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pose à recevoir les ordres de votre providence éternelle, et que j'adore également tout ce qui me vient de vous.

XIV.

Faites, mon Dieu, que, dans une uniformité d'esprit toujours égale, je reçoive toutes sortes d'événements, puisque nous ne savons ce que nous devons demander, et que je ne puis en souhaiter l'un plutôt que l'autre, sans présomption, et sans me rendre juge et responsable des suites que votre sagesse a voulu justement me cacher. Seigneur, je sais que je ne sais qu'une chose; c'est qu'il est bon de vous suivre, et qu'il est mauvais de vous offen ser. Après cela, je ne sais lequel est le meilleur ou le pire en toutes choses; je ne sais lequel m'est profitable, ou de la santé, ou de la maladie, des biens ou de la pauvreté, ni de toutes les choses du monde. C'est un discernement qui passe la force des hommes et des anges, et qui est caché dans les secrets de votre providence que j'adore, et que je ne veux pas approfondir.

XV.

Faites donc, Seigneur, que, tel que je sois, je me conforme à votre volonté; et qu'étant malade comme je suis, je vous glorifie dans mes souffrances. Sans elles, je ne puis arriver à la gloire; et vous-même, mon Sauveur, n'avez voulu y parvenir que par elles. C'est par les marques de vos souffrances que vous avez été reconnu de vos dis

ciples; et c'est par les souffrances que vous reconnoissez aussi ceux qui sont vos disciples. Reconnoissez-moi donc pour votre disciple dans les maux que j'endure, et dans mon corps, et dans mon esprit, pour les offenses que j'ai commises : et parce que rien n'est agréable à Dieu, s'il ne lui est offert par vous, unissez ma volonté à la vôtre, et mes douleurs à celles que vous avez souffertes. Faites que les miennes deviennent les vôtres : unissez-moi à vous; remplissez-moi de vous et de votre Esprit-Saint. Entrez dans mon cœur et dans mon âme, pour y porter mes souffrances, et pour continuer d'endurer en moi ce qui vous reste à souffrir de votre passion, que vous achevez dans vos membres jusqu'à la consommation parfaite de votre corps; afin qu'étant plein de vous, ce ne soit plus moi qui vive et qui souffre, mais que ce soit vous qui viviez et qui souffriez en moi, ô mon Sauveur! et qu'ainsi ayant quelque petite part à vos souffrances, vous me remplissiez entièrement de la gloire qu'elles vous ont acquise, dans laquelle vous vivez avec le Père et le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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COMPARAISON

DES ANCIENS CHRÉTIENS

AVEC CEUX D'AUJOURD'HUI. I

N ne voyoit, à la naissance de l'Eglise, que des Chrétiens parfaitement instruits dans tous les points nécessaires au salut : au lieu que l'on voit aujourd'hui une ignorance si grossière, qu'elle fait gémir tous ceux qui ont des sentiments de tendresse pour l'Église. On n'entroit alors dans l'Eglise qu'après de grands travaux et de longs désirs on s'y trouve maintenant sans aucune peine, sans soin et sans travail. On n'y étoit admis qu'après un examen très exact; on y est reçu maintenant avant qu'on soit en état d'être examiné. On n'y étoit reçu alors qu'après avoir' abjuré sa vie passée, qu'après avoir renoncé au monde, et à la chair, et au diable : on y entre maintenant avant qu'on soit en état de faire aucune de ces choses. Enfin il falloit autrefois sortir du monde pour être reçu dans l'Eglise au lieu qu'on entre aujourd'hui dans l'Eglise au même temps que dans le monde. On connoissoit alors, par ce procédé, une distinction essentielle du monde avec l'Eglise; on les considéroit comme

1 Quoique ces réflexions soient peu développées, elles nous ont paru mériter d'être conservées.

deux contraires, comme deux ennemis irréconciliables dont l'un persécute l'autre sans discontinuation, et dont le plus foible, en apparence, doit un jour triompher du plus fort; entre ces deux partis contraires, on quittoit l'un pour entrer dans l'autre ; on abandonnoit les maximes de l'un pour suivre celles de l'autre; on se dévêtoit des sentiments de l'un pour se revêtir des sentiments de l'autre; enfin on quittoit, on renonçoit, on abjuroit le monde où l'on avoit reçu sa première naissance, pour se vouer totalement à l'Eglise, où l'on prenoit comme sa seconde naissance; et ainsi on concevoit une très grande différence entre l'un et l'autre aujourd'hui on se trouve presque en même temps dans l'un comme dans l'autre; et le même moment qui nous fait naître au monde nous fait renaître dans l'Eglise; de sorte que la raison survenant ne fait plus de distinction de ces deux mondes si contraires; elle s'élève et se forme dans l'un et dans l'autre tout ensemble; on fréquente les sacrements, et on jouit des plaisirs de ce monde; et ainsi, au lieu qu'autrefois on voyoit une distinction essentielle entre l'un et l'autre, on les voit maintenant confondus et mêlés, en sorte qu'on ne les discerne quasi plus.

De là vient qu'on ne voyoit autrefois entre les Chrétiens que des personnes très instruites; au lieu qu'elles sont maintenant dans une ignorance qui fait horreur; de là vient qu'autrefois ceux qui avoient été rendus Chrétiens par le baptême, et qui avoient quitté les vices du monde pour entrer

dans la piété de l'Église, retomboient si rarement de l'Eglise dans le monde; au lieu qu'on ne voit maintenant rien de plus ordinaire que les vices du monde dans le cœur des Chrétiens. L'Église des saints se trouve toute souillée par le mélange des méchants; et ses enfants, qu'elle a conçus et portés dès l'enfance dans ses flancs, sont ceux-là mêmes qui portent dans son cœur, c'est-à-dire jusqu'à la participation de ses plus augustes mystères, le plus grand de ses ennemis, l'esprit du monde, l'esprit d'ambition, l'esprit de vengeance, l'esprit d'impureté, l'esprit de concupiscence : et l'amour qu'elle a pour ses enfants l'oblige d'admettre jusque dans ses entrailles le plus cruel de ses persécuteurs. Mais ce n'est pas à l'Eglise que l'on doit imputer les malheurs qui ont suivi un changement si funeste; car comme elle a vu que le délai du baptême laissoit un grand nombre d'enfants dans la malédiction d'Adam, elle a voulu les délivrer de cette masse de perdition, en précipitant le secours qu'elle leur donne; et cette bonne mère ne voit qu'avec un regret extrême que ce qu'elle a procuré pour le salut de ses enfants devienne l'occasion de la perte des adultes.

Son véritable esprit est que ceux qu'elle retire dans un âge si tendre de la contagion du monde, s'écartent bien loin des sentiments du monde. Elle prévient l'usage de la raison pour prévenir les vices où la raison corrompue les entraîneroit; et avant que leur esprit puisse agir, elle les remplit de son esprit, afin qu'ils vivent dans l'ignorance

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