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rien, afin que je visse quel parti je dois suivre. Au lieu qu'en l'état où je suis, ignorant ce que je suis et ce que je dois faire, je ne connois ni ma condition, ni mon devoir. Mon cœur tend tout entier à connoître où est le vrai bien, pour le suivre. Rien ne me seroit trop cher pour cela.

Je vois des multitudes de religions en plusieurs endroits du monde', et dans tous les temps. Mais elles n'ont, ni morale qui puisse me plaire, ni preuves capables de m'arrêter. Et ainsi j'aurois refusé également la religion de Mahomet, et celle de la Chine, et celle des anciens Romains, et celle des Egyptiens, par cette seule raison, que l'une n'ayant pas plus de marques de vérité que l'autre, ni rien qui détermine, la raison ne peut pencher plutôt vers l'une que vers l'autre.

Mais, en considérant ainsi cette inconstante et bizarre variété de moeurs et de croyance dans les divers temps, je trouve en une petite partie du monde un peuple particulier, séparé de tous les autres peuples de la terre, et dont les histoires précèdent de plusieurs siècles les plus anciennes que nous ayons. Je trouve donc ce peuple grand et nombreux, qui adore un seul Dieu, et qui se conduit par une loi qu'ils disent tenir de sa main. Ils soutiennent qu'ils sont les seuls du monde auxquels Dieu a révélé ses mystères; que tous les hommes sont corrompus et dans la disgrâce de Dieu; qu'ils sont tous abandonnés à leurs sens et à leur propre esprit; et que de là viennent les étranges égare ments et les changements continuels qui arrivent

entre eux, et de religion, et de coutume; au lieu qu'eux demeurent inébranlables dans leur conduite : mais que Dieu ne laissera pas éternellement les autres peuples dans ces ténèbres ; qu'il viendra un libérateur pour tous; qu'ils sont au monde pour l'annoncer; qu'ils sont formés exprès pour être les hérauts de ce grand avénement, et pour appeler tous les peuples à s'unir à eux dans l'attente de ce libérateur.

La rencontre de ce peuple m'étonne, et me semble digne d'une extrême attention, par quantité de choses admirables et singulières qui y pa

roissent!

C'est un peuple tout composé de frères : et au lieu que tous les autres sont formés de l'assemblage d'une infinité de familles ; celui-ci, quoique si étrangement abondant, est tout sorti d'un seul homme; et étant ainsi une même chair et membres les uns des autres, ils composent une puissance extrême d'une seule famille. Cela est unique.

Ce peuple est le plus ancien qui soit dans la connoissance des hommes; ce qui me semble devoir lui attirer une vénération particulière, et principalement dans la recherche que nous faisons; puisque, si Dieu s'est de tout temps communiqué aux hommes, c'est à ceux-ci qu'il faut recourir pour en savoir la tradition.

Ce peuple n'est pas seulement considérable par son antiquité; mais il est encore singulier en sa durée, qui a toujours continué depuis son origine jusqu'à maintenant : car au lieu que les peuples de

la Grèce, d'Italie, de Lacédémone, d'Athènes, de Rome, et les autres qui sont venus si long-temps après, ont fini il y a long-temps, ceux-ci subsistent toujours; et malgré les entreprises de tant de puissants rois, qui ont cent fois essayé de les faire périr, comme les historiens le témoignent, et comme il est aisé de le juger par l'ordre naturel des choses, pendant un si long espace d'années, ils se sont toujours conservés; et, s'étendant depuis les premiers temps jusqu'aux derniers, leur histoire enferme dans sa durée celle de toutes nos histoires.

La loi par laquelle ce peuple est gouverné est tout ensemble la plus ancienne loi du monde, la plus parfaite, et la seule qui ait toujours été gardée sans interruption dans un Etat. C'est ce que Philon, Juif, montre en divers lieux, et Joseph admirablement, contre Appion, où il fait voir qu'elle est si ancienne, que le nom même de loi n'a été connu des plus anciens que plus de mille ans après; en sorte qu'Homère, qui a parlé de tant de peuples, ne s'en est jamais servi. Et il est aisé de juger de la perfection de cette loi par sa simple lecture, où l'on voit qu'on y a pourvu à toutes choses avec tant de sagesse, tant d'équité, tant de jugement, que les plus anciens législateurs grecs et romains en ayant quelque lumière, en ont emprunté leurs principales lois; ce qui paroît par celles qu'ils appellent des douze tables, et par les autres preuves que Joseph en donne.

Mais cette loi est en même temps la plus sévère

et la plus rigoureuse de toutes, obligeant ce peuple, pour le retenir dans son devoir, à mille observations particulières et pénibles, sur peine de la vie. De sorte que c'est une chose étonnante qu'elle se soit toujours conservée durant tant de siècles, parmi un peuple rebelle et impatient comme celui-ci; pendant que tous les autres Etats ont changé de temps en temps leurs lois, quoique tout autrement faciles à observer.

II.

Ce peuple est encore admirable en sincérité. Ils gardent avec amour et fidélité le livre où Moïse déclare qu'ils ont toujours été ingrats envers Dieu, et qu'il sait qu'ils le seront encore plus après sa mort; mais qu'il appelle le ciel et la terre à témoin contre eux, qu'il le leur a assez dit : qu'enfin Dieu, s'irritant contre eux, les dispersera par tous les peuples de la terre : que, comme ils l'ont irrité en adorant des dieux qui n'étoient point leurs dieux, il les irritera en appelant un peuple qui n'étoit point son peuple. Cependant ce livre, qui les déshonore en tant de façons, ils le conservent aux dépens de leur vie. C'est une sincérité qui n'a point d'exemple dans le monde, ni sa racine dans la na

ture.

Au reste, je ne trouve aucun sujet de douter de la vérité du livre qui contient toutes ces choses. Car il y a bien de la différence entre un livre que fait un particulier, et qu'il jette parmi le peuple, et un livre qui fait lui-même un peuple. On ne

peut douter que le livre ne soit aussi ancien que le peuple.

C'est un livre fait par des auteurs contemporains. Toute histoire qui n'est pas contemporaine est suspecte, comme les livres des Sibylles et de Trismégiste, et tant d'autres qui ont eu crédit au monde, et se trouvent faux dans la suite des temps. Mais il n'en est pas de même des auteurs contemporains.

III.

Qu'il y a de différence d'un livre à un autre! Je ne m'étonne pas de ece que les Grecs ont fait l'Iliade, ni les Egyptiens et les Chinois leurs histoires. Il ne faut que

voir comment cela est né.

Ces historiens fabuleux ne sont pas contemporains des choses dont ils écrivent. Homère fait un roman, qu'il donne pour tel; car personne ne doutoit que Troie et Agamemnon n'avoient non plus été que la pomme d'or. Il ne pensoit pas aussi à en faire une histoire, mais seulement un divertissement. Son livre est le seul qui étoit de son temps : la beauté de l'ouvrage fait durer la chose: tout le monde l'apprend et en parle : il faut la savoir; chacun la sait par cœur. Quatre cents ans après les témoins des choses ne sont plus vivants; personne ne sait plus par sa connoissance si c'est une fable ou une histoire : on l'a seulement apprise de ses ancêtres; cela peut passer pour vrai.

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