souvenirs, cela paraît constant; mais ce n'est pas lui qui les met en œuvre, ce n'est pas lui qui est la cause génératrice des idées rappelées, c'est l'attention.

Deux choses paraissent donc indispensables pour qu'il y ait mémoire en nous, rappel d'idées; il faut, d'une part, que les fibres sensitives aient la capacité de

retenir dans leur tissu des dispositions analogues aux déterminations ou ébranlements divers qu'elles ont d'abord subis, et qu'en vertu de cette aptitude qui leur a été départie, elles réexcitent en effet dans l'âme les sensations qu'elles y ont précédemment excitées ; et de l'autre, il faut que l'âme, à l'occasion de ces affections qui ont été reproduites en elle, leur donne attention, et que de cette manière elle ressaisisse des idées qu'elle a précédemment acquises.

D'où il suit que la mémoire, considérée tant dans sa formation que dans son principe, n'est pas autre chose que la puissance d'attention qui transforme en idées les affections diverses que les fibres cérébrales réémeuvent en nous; ou, en d'autres termes, la mémoire est un double effet de l'attention et des habitudes qui demeurent au cerveau des impressions reçues.

Lois de la mémoire. Si l'on vient à s'observer dans les reproductions de la mémoire, on ne tarde pas à s'apercevoir qu'il y a toujours quelques rapports, soit naturels, soit accidentels, entre les objets actuels de l'attention et les idées que la mémoire rappelle.

Or, les circonstances qui sont cause de l'association des choses dans notre mémoire, et qui, de cette manière, sont le principe de leur rappel les unes par les autres, voilà ce que j'appelle les lois de la mémoire.

On peut en indiquer trois principales la coïncidence des choses dans notre perception, soit en réalité, soit en idée seulement, leur analogie et leur succession.

4° La coincidence des choses d'une manière quelconque dans notre esprit. Un fait que l'expérience journalière atteste, et que, par cette raison, on peut considérer comme une règle constante de la liaison des idées, c'est qu'il suffit que deux choses aient été présentes à la fois dans notre esprit, qu'elles aient coïncidé dans notre pensée, pour qu'elles s'unissent dans notre mémoire, de manière que désormais la présence de l'une suffise pour rappeler l'autre. Ainsi, que je vienne à rencontrer une personne que j'ai précédemment remarquée quelque part, sa vue me retrace soudain le lieu où je l'ai d'abord aperçue. De même, qu'une personne m'ait prié de quelque commission, je ne reverrai point cette personne que ma première pensée ne soit de lui rendre compte de sa commission, si elle est faite; et, si elle ne l'est pas, de lui en dire les raisons.

Il suffit donc que deux objets quelconques aient été présents à la fois dans notre esprit, il suffit qu'ils aient coïncidé dans notre pensée, pour qu'ils s'unissent en nous et que la présence de l'un rappelle l'idée de l'autre.

2o L'analogie des choses. Si deux objets, sans s'être montrés à nous ensemble, ont entre eux quelque analogie, quelques traits de ressemblance, il est certain, d'après ce qui précède, que la présence de l'un sera pour nous l'occasion de la reproduction de l'idée de l'autre, tout aussi bien que s'ils avaient coïncidé dans notre perception; car cette analogie, ces traits de res

semblance sont quelque chose de commun à tous deux, quelque chose qui s'offre également et dans l'un et dans l'autre.

Or, puisque ce quelque chose qu'ils ont de commun s'offre dans chacun d'eux, il nous a donc été présent dans chacun d'eux; et c'est par ce côté commun que l'un se trouve en état de réveiller en nous l'idée de l'autre.

D'où l'on voit que c'est encore par suite d'une certaine coïncidence partielle dans leurs impressions sur nos sens, que la présence de l'un rappelle l'idée de l'autre. C'est de cette manière que la vue d'un vieillard réveille en nous l'idée d'un autre vieillard, la vue d'un enfant celle d'un autre enfant; c'est ainsi que la vue même d'une personne qui nous est inconnue, mais dont les traits ont quelque ressemblance avec ceux d'une autre personne qui nous est connue, en remémore l'idée.

nous

3° La succession des choses dans notre perception.L'expérience prouve que si, au lieu d'avoir été simultanées, les impressions produites en nous y ont été plus ou moins de fois répétées dans un ordre de succession quelconque, elles s'y unissent tout aussi bien que dans le cas d'association par coïncidence. On conçoit, en effet, que ces impressions, au moment où elles se succèdent en nous, au moment où l'une abandonne nos organes pour y faire place à l'autre, sont en quelque sorte coïncidentes; d'autant mieux que l'ébranlement des organes communicatifs du sentiment ne

cessant pas dès l'instant précis que l'action des objets sur eux a cessé, mais que se prolongeant un peu au delà, il arrive que les impressions de l'objet qui les quitte doivent durer encore quand celles de l'objet qui lui succède commencent à s'y faire sentir.

D'où l'on voit que cette succession dans les impressions y équivaut à une propre coïncidence, et qu'ainsi, sans être précisément les mêmes, ces deux cas rentrent l'un dans l'autre.

Mais si, au lieu d'être consécutives, les impressions sont séparées par un certain intervalle, alors elles ne peuvent s'associer en nous qu'autant que l'idée de l'une nous occupe encore au moment où nous percevons celle qui lui a succédé. Car, les liaisons ne s'opèrent pas moins au sein de la mémoire, c'est-à-dire sur les idées des objets, qu'en présence des objets euxmêmes, et sur les impressions qu'ils produisent sur

nous.

Ainsi, que deux idées viennent à se rencontrer dans notre esprit, qu'elles nous soient présentes en même temps, l'effet de cette rencontre sera non-seulement qu'elles pourront s'y associer et s'y réémouvoir réciproquement; mais, de plus, que si l'objet qui correspond à l'une d'elles vient à nous apparaître, il pourra être l'occasion du rappel de l'autre idée, de la même manière que si ces deux objets s'étaient montrés à nous en même temps.

C'est de cette manière qu'on peut concevoir que viennent à s'associer entre eux, dans notre mémoire, une foule de faits dont nous n'avons pu prendre con

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