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vérité une fois qu'elle nous est connue, et qui empêche de la trahir sans raison.

Enfin, et dans le cas où l'on voudrait entendre ces paroles de l'Écriture dans leur sens littéral, et non dans un sens métaphorique, on peut répondre ainsi qu'il suit à l'objection proposée :

Omnis homo mendax. Je distingue : Omnis homo, distributivè sumptus, mendax (chaque homme, pris en particulier, peut me tromper), je l'accorde; mais Omnis homo, collectivè sumptus, mendax (plusieurs hommes, tous les hommes pris en masse, peuvent me tromper), je le nie.

Il est possible, en effet, qu'un homme pris en particulier ait quelques raisons qui l'engagent à me tromper, et qu'il veuille me tromper; mais il est impossible qu'un nombre plus ou moins considérable d'hommes puissent avoir les mêmes motifs, et qu'ils s'accordent en effet pour m'induire en erreur.

Quatrième objection. -On insiste de nouveau, et on dit: Vous ne pouvez regarder comme produisant une certitude infaillible que ce qui peut être géométriquement ou métaphysiquement démontré; or, la vérité des faits qui vous sont attestés par un grand nombre de personnes, quelque recommandables que vous les supposiez, n'est susceptible ni d'une démonstration géométrique ni d'une démonstration métaphysique; donc le témoignage des hommes ne peut jamais produire une certitude infaillible.

Réponse.

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Je nie la majeure, car il y a une foule de choses que je ne puis me démontrer d'une manière

géométrique ou métaphysique, et qui n'en sont pas moins certaines pour moi.

Ainsi, par exemple, moi qui n'ai jamais vu Rome, Vienne ni Berlin, comment puis-je me démontrer que ces capitales existent? Ce n'est pas d'une manière géométrique ou métaphysique, et cependant je sens parfaitement qu'il me serait tout aussi impossible de me persuader que ces villes n'existent pas, qu'il me serait impossible de me persuader que je n'existe pas.

La certitude morale que j'ai de l'existence de ces villes, comme de tant d'autres choses que je ne connais que par le témoignage humain, est donc aussi infaillible pour moi que la certitude que je puis avoir de tel ou tel fait que je puis me démontrer d'une manière géométrique ou métaphysique, en me fondant sur l'évidence ou sur le sens intime, et cela, parce qu'il me répugnerait autant de croire que tous ceux qui ont vu ces villes et qui m'en ont parlé, se sont trompés ou qu'ils ont voulu me tromper, qu'il me répugnerait de croire, par exemple, que je n'existe pas, ou que la somme des trois angles d'un triangle n'est pas égale à deux angles droits.

Donc, on ne peut pas dire qu'il n'y a de certain que ce qui peut être géométriquement ou métaphysiquement démontré. C'est pourquoi le témoignage des hommes, bien qu'il ne soit pas susceptible d'être géométriquement ou métaphysiquement établi, s'il est revêtu des conditions requises, n'en produit pas moins une certitude infaillible.

l'existence de Henri IV, de sa générosité après ses victoires, et de sa mort tragique? Et les victoires de Louis XIV et ses revers sur la fin de son règne, qui pourrait les mettre en doute? La plupart des hommes croient d'autant plus fermement des faits de ce genre, qu'ils sont plus à leur portée, et qu'ils n'offrent aucune ambiguïté à l'esprit. Combien de vaines arguties n'entasserait pas un sceptique avant de convaincre l'homme le moins instruit qu'Alexandre, César, Pompée ou Napoléon Ier n'ont jamais existé, etc.

Il entre donc bien dans la nature et dans le caractère des hommes d'ajouter foi à certains faits passés. On voit donc premièrement que le doute général,

par cette raison, vous ne devez pas dire: Je suis venu, mais Il me semble que je suis venu.

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Parbleu! il faut bien qu'il me semble, puisque cela est.

MARPHURIUS.

Ce n'est pas une conséquence, et il peut vous le sembler, sans que la chose soit véritable.

SGANARELLE.

Comment, il n'est pas vrai que je suis venu ici?

MARPHURIUS.

Cela est incertain, et nous devons douter de tout.

SCANARELLE.

Quoi! je ne suis pas ici, et vous ne me parlez pas?

MARPHURIUS.

Il me paraît que vous êtes là, et il me semble que je vous parle, mais il n'est pas assuré que cela soit.

SGANARELLE.

Hé! que diable! vous vous moquez. Me voilà, et vous voilà bien nettement, et il n'y a point de me semble à tout cela. Laissons ces subtilités, je vous prie, et parlons de mon affaire; etc.

concernant les faits historiques, répugne au caractère et à la nature de l'homme.

Je dis, en second lieu, qu'un pareil doute est contraire à tous les principes d'une saine raison.

Voici quelques-uns de ces principes :

Un grand nombre de témoins oculaires, tous intéressés à bien voir, ne peuvent se tromper à la fois sur un fait sensible et important.

Un grand nombre de témoins qui, le plus souvent, diffèrent de patrie, de langage, de religion, de caractère, d'intérêts et d'opinions, et qui sont étrangers les uns aux autres, ne peuvent s'accorder sur un même mensonge, qui leur serait inutile, ou qui les contrarierait dans leurs passions.

Un grand nombre de personnes ne sauraient être abusées, ni surtout longtemps abusées par de faux témoins sur un fait public et important.

Ces principes et une foule d'autres qui s'appuient également sur la saine raison, sont directement opposés au pyrrhonisme historique.

Je dis, en troisième lieu, que ce doute général, concernant les faits passés, détruit la religion et la société, et qu'il ruine les fortunes privées.

Et d'abord il détruit la religion en effet, comme la religion repose entièrement sur des faits passés, sur l'existence du Christ et des Apôtres, sur la vérité de leurs miracles, il est clair que si l'on doute de tout, elle sera privée de tout appui, et qu'elle ne pourra se soutenir.

Il détruit aussi la société; car sur quoi repose-t-elle,

sinon sur les lois et sur le respect dû au souverain? Or, qui ne voit qu'un pareil système est destructeur des lois, puisqu'avec lui on ne peut plus montrer la légitimité du pouvoir qui les a établies? elles restent donc sans autorité. Et le souverain lui-même, comment se fera-t-il respecter, comment conservera-t-il l'autorité qui lui est nécessaire, s'il ne peut se prévaloir ni de sa naissance, ni de la loi constitutionnelle, ni du vœu des citoyens librement exprimé, en un mot si l'on met en doute la légitimité du titre en vertu duquel il règne ?

Enfin, un pareil système renverse également les fortunes particulières, parce que s'il n'y a rien de certain dans les faits passés, les divers titres à l'aide desquels chaque particulier établit ou constate son droit de propriété sur tel ou tel immeuble, seront sans valeur. Les fortunes privées deviendront incertaines, et chacun pourra impunément s'emparer de la propriété de son voisin.

A ces principes incontestables, qu'oppose-t-on ? de vaines subtilités.

Première objection.

Un témoin, dit-on, peut nous induire en erreur; donc plusieurs témoins peuvent également nous tromper.

Réponse. Un témoin peut nous tromper, cela est incontestable; mais de ce qu'un témoin peut nous tromper, s'ensuit-il que plusieurs le puissent également? Non, sans doute.

Qu'un témoin isolé puisse se tromper, ou qu'il veuille nous tromper, on le conçoit, puisque, malgré

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