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A. MARESCO AINÉ, LIBRAIRE-ÉDITEUR

20, RUE SOUFFlot, 20

X2 G 2192

PRÉFACE.

Notre siècle est un siècle de discussion. Il n'est pas de controverse qu'il n'ait soulevée, pas de problème qu'il n'ait tenté de résoudre. Depuis les plus hautes spéculations de la métaphysique jusqu'aux derniers détails de la pratique journalière, il a tout contesté, tout débattu, tout mis en question.

Parmi les problèmes qu'il a vu poser, l'un des plus difficiles peut-être, et certainement l'un des plus importants, est celui que l'on a appelé le problème de la mi

sère.

Qu'y a-t-il de plus grave, en effet, et de plus étonnant au premier abord que le fait même de l'indigence? Dans nos sociétés si policées, à une époque signalée par des progrès de tous genres, au milieu même de la civilisation la plus raffinée, des milliers d'êtres gémissent sous le poids du dénûment et de la faim. Quel est donc ce fléau, plus terrible que la guerre et la peste, car il a traversé tous les temps et ravage en même temps tous les peuples?

Sans doute, les sociétés anciennes le connurent comme nous; sans doute, il y eut toujours des malheureux et

des pauvres. Mais, il faut le dire, la misère a pris dans nos temps un caractère particulier d'intensité et de menace. Concentrée dans les bas-fonds de la société, elle en mine peu à peu les bases, comme ces animaux qui rongent petit à petit les fondements d'un édifice, que l'on voit s'abîmer un jour sans s'être douté du péril.

Il est donc plus que jamais utile et opportun d'étudier cette question, qui est éminemment une question sociale. Tous les économistes reconnaissent son importance; et, comme l'a dit un écrivain célèbre, « elle est aujourd'hui partout en Europe la grande et fondamentale question; toutes les autres viennent en définitive se résoudre dans celle-là. Elles n'ont de valeur réelle que par leur connexion avec le problème, qui agite et fatigue l'humanité, de l'amélioration du sort des masses. L'équilibre social, tant et si vainement cherché de nos jours, qu'est-ce, si ce n'est la réalisation chez un peuple des conditions de sa vie, de sa vie physique, de sa vie morale et intellectuelle? Telle est la fin vers laquelle il tend tout le reste, purs moyens, pures formes... Si l'on ne peut actuellement remédier à tous les maux, on peut au moins en diminuer le nombre, en atténuer l'intensité. Et, après tout, il faut bien qu'on en vienne là, qu'on sorte enfin de la funeste léthargie de l'égoïsme, si l'on veut préserver la société des effroyables convulsions qui la menacent, si l'on veut qu'elle vive :

« To be, or not to be, that is the question1. »

Mais s'il n'est pas de question plus grave, il n'en est pas de plus difficile. Elle touche, en effet, aux principes

1. F. de Lamennais, Politique à l'usage du Peuple, Des Pauvres, p. 117.

les plus élevés de la philosophie et de l'économie sociale. La destinée de l'homme sur la terre, l'inégalité des conditions humaines, le rôle de l'État dans la société et les droits de l'individu, telles sont les thèses que soulève la Bienfaisance ou la Charité.

Nous devons le dire au commencement de cette étude : la Charité est pour nous l'un des éléments essentiels de la vie d'un peuple. Seule, elle peut atténuer cet antagonisme de tous les temps entre la misère et l'opulence, et combler l'abîme qui sépare ceux qui nagent dans le superflu de ceux qui manquent du nécessaire. Mais comme elle touche par là aux sentiments les plus intimes et aux passions les plus vives du cœur de l'homme, elle a soulevé la haine des sophistes. Des gens, chez qui-les passions du cœur étaient les complices des erreurs de l'esprit, ont voulu, comme nous le verrons, la défigurer ou l'abolir, pour la remplacer par des systèmes destructeurs de toute société.

Pour examiner et résoudre toutes ces questions, que de connaissances ne faudrait-il pas? Le problème de la misère est aussi vaste que délicat. Il intéresse à la fois le jurisconsulte, le philosophe et l'historien.

On ne peut guère comprendre, en effet, l'organisation actuelle de l'assistance publique sans en avoir étudié l'histoire. Comme toutes les institutions durables, l'assistance a ses racines dans les temps anciens, et l'histoire du passé est indispensable pour éclairer et faire comprendre le présent.

Puis il est nécessaire de rechercher les principes sur lesquels est fondée la bienfaisance publique, car toute science qui ne s'appuie pas sur la philosophie est une science vaine qui repose sur le sable. C'est donc à la

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