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les créatures. Le raisonnement des impies dans le livre de la Sagesse n'est fondé que sur ce qu'ils se persuadent qu'il n'y a point de Dieu. Cela posé, disent-ils, jouissons donc des créatures. Mais s'ils eussent su qu'il y avoit un Dieu, ils eussent conclu tout le contraire. Et c'est la conclusion des sages: Il y a un Dieu, ne jouissons donc pas des créatures. Donc tout ce qui nous incite à nous attacher à la créature est mauvais; puisque cela nous empêche, ou de servir Dieu si nous le connoissons, ou de le chercher si nous l'ignorons. Or nous sommes pleins de concupiscence. Donc nous sommes pleins de mal. Donc nous devons nous hair nous-mêmes, et tout ce qui nous attache à autre chose qu'à Dieu seul,

LXVI.

Quand nous voulons penser à Dieu, combien sentons-nous de choses qui nous en détournent, et qui nous tentent de penser ailleurs? Tout cela est mauvais, et même né avec nous.

LXVII.

Il est faux que nous soyons dignes que les autres nous aiment : il est injuste que nous le voulions. Si nous naissions raisonnables, et avec quelque connoissance de nous-mêmes et des autres nous n'aurions point cette inclination. Nous naissons pourtant avec elle : nous naissons donc injustes. Car chacun tend à soi. Cela est contre tout ordre : il faut tendre àu général; et la pente

instant, et toujours est prêt à agir. Il faut donc, après avoir connu la vérité par la raison, tâcher de la sentir, et de mettre notre foi dans le sentiment du cœur; autrement elle sera toujours incertaine et chancelante.

LXIII.

Il est de l'essence de Dieu que sa justice soit infinie aussi-bien que sa miséricorde : cependant sa justice et sa sévérité envers les réprouvés est encore moins étonnante que sa miséricorde envers les élus.

LXIV.

L'homme est visiblement fait pour penser; c'est toute sa dignité et tout son mérite. Tout son devoir est de penser comme il faut; et l'ordre de la pensée est de commencer par soi, par son auteur et sa fin. Cependant à quoi pense-t-on dans le monde? Jamais à cela; mais à se divertir, à devenir riche, à acquérir de la réputation, à se faire roi, sans penser à ce que c'est que d'être roi et

d'être homme.

La pensée de l'homme est une chose admirable par sa nature. Il falloit qu'elle eût d'étranges défauts pour être méprisable. Mais elle en a de tels, que rien n'est plus ridicule. Qu'elle est grande par sa nature! qu'elle est basse par ses défauts!

LXV.

S'il y a un Dieu, il ne faut aimer que lui, et non

de vivre sans chercher ce qu'on est, c'en est encore un bien plus terrible, de vivre mal en croyant Dieu. Tous les hommes presque sont dans l'un ou dans l'autre de ces deux aveuglements.

LXIX.

Il est indubitable que l'âme est mortelle ou immortelle. Cela doit mettre une différence entière dans la morale; et cependant les philosophes ont conduit la morale indépendamment de cela. Quel étrange aveuglement!

Le dernier acte est toujours sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais.

LXX.

Dieu ayant fait le ciel et la terre, qui ne sentent pas le bonheur de leur être, a voulu faire des êtres qui le connussent, et qui composassent un corps de membres pensants. Tous les hommes sont membres de ce corps; et pour être heureux, il faut qu'ils conforment leur volonté particulière à la volonté universelle qui gouverne le corps entier. Cependant il arrive souvent que l'on croit être un tout, et que, ne se voyant point de corps dont on dépende, l'on croit ne dépendre que de soi, et l'on veut se faire centie et corps soi-même. Mais on se trouve en cet état comme un membre séparé de son corps, qui, n'ayant point en soi de principe de vie, ne fait que s'égarer et s'étonner dan›

l'incertitude de son être. Enfin, quand on commence à se connoître, l'on est comme revenu chez soi; on sent que l'on n'est pas corps; on comprend que l'on n'est qu'un membre du corps universel; qu'être membre, est n'avoir de vie, d'être et de mouvement, que par l'esprit du corps et pour le corps; qu'un membre séparé du corps auquel il appartient n'a plus qu'un être périssant et mourant; qu'ainsi l'on ne doit s'aimer que pour ce corps, ou plutôt qu'on ne doit aimer que lui, parce qu'en l'aimant, on s'aime soi-même, puisqu'on n'a d'être qu'en lui, par lui et pour lui. Pour régler l'amour qu'on se doit à soi-même, il faut s'imaginer un corps composé de membres pensants, car nous sommes membres du tout; et voir comment chaque membre devroit s'aimer.

Le corps aime la main ; et la main, si elle avoit une volonté, devroit s'aimer de la même sorte que le corps l'aime. Tout amour qui va au-delà est injuste.

Si les pieds et les mains avoient une volonté particulière, jamais ils ne seroient dans leur ordre, qu'en la soumettant à celle du corps: hors de là, ils sont dans le désordre et dans le malheur; mais en ne voulant que le bien du corps, ils font leur propre bien.

Les membres de notre corps ne sentent pas le bonheur de leur union, de leur admirable intellidu soin que la nature a d'y influer les esprits, de les faire croître et durer. S'ils étoient capables de le connoître, et qu'ils se servissent de

gence,

de vivre sans chercher ce qu'on est, c'en est encore un bien plus terrible, de vivre mal en croyant Dieu. Tous les hommes presque sont dans l'un ou dans l'autre de ces deux aveuglements.

LXIX.

Il est indubitable que l'âme est mortelle ou immortelle. Cela doit mettre une différence entière dans la morale; et cependant les philosophes ont conduit la morale indépendamment de cela. Quel étrange aveuglement!

Le dernier acte est toujours sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour ja

mais.

LXX.

Dieu ayant fait le ciel et la terre, qui ne sentent pas le bonheur de leur être, a voulu faire des êtres qui le connussent, et qui composassent un corps de membres pensants. Tous les hommes sont membres de ce corps; et pour être heureux, il faut qu'ils conforment leur volonté particulière à la volonté universelle qui gouverne le corps entier. Cependant il arrive souvent que l'on croit être un tout, et que, ne se voyant point de corps dont on dépende, l'on croit ne dépendre que de soi, et l'on veut se faire centie et corps soi-même. Mais on se trouve en cet état comme un membre séparé de son corps, qui, n'ayant point en soi de principe de vie, ne fait que s'égarer et s'étonner dans

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