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întérieur qui leur reste de leur grandeur passée, ou s'abattre dans la vue de leur foiblesse présente? Car, ne voyant pas la vérité entière, ils n'ont pu arriver à une parfaite vertu. Les uns, considérant la nature comme incorrompue, les autres comme irréparable, ils n'ont pu fuir, ou l'orgueil, ou la paresse, qui sont les deux sources de tous les vices; puisqu'ils ne pouvoient, sinon, ou s'y abandonner par lâcheté, ou en sortir par l'orgueil. Car s'ils connoissoient l'excellence de l'homme, ils en ignoroient la corruption; de sorte qu'ils évitoient bien la paresse, mais ils se perdoient dans l'orgueil. Et s'ils reconnoissoient l'infirmité de la nature, ils en ignoroient la dignité; de sorte qu'ils pouvoient bien éviter la vanité, mais c'étoit en se précipitant dans le désespoir.

De là viennent les diverses sectes des stoïciens et des épicuriens, des dogmatistes et des académiciens, etc. La seule religion chrétienne a pu guérir ces deux vices, non pas en chassant l'un par l'autre par la sagesse de la terre, mais en chassant l'un et l'autre par la simplicité de l'évangile. Car elle apprend aux justes, qu'elle élève jusqu'à la participation de la Divinité même, qu'en ce sublime état ils portent encore la source de toute la corruption, qui les rend, durant toute la vie, sujets à l'erreur, à la misère, à la mort, au péché; et elle crie aux plus impies qu'ils sont capables de la grâce de leur Rédempteur. Ainsi, donnant à trembler à ceux qu'elle justifie, et consolant ceux qu'elle condamne, elle tempère avec tant de jus

tesse la crainte avec l'espérance par cette double capacité qui est commune à tous, et de la grâce et du péché, qu'elle abaisse infiniment plus que la seule raison ne peut faire, mais sans désespérer; et qu'elle élève infiniment plus que l'orgueil de la nature, mais sans enfler : faisant bien voir par-là qu'étant seule exempte d'erreur et de vice, il n'appartient qu'à elle, et d'instruire, et de corriger les hommes.

VI.

Nous ne concevons, ni l'état glorieux d'Adam, ni la nature de son péché, ni la transmission qui s'en est faite en nous. Ce sont choses qui se sont passées dans un état de nature tout différent du nôtre, et qui passent notre capacité présente. Aussi tout cela nous est inutile à savoir pour sortir de nos misères; et tout ce qu'il nous importe 'de connoître, c'est que par Adam nous sommes misérables, corrompus, séparés de Dieu; mais rachetés par JÉSUS-CHRIST; et c'est de quoi nous avons des preuves admirables sur la terre.

VII

Le christianisme est étrange! Il ordonne à l'homme de reconnoître qu'il est vil, et même abominable; et il lui ordonne en même temps de vouloir être semblable à Dieu. Sans un tel contrepoids, cette élévation le rendroit horriblement vain, ou cet abaissement le rendroit horriblement abject.

La misère porte au désespoir : la grandeur inspire la présomption:

VIII.

L'incarnation montre à l'homme la grandeur de sa misère, par la grandeur du remède qu'il a fallu.

IX.

On ne trouve pas dans la religion chrétienne un abaissement qui nous rende incapables du bien, ni une sainteté exempte du mal. Il n'y a point de doctrine plus propre à l'homme que celle-là, qui l'instruit de sa double capacité de recevoir et de perdre la grâce, à cause du double péril où il est toujours exposé, de désespoir ou d'orgueil.

X.

Les philosophes ne prescrivoient point des sentiments proportionnés aux deux états. Ils inspiroient des mouvements de grandeur pure, et ce n'est pas l'état de l'homme. Ils inspiroient des mouvements de bassesse pure; et c'est aussi peu l'état de l'homme. Il faut des mouvements de bassesse, non d'une bassesse de nature, mais de pénitence; non pour y demeurer, mais pour aller à la grandeur. Il faut des mouvements de grandeur, mais d'une grandeur qui vienne de la grâce, et non du mérite, et après avoir passé par la bassesse.

XI.

Nul n'est heureux comme un vrai Chrétien, ni raisonnable, ni vertueux, ni aimable. Avec combien peu d'orgueil un Chrétien se croit-il uni à Dieu ? avec combien peu d'abjection s'égale-t-il aux vers de la terre?

Qui peut donc refuser à ces célestes lumières de les croire et de les adorer? Car n'est-il pas plus. clair que le jour que nous sentons en nous-mêmes des caractères ineffaçables d'excellence? Et n'estil pas aussi véritable que nous éprouvons à toute heure les effets de notre déplorable condition? Que nous crie donc ce chaos et cette confusion monstrueuse, sinon la vérité de ces deux états, avec une voix si puissante, qu'il est impossible d'y résister?

XII.

Ce qui détourne les hommes de croire qu'ils sont capables d'être unis à Dieu n'est autre chose que la vue de leur bassesse. Mais s'ils l'ont bien sincère, qu'ils la suivent aussi loin que moi, et qu'ils reconnoissent que cette bassesse est telle en effet, que nous sommes par nous-mêmes incapables de connoître si sa miséricorde ne peut pas nous rendre capables de lui. Car je voudrois bien savoir d'où cette créature, qui se reconnoît si foible, a le droit de mesurer la miséricorde de Dieu, et d'y mettre les bornes que sa fantaisie lui suggère. L'homme sait si peu ce que c'est que Dieu, qu'il

ne sait pas ce qu'il est lui-même et tout troublé de la vue de son propre état, il ose dire que Dieu ne peut pas le rendre capable de sa communication! Mais je voudrois lui demander si Dieu demande autre chose de lui, sinon qu'il l'aime et le connoisse; et pourquoi il croit que Dieu ne peut se rendre connoissable et aimable à lui, puisqu'il est naturellement capable d'amour et de connoissance. Car il est sans doute qu'il connoît au moins qu'il est, et qu'il aime quelque chose. Donc s'il voit quelque chose dans les ténèbres où il est, et s'il trouve quelque sujet d'amour parmi les choses de la terre, pourquoi, si Dieu lui donne quelques rayons de son essence, ne sera-t-il pas capable de le connoître et de l'aimer en la manière qu'il lui plaira de se communiquer à lui? Il y a donc sans doute une présomption insupportable dans ces sortes de raisonnements, quoiqu'ils paroissent fondés sur une humilité apparente, qui n'est ni sincère, ni raisonnable, si elle ne nous fait confesser que, ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes, nous ne pouvons l'apprendre que de

Dieu..

ARTICLE VI.

SOUMISSION ET USAGE DE LA RAISON.

I.

La dernière démarche de la raison, c'est de connoître qu'il y a une infinité de choses qui la sur

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